Plus que ses victoires déjà légendaires, la Vuelta, le Mondial ou Liège-Bastogne-Liège, ce sont surtout celles qui l’attendent, promises à un potentiel hors norme et une marge de progression sans limites qui orientent Evenepoel, le Belge de 22 ans sur l’orbite des plus grands. A sa manière, pleine d’assurance et de détermination. A partir du 20 mars, on le suivra avec attention dans le Tour de Catalogne.
Nouveau Merckx, petit Cannibale, nouveau Cannibale, petit Merckx… toutes les combinaisons fonctionnent pour qualifier le quatrième coureur de l’histoire, après Alfredo Binda (1927), Eddy Merckx (1971) et Bernard Hinault (1980) à gagner un Monument, un grand Tour et le Mondial la même année.
Sauf que Remco Evenepoel a réalisé cet exploit à seulement 22 ans, quand ses glorieux ainés le faisaient à 25 ou 26 ans. C’est de cette précocité dont on parle aussi en évoquant la trajectoire de l’ancien Diable Rouge, international de football belge chez les jeunes qui abandonna le ballon rond à l’âge de 17 ans pour choisir la bicyclette chère à son paternel, Patrick, cycliste professionnel dans l’équipe belge Collstrop pendant deux saisons, le temps de participer à une Vuelta en 1993 (113ème).
Evenepoel écrase tout sur son passage
Personne ne pouvait imaginer que trois décennies plus tard le fiston qui semblait si fort avec un ballon dans les pieds allait faire beaucoup, beaucoup mieux que le père… sur un vélo. Et ce n’est qu’un début.
Dans la lignée d’une génération sans complexes, de jeunes sportifs qui revendiquent haut et fort leur volonté de marquer l’histoire, de battre des records, qui n’ont surtout pas peur d’assumer leurs ambitions, dans son style caractéristique, sa communication parfois débridée, mais toujours sincère, Evenepoel s’applique à casser les codes, à effacer à la pédale, en costaud, ses maladresses médiatiques.
La manière avec laquelle il a mis tout le peuple belge d’accord le 25 septembre à Wollongong, un an après avoir assumé presque seul le fiasco de Louvain, pour ne pas avoir suffisamment joué la carte de l’équipe (au détriment de Van Aert, au profit d’Alaphilippe), témoigne d’un caractère de champion déjà affirmé, aussi peu intimidé par l’aura de ses aînés que Merckx l’était dans les années 70 face à l’hégémonie de Rick Van Looy.
Regarder Evenepoel lever les bras en Australie, c’est évidemment penser au Bernard Hinault de Sallanches, revanchard et irrésistible, transcendé par les critiques qui avaient accompagné son abandon dans le Tour de France quelques semaines avant le Mondial.
Un champion qui a un grand respect
Regarder Evenepoel gagner la Vuelta en passant haut la main les cols pyrénéens, c’est aussi se souvenir des débuts d’Eddy Merckx, vainqueur de son premier grand Tour, le Giro, en 1968, à 23 ans, et qui faisait l’impasse sur le Tour de France pour mieux le gagner un an plus tard et être célébré dans la foulée sur la Grand Place de Bruxelles.
Comme Remco l’a été avec son maillot arc-en-ciel début octobre, privilège rare pour un sportif belge seulement consenti depuis Merckx à Justine Hénin et aux Diables Rouges. Regarder Evenepoel se jeter dans la bagarre sans autre intention que de débloquer les courses, gonflé d’énergie et de dynamisme, pour aller chercher son premier Monument du côté de Liège, l’ajouter à deux Classiques Saint Sébastien, aux Tours de San Juan, de l’Algarve, de Burgos, de Pologne, du Danemark, de Belgique et de Norvège, c’est enfin considérer qu’il a le potentiel pour être le meilleur, tout simplement.
Comme s’il condensait sur ses seules épaules un peu toutes les qualités de ses contemporains, l’insouciance de Van der Poel, la polyvalence de Van Aert, le panache d’Alaphilippe, l’ambition de Pogacar.
L’insouciance de Van Der Poel, la polyvalence de Van Aert, le panache d’Alaphilippe, l’ambition de Pogacar…
Puissant, endurant, véloce et rapide, Remco Evenepoel aurait un palmarès encore plus fourni s’il n’avait pas failli tout perdre en août 2020 lors du Tour de Lombardie dans la descente du mur de Sormano.
Ses blessures au bassin (fracture) et au poumon l’ont expulsé du peloton pendant huit mois, l’ont déclassé pendant plus d’un an, l’ont obligé à attendre ses 22 ans pour confirmer les immenses espoirs nés de ses premières victoires chez les pros. Car jamais dans l’histoire du cyclisme moderne, un coureur n’y avait été aussi attendu eu égard à sa domination sans partage chez les jeunes.
Champion de Belgique, d’Europe et du monde, sur route et en c-l-m, chez les juniors en 2018, seulement un an après avoir définitivement choisi le vélo au détriment du foot, Remco devançait Van Avermaet et Hirschi pour s’adjuger la première de ses deux Classiques de Saint Sébastien, deux mois après s’être fait les dents en gagnant le Tour de Belgique, un mois avant d’être vice-champion du monde du contrela-montre. Un an après, il se présentait au Tour d’Allemagne. L’ancien coureur RMO et Festina, pour Amaury Organisation, n’est pas prêt d’oublier sa première rencontre avec Remco :
« Je me suis retrouvé derrière lui, en voiture. La course était partie à bloc à 47 km/h de moyenne pendant 90 bornes quand il a attaqué sur une bosse. Il est sorti tout seul à plus de 70 bornes de l’arrivée. Il était seul face à un peloton qui s’est organisé pour se relayer, mais qui n’a jamais pu le rejoindre. Je n’avais jamais vu un coureur avancer aussi vite ailleurs que dans le cadre d’un contre-la-montre. Derrière, tous les rouleurs se succédaient pour se relayer et il les usait les uns après les autres. En voyant sa puissance, je me suis dit : « Là, on tient un vrai phénomène. »
Le vélo, sa nouvelle passion après le foot
Le sélectionneur de l’équipe de France et consultant France Télévisions sur le Tour de France, Thomas Voeckler, est du même avis :
« J’en ai vu des phénomènes… mais là. C’est bluffant. Ce qui m’impressionne le plus, c’est qu’il court toute l’année et reste performant sur tous les terrains, des Ardennaises, des Flandriennes, aux Mondiaux en passant par les grands Tours. Il est à l’image d’une génération qui est au top avant 25 ans. Il faut voir si sa réussite va durer parce que mentalement cette exigence peut aussi s’avérer difficile à gérer dans la durée. Lui, en tout cas, il n’a aucun complexe et il veut tout. »
Un vrai cannibale. Pour Lino, pas de doute, « Evenepoel, je suis certain qu’on va en bouffer pendant au moins dix ans. » Et de conclure, prophétique : « Le nouveau Merckx, on l’a ! »