Jacques Anquetil et Raymond Poulidor au coude à coude dans la montée du Puy de Dôme en 1964… c’est à travers cette photo de légende que la 20ème étape du Tour 1964 est restée dans toutes les mémoires.
Au départ de Brive-la-Gaillarde, ce 12 juillet 1964, 56 secondes séparent le leader du classement général, Anquetil de son dauphin, Poulidor. A quatre étapes de Paris, avant un dernier contre-lamontre qui s’annonce favorable au premier, l’ascension du Puy de Dôme est la dernière occasion pour le populaire « Poupou » de porter enfin ce maillot jaune qui le fuit désespérément depuis son premier tour de 1962.
Pour espérer l’emporter à Paris, on estime alors qu’il faut aborder le dernier chrono de de 27 km entre Versailles et Paris avec au moins une minute d’avance… donc prendre au moins deux minutes à Anquetil lors de cette 20ème étape longue de 237,5 km et dénuée de difficultés majeures autres que les côtes inoffensives de Saint Privat et de Bessonies.
Sur les pentes du volcan éteint, la rivalité des deux champions français parvient à son paroxysme. La victoire d’étape déjà acquise par Jimenez qui a attaqué au pied du col vite rejoint par Bahamontès, le grimpeur Poulidor met le rouleur Anquetil au supplice. Jeune reporter pour la télévision française, Daniel Pautrat était sur sa moto au coeur du duel de légende :
« Franchement, Poulidor avait eu tellement d’aléas défavorables dans le Tour, de la malchance pure, qu’on se disait que cette fois était la bonne. Comme la France profonde, j’étais aussi pour lui… et je me demande encore pourquoi il n’a pas attaqué plus tôt. »
Anquetil / Poulidor ne se lâchent pas
Peut-être parce qu’il n’a pas pu, Anquetil ne lâchant prise qu’à un kilomètre du sommet, le temps pour Poulidor de tout donner, mais d’échouer à 14 secondes de son grand rival.
« A ce moment-là, on ne savait pas encore qu’il avait mis un trop grand développement, précise Pautrat. On ne savait pas non plus qu’il n’avait pas reconnu l’ascension, contrairement à ce qu’il avait prétendu. On ne savait pas non plus qu’aucun coureur n’avait suivi Antonin Magne, notamment Bahamontès (qui finira 2ème de l’étape et 3ème du Tour, Ndlr), dans sa volonté de laisser l’étape et les bonifications à Poulidor pour l’aider à combler son retard. »
Au-delà de toutes les suppositions, la réalité de l’instant a confirmé qu’il n’avait pas attaqué assez tôt pour espérer faire la différence.
« Mais quand il est parti à 1 km du sommet, j’étais sur ma moto avec mon chrono à compter un écart qui n’a jamais dépassé la minute. Et à l’arrivée, quand Géminiani a dit à Anquetil qu’il gardait son maillot pour 14 secondes, il lui a répondu : « Et bien c’est 13 de trop ! » Ça lui ressemblait bien ! On aurait tous aimé voir Poulidor gagner le Tour ce jour-là, mais on a tous reconnu qu’Anquetil avait été très grand. »
Anquetil a gagné en champion, poulidor a perdu en héros
Il lui en avait en effet fallu du courage pour conserver sa tunique face aux attaques des purs grimpeurs qu’étaient Jimenez, Bahamontès et Poulidor. Maître Jacques finit l’étape en 5ème position, exténué, dépassé par Vittorio Adorni, la tête dans le guidon et à bout de forces. Il avait complètement récu
péré deux jours après pour le dernier chrono abordé avec 14 secondes d’avance sur Poulidor auxquelles il a ajouté 21 secondes supplémentaires plus 20 de bonifications accordées au vainqueur de l’étape.
Il aura donc manqué 55 secondes à Poupou pour empêcher Anquetil de devenir le premier coureur à gagner cinq Tours après ceux de 1957, 1961, 1962 et 1963. Cette minute qu’il n’a pas su, ou pu, aller chercher sur les pentes du Puy de Dôme alors qu’il avait son meilleur ennemi au bout du fusil. Cette année-là, Anquetil a gagné en champion un Tour que Poulidor a perdu en héros.
« J’ai dû me surpasser et je dois rendre hommage à Poulidor, déclarait le vainqueur à l’arrivée à Paris. Ma fierté est d’avoir vaincu un très grand champion dans le Tour le plus dur que j’aie connu ! »
Le 9 juillet prochain pour la 9ème étape du Tour 2023, 59 ans après, nul doute que les fantômes des deux champions disparus viendront roder entre Saint Léonard de Noblat, le village de Poupou, et le Puy de Dôme, où Maître Jacques, en attendant de le gagner, avait réussi à ne pas perdre sa cinquième et dernière Grande Boucle. Tom Boissy