A l’aune de ce qu’elle est devenue aujourd’hui, cette première édition de la Ligue des Champions propose un parcours moins long et compliqué pour atteindre la finale. Les pièges n’en ont pas moins été nombreux, face à Bucarest pour accéder à la phase de groupes, aux Glasgow Rangers, au CSKA Moscou ou à Bruges pour rejoindre le Milan AC.
La 38ème édition de l’ancienne Coupe d’Europe des Clubs Champions, qu’on appelle pour la première fois « Ligue des Champions », est donc la bonne. Après cinq défaites en finale (Reims en 1956 et 1959, Saint-Etienne en 1976, et l’OM en 1991), l’OM est inspiré de ne pas attendre que la réforme de la compétition reine de l’UEFA ne se transforme en véritable championnat d’Europe, et qu’elle ne concerne qu’un club par pays, le champion sortant.
Car depuis, les obstacles à franchir sont beaucoup plus nombreux et hauts placés. Il y a trente ans, avant une phase de deux groupes d’où doivent émerger les deux finalistes, les 16èmes de finale effectuent un premier écrémage en éliminant le champion d’Allemagne (Stuttgart), les 8èmes de finale se chargeant d’exclure le Barça de Cruyff (tenant du titre) et Leeds United.
Et c’est ainsi qu’en novembre, avant d’attaquer l’inédite phase de groupes, l’OM d’un côté et le Milan AC de l’autre font office de grandissimes favoris, face à Porto, Eindhoven, Göteborg (groupe B) et donc le CSKA Moscou, les Glasgow Rangers et le FC Bruges (groupe A).
Pour se hisser en finale deux ans plus tôt, les mêmes Marseillais avaient éliminé Tirana, Lech Poznan, le Milan AC, et le Spartak Moscou. Cette fois encore, un seul club des cinq grands championnats européens se hisse sur le chemin de Munich, le Milan AC.
Encore faut-il éviter les pièges, d’abord celui d’Ibrox Park, ensuite celui de ces étonnants russes qui ont sorti le Barça de Koeman, Stoitchkov, Guardiola ou Laudrup en allant s’imposer au Camp Nou 3-2.
A Bruges, le suspense jusqu’au bout…
« Le système de groupes, à partir des 8èmes de finale et jusqu’à la finale, était particulier, analyse Jean-Philippe Durand. Aucun match n’avait été facile et les deux oppositions face aux Rangers, que nous n’avions pas réussi à gagner (2-2 et 1-1), avaient été deux vrais combats. Mais nous n’avons jamais douté. Certes, nous n’avons pas fait d’étincelles, mais en même temps nous avions abordé cette compétition, et cette saison, avec pas mal d’incertitudes. Certains joueurs cadres comme Papin, Mozer ou Waddle étaient partis, sans être en reconstruction, le groupe avait pas mal évolué et notre statut était loin d’être celui d’un favori. Nous sommes montés en puissance et psychologiquement nous avions fini très fort ! »
Après les mises en bouche de Glentoran et du Dinamo Bucarest, les promenades de santé au Vélodrome face à Bruges (3-0) et Moscou (6-0), le nul arraché face aux coéquipiers de Mark Hateley à l’aller (2-2) oblige l’OM à s’imposer au retour. Après avoir échoué en 8èmes de finale l’année précédente face au Sparta Prague, la pression est énorme, les difficultés en championnat ayant déjà coûté la place à Jean Fernandez.
Goethals reprend les choses en mains
Rappelé aux affaires, Goethals a repris les choses en mains à Glasgow. Mais le plus dur reste à faire, il va s’avérer irrespirable. Le 7 avril 1993 pour recevoir les Ecossais qui comptent le même nombre de points que l’OM, c’est une demi-finale qui ne dit pas son nom qu’accueille un Vélodrome incandescent. Alors qu’on pense le plus dur effectué avec l’ouverture du score par Sauzée, bien servi par Völler, dès le premier quart d’heure, les joueurs de Smith font plus que de la résistance.
Sans complexes, ils font jeu égal avec une équipe qui hésite entre l’envie de continuer à aller de l’avant pour se mettre à l’abri et la peur de prendre un but qui remettrait tout en cause. L’égalisation de Durrant (sur un corner du futur olympien Steven) confirme les doutes et oblige l’OM à aller gagner en Belgique quinze jours après. Face à des Belges qui ont explosé à l’aller (30, score acquis à la 25ème minute), le défi est de taille dans un Olympiastadion où les Rangers ont concédé le nul (1-1) et Moscou la défaite (0-1).
Au pied du mur, avec une équipe de départ new-look, Ferreri et Thomas étant titularisés, le 6ème but de Boksic dès la 2ème minute simplifie la situation, mais ne suffit pas pour éviter l’angoisse d’un retour de Bruges lequel s’avérerait éliminatoire en cas de succès des Rangers à Ibrox Park face à une équipe de Moscou déjà éliminée.
Ibrox Park, le déclic
Deux frappes de Boksic sur le poteau font craindre le pire et prolongent l’angoisse jusqu’au coup de sifflet final de M. Craciunescu. Le peuple marseillais peut exulter et préparer sa deuxième finale en trois ans. Même en souffrant, même en doutant, cet OM là n’a jamais rien lâché.
Avec le recul, pour tous ceux qui sont sur la pelouse d’Ibrox Park pour la 1ère journée de cette phase de groupes, le 25 novembre marque le début de l’aventure, comme un déclic qui a fait prendre conscience à un groupe qui peine en championnat et est loin d’être souverain en coupe d’Europe, qu’il a les épaules pour voyager. Ce 2-2 obtenu au courage face à des Ecossais survoltés après avoir remonté deux buts a en effet des allures de victoire. Le lendemain, L’Equipe titre en une : « C’était sauvage et beau ».
Ce jour là, en étant d’abord brillant et efficace, juste techniquement, puis en réussissant à passer en mode résistance, avec beaucoup de discipline, de rigueur et de caractère, l’OM s’est mis au niveau d’un postulant au titre, à l’inverse de ses deux sorties sans saveur à Bucarest (0-0) et à Moscou (1-1). Pour Jocelyn Angloma, qui tarde à s’imposer et à se faire accepter en raison de son passé au PSG, ce match de Glasgow a aussi beaucoup compté.
« Parce que face à l’ASSE quelques jours avant en championnat, j’avais remplacé Boli, blessé, et je m’étais encore fait siffler. C’était dur pour moi. Mais j’avais fait un gros match et dans la foulée ce déplacement en Ecosse a été un tournant pour moi et pour les supporteurs qui ne m’ont plus regardé de la même manière… »
Barthez résiste à la pression
Pour l’occasion, sous les déferlentes écossaises, Barthez répond également aux sceptiques qui doutent de sa capacité, à 22 ans, à résister à une telle pression.
« Il pleuvait beaucoup, Fabien s’est fait bouger comme jamais, se souvient Ferreri. Les Ecossais abusaient du jeu long dans la surface pour le mettre en difficuté. Il était jeune, c’était en quelque sorte son baptème, il découvrait l’Europe, mais il a tenu, l’équipe a tenu et on peut considérer que ce match a été fondateur dans notre épopée ».
Sans être génial, à Glasgow comme à Bruges, il fallait être costaud pour ne pas sombrer. Il y a trente ans, ça suffisait pour mériter de défier la meilleure équipe du monde en finale de la Ligue des Champions.