Journaliste à L’Equipe au moment où ses incessantes investigations sur le dopage initiaient la chute de la maison Armstrong, Pierre Ballester n’a pas fait de vieux os au sein d’un quotidien forcément juge et partie. Vingt ans après la publication de « L.A. Confidentiel » (Editions La Martinière), « L.A. Officiel » ou « Le sale Tour », le constat qu’il dresse de la situation du peloton n’est pas très réjouissant. Entretien pour Cyclisme Magazine et Le Quotidien Du Sport.
A la fin du siècle dernier, comment avezvous été amené à enquêter sur le dopage dans le cyclisme ?
Quand je suis arrivé un peu par hasard dans un milieu que je connaissais peu, j’étais un journaliste enthousiaste qui avait cette tendance grégaire à vouloir servir les autres et à raconter l’envers du décor. En tant que grand reporter pour L’Equipe, j’y ai pris goût car je parcourais le monde en suivant toute la saison, du premier au dernier coup de pédale, tout en rencontrant des gens formidables.
Pour ce qui est du dopage, comme personne ne voulait s’y coller, surtout dans une structure qui était aussi organisatrice de courses, je me suis lancé à corps perdu. Je voulais savoir dans quel plat je mettais les pieds. Rapidement, la réalité nous a rattrapés et tout ça est sorti… à l’insu de notre plein gré (rires) ! Cela a forcément créé de grosses complications en interne au sein du journal, mais je tiens à dire que je n’étais pas le seul à ne pas accepter cette réalité. Ceux qui s’estimaient journalistes avant tout avaient la même conception que moi.
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Avec le recul, au-delà de l’affaire Armstrong, pensez-vous que vos révélations ont permis au cyclisme d’évoluer vers davantage de transparence ?
Nous n’avons fait que révéler au grand jour une réalité que beaucoup connaissaient déjà, que certains n’étaient pas prêts à accepter. Le problème est que nous sommes dans un monde qui va toujours plus haut, plus loin, plus fort. Aujourd’hui, les records de vitesse continuent de tomber et on met tout ça sur le compte des nouvelles technologies. Mais quand je vois la tête de mutants de ceux qui gagnent, un Vingegaard blanc comme un cachet d’aspirine à l’arrivée des courses, je n’ai même plus envie de m’y intéresser.
« Quand je vois la tête de mutants de ceux qui gagnent… »
Parce que vous ne croyez plus à la possibilité d’un cyclisme propre ou parce que vous avez mal vécu le traitement dont vous avez été victime de la part de votre employeur et de certains de vos collègues ?
Je n’ai pas décroché par rancœur car je n’ai franchement pas trop de reproches à me faire. Mais il est toujours difficile de briser une omerta générale. Les vérités sont toujours inconfortables qui créent des malaises. Je suis passé pour un emmerdeur. En fait, les critiques, les reproches, les procès n’ont que renforcer la crédibilité de mon travail.
Même si je pense que j’aurais pu faire encore mieux que révéler seulement les 10% de ce qui s’est réellement produit. Et j’ai toujours une grande noblesse pour le statut de journaliste même s’il est trop souvent dévoyé par des confrères soumis qui ne méritent que la première syllabe de ce qualificatif car ils pensent leur temps à courir après une notoriété de pacotille.
Si elles n’ont pas fait évoluer le peloton autant que vous l’espériez, vos investigations ont-elles au moins été utiles à quelque chose ?
Lorsqu’on se lance dans une telle aventure, il ne faut pas avoir d’états d’âme, mais tout faire pour faire savoir, que ça plaise ou pas. Et si c’est utile, tant mieux. Si cela a permis une prise de conscience, de meilleures relations entre les acteurs du cyclisme… Pour ce qui est des institutions, je n’y crois pas une seule seconde car elles sont partie prenante, c’est un grand barnum qui ne doit jamais s’arrêter.
Pierre Ballester ne croit pas au cyclisme plus propre
Aujourd’hui, le peloton est-il vraiment plus propre qu’il y a vingt ans ?
Je suis bien incapable de vous le dire. Mais je ne vois pas pourquoi on aurait changé entre temps un fonctionnement qui a si bien fonctionné. Le cyclisme est devenu plus pro et plus millimétré qu’avant… ce qui correspond assez à la perversité de l’ingéniosité humaine. Dernièrement, un athlète français (Dimitri Bacou, spécialiste du 110 haies, contrôlé positif aux stéroïdes, Ndlr) s’est fait choper, ce n’est pas de bol (sic).
Les vieilles habitudes ne s’en vont pas comme ça. Pourquoi voudriez-vous que ça change alors que les efforts demandés sont toujours plus grands aux limites de l’inhumanité ? Pourquoi voudriez-vous que ça change alors que tout le monde en croque et que ça permet aux journalistes de faire vivre des émotions, même si elles sont en carton-pâte ? Même si c’est terrible pour ceux qui ne se dopent pas…