LE CONSTAT TERRIBLE DE ROBERT LAFONT
Les Verts passent sous pavillon canadien. Pourquoi les investisseurs français délaissent-ils autant le football professionnel et la Ligue 1 ?
Alors que l‘engouement reste intact en termes d’audiences et de fréquentation des stades, que l’équipe de France est vice-championne du monde, que beaucoup de joueurs tricolores évoluent dans les meilleures équipes européennes, ou que nos centres de formation sont enviés et renommés dans le monde entier ; pourquoi nos entrepreneurs sont-ils si frileux dès lors qu‘il s’agit d’investir dans un club pro ?
A l’exception notable telle que la famille Pinault (propriétaire du groupe Kering) qui prend fait et cause pour l’avenir du Stade Rennais, désireuse même de pousser le projet plus avant avec un nouveau stade de 70 000 places, même si un tel engagement s’effectue sans doute autant par atavisme breton que par amour aveugle du ballon rond.
Ce phénomène d’internationalisation du football professionnel français semble assez inéluctable, surtout depuis la spectaculaire reprise du PSG par QSI (Qatar Sports Investments) intervenue en 2011. Récemment, on a vu ainsi successivement le Racing Club de Strasbourg (RCSA) de Marc Keller repris par l’Américain BlueCo (propriétaire des Chelsea), le club de Troyes (ESTAC) être racheté par le fonds émirati City Football Group (propriétaire de Manchester City).
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Lyon et Saint-Etienne sous pavillon étrangers
Rejoignant ainsi la cohorte des nombreux clubs français déjà passés sous les fourches caudines d’un fonds de private equity international voire directement d’un homme d’affaires fortuné à l‘image de l’OGC Nice repris en 2019 par Jim Ratcliffe, PDG d’INEOS, plus grande fortune d’Angleterre, devenu également actionnaire de 25% du club de Manchester United.
On peut citer aussi l’Olympique de Marseille avec l’Américain Frank McCourt en 2016 (en lice pour reprendre TikTok USA), Toulouse FC avec le fonds américain RedBird Capital Partners, ou John Textor à l’Olympique Lyonnais en lieu et place de Jean-Michel Aulas, l’un des trop rares hommes d’affaires français d’envergure à avoir tenté et réussi l’aventure du football pro. Un tel parcours de l’OL aurait pu et dû faire des émules. Paradoxalement, cela n’a guère été le cas.
Et maintenant, c’est le club mythique du football tricolore, les Verts, qui passe dans les mains d’un groupe canadien. L’ASSE est désormais propriété de Kilmer Sports, groupe du magnat canadien Larry Tanenbaum. Celui-ci, embouteilleur pour de grandes marques de sodas à Toronto possède de nombreuses franchises sportives ; le club de basket de NBA, les Toronto Raptors, un club de hockey de NHL, les Mapie Leafs, et le club de foot du Toronto FC. L’ASSE était détenue depuis 20 ans par le duo Bernard Caïazzo et Roland Romeyer.
60 M€ pour Saint-Etienne
Les dirigeants de Kilmer, et son patron français Ivan Gazidis, assurent vouloir faire passer le budget du club forézien de 20 M€ (en L2) à 60 M€ (en L1). On les croit sur parole d’autant que l’esprit stéphanois est davantage tourné vers la rage de gagner que sur le niveau d’argent dans les caisses. Il y avait quand même plus de 30 000 spectateurs dans les tribunes à Geoffroy-Guichard pour assister à un match de Ligue 2.
Ce qui n’est pas donné à tout le monde ! Même les clubs moins huppés n’échappent pas à la règle de ces ventes. Ainsi le Red Star (club parisien de Ligue 2) ou Valenciennes sont passés dans le giron de groupes étrangers sans même parler du modeste FC Rouen, tout juste en passe d’être vendu par le promoteur immobilier normand Charles Maarek à l’homme d’affaires turc Tarkan Ser, propriétaire d’une société de location de jets privés.
On estime à plus de la moitié le nombre de clubs de l’élite désormais contrôlés par un groupe étranger. Rappelons qu’en Allemagne, la Bundesliga interdit à un étranger de détenir un club ! Même s’il y a aussi des mouvements en sens inverse ; cette année, le producteur télé, Antoine Capton, président de Mediawan, a ainsi repris le contrôle du Stade Malherbe de Caen (L2) au fonds d’investissement américain Oaktree. Il semble y avoir comme un blocage des investisseurs français vis-à-vis du football professionnel, un phénomène difficile à expliquer compte tenu des enjeux financiers désormais proposés.
La L2 suit la même mode
Nos hommes d’affaires semblent davantage portés à investir dans le ballon ovale ; Jacky Lorenzetti au Racing 92, Mohed Altrad à Montpellier, Bernard Lemaitre au RC Toulon, Yann Roubert au LOU, Vincent Merling à La Rochelle, Michelin à Clermont, ou François Rivière à Perpignan (USAP).
Certes dans le football français, il reste de notables exceptions, telles celles de Laurent Nicollin à Montpellier (MHSC), Joseph Oughourlian (Amber Capital) au RC Lens, le transporteur Jean-Pierre Caillot au Stade de Reims, ou la plus belle réussite de l’année avec le Stade Brestois 29, club qualifié en Ligue des Champions, et soutenu fidèlement par le groupe familial agro-alimentaire de Denis Le Saint.
Les réussites régionales passées de Noël Le Graët à l’En Avant Guingamp ou de Gérard Bourgoin à l’AJ Auxerre, le club de Guy Roux (rétrocédé à un homme d’affaires chinois, le milliardaire James Zhou) auraient pu et dû créer un précédent. Cela n’a guère été le cas excepté l’investissement de Loïc Féry, président du fonds Chenivari, dans le FC Lorient (même si les Merlus redescendent en L2), ou de l’industriel Bernard Serin (John Cockerill) dans le FC Metz.
Les clubs de National entre investisseurs locaux et gourmandise étrangère
A Sedan, en 2023, un pool d’entrepreneurs tricolores mobilisés sous la houlette de Guy Cotret (avec Gérard Lopez, président des Girondins de Bordeaux, ou Robert Lafont, fondateur d’Entreprendre) pour sauver les Sangliers, a même été malmené, un temps, par les dirigeants de la Ligue, sans que l’on en connaisse les raisons, alors qu’ils disposaient d’un projet sérieux de sauvetage du club phare des Ardennes.
Cela a au moins laissé une place pour le sauvetage du FC Sochaux-Montbéliard dont le président Macron avait fait une priorité. Le conseil venu de l’Elysée a, semble-t-il, été suivi à la lettre plus que fidèlement. Ainsi va notre football… dommage qu’on ne voit guère de stratégie d’ensemble.
N’est-il pas temps de renouer avec des dirigeants de clubs investis et enracinés sur du long terme, et aptes à fédérer toute une ville et toute une région autour d’une identité de club conformément à ce qu’attendent de nombreux supporteurs en mal de projets et d’ambitions. Un peu comme l’avait fait à leur époque un certain Roger Rocher à l’ASSE voire un Marcel Leclerc à l’Olympique de Marseille. Tiens, comme on se retrouve !