vendredi 19 avril 2024

Rétro : Henri Leconte, ce héros malheureux…

À lire

Jean-Marc Azzola
Jean-Marc Azzola
Journaliste

En 1988, Henri Leconte se hisse jusqu’en finale. Mais son magnifique parcours reste à jamais terni par cette finale perdue contre Mats Wilander et son discours d’après match… Une plaie qui ne s’est jamais vraiment refermée.

Il y a trente ans déjà. Henri Leconte accède à la finale de Roland-Garros. Il bat successivement Youl et Oresar (en 5 sets), De la Pena (en 3 sets), Becker tête de série n°5 (en 5 sets), Chesnokov (en 3 sets) et Svensson (en 3 sets). De très bons spécialistes de la surface. Mais face à Wilander, il rend très vite les armes.

Le Français s’incline en trois manches vite expédiées (7-5, 62, 6-1). La bataille tant attendue entre les deux joueurs n’a pas eu lieu :

« Henri n’a jamais aimé jouer Wilander. En finale des Championnats d’Europe cadets, le Suédois lui avait déjà mis un 6-0, 6-0. Wilander décodait le jeu de Leconte à livre ouvert. Cela le gênait considérablement. Henri avait vraiment du mal contre lui.

Wilander savait comment retourner son service, comment le passer au filet. Ensuite, Henri a été pris par l’événement. Il a été submergé. Quand les émotions négatives vous envahissent, les jeux défilent… Il n’a jamais su trouver les solutions.

Wilander s’est régalé. Malheureusement, sur ce match, Henri n’a jamais pu être lui-même. Il a été dépassé. Comme s’il était ailleurs… Bien dommage car quand Henri se sentait bien il était exceptionnel. Il n’a pas été cinquième mondial sans raison. Mais une finale est un moment à part. Il faut être prêt.

Dans sa tête et physiquement. Il faut être obsédé par la gagne. Henri était bien physiquement. Il avait le jeu d’attaque pour contrarier Wilander. Sauf que d’autres facteurs l’ont vraiment contrarié ».

Wilander bête noire d’Henri Leconte

Après un premier set assez accroché entre les deux joueurs (7-5), Leconte ne marque plus que trois jeux. Pour Jean-Paul Loth, ancien capitaine de l’équipe de France, le Scandinave a été supérieur dans tous les domaines. L’impatience et le jeu à risque de Leconte ont aussi causé sa perte en finale :

« En 1988, Henri vit sa plus belle année sur terre battue. Il a fait un très beau parcours à Roland-Garros. Mais c’est aussi l’année qui lui coûte le plus cher sur le plan de sa popularité. Henri, c’était Mc Enroe sur terre battue !

Quand tout fonctionnait, tout le monde passait à la trappe. Quand c’était le contraire, il se faisait croquer. Cela a marché jusqu’en finale en 1988. Mais contre un Mats Wilander particulièrement solide et régulier, Henri s’est montré trop gourmand dans ses prises de risques. Il s’est finalement cassé les dents. C’est dommage.

Il était au moins aussi bon sinon meilleur sur terre battue que sur gazon. Que lui aurait-il fallu pour remporter Roland-Garros ? Un peu plus de constance et de concentration. Il aurait dû parfois se convaincre d’attendre davantage sa chance pour décocher des coups gagnants. Il lui aurait fallu avoir cette réflexion. Mais comme en 1988 il était dans une bonne dynamique il a préféré opérer en service/volée, en « chip and charge ».

« Wilander décodait le jeu de Leconte à livre ouvert »

Il a perdu contre un joueur qui, ce jour-là et en général, était plus fort que lui. Wilander a tout de même remporté sept titres du Grand Chelem (dont 3 Roland-Garros). Ce que les gens savent moins, c’est que Wilander était en admiration totale devant Henri. Au point qu’il a voulu par la suite imiter son revers coupé.

Ce qui lui a fait perdre beaucoup de matches pendant plus d’un an. Mais, dans le même temps, il connaissait le défaut de la cuirasse de Leconte. Il le savait impatient. Lors de la finale, il a fait courir Henri qui n’était pas dans sa meilleure réussite. Le Suédois a joué en changement de rythme, en distribuant des balles molles. Henri aurait pu remporter un titre du Grand Chelem.

A Roland-Garros ou à Wimbledon. Il le méritait. Mais il n’avait pas un tennis assez solide pour remporter plusieurs titres du Grand Chelem comme les Borg, Mc Enroe, Edberg. Son assise tennistique n’était pas suffisante. Tactiquement, Henri avait une certaine limite dans ce qu’il produisait. Il peinait à ralentir l’échange quand il jouait un joueur du style de Wilander ».

Comme si la sèche défaite ne suffisait pas, il y a eu ce discours lors de la remise des trophées… Et la célèbre phrase : « J’espère que maintenant vous avez compris mon jeu ». La déception de Leconte est énorme. Il craque et dérape lors d’une altercation avec un spectateur :

« Cette phrase malheureuse a été d’une certaine manière assez vraie, juge JeanPaul Loth. A un moment donné, il commettait trop de fautes. Quelques personnes le sifflaient. Henri avait dû l’entendre. Il s’incline. Déçu il veut signifier « vous ne comprenez rien à mon jeu ». D’une certaine façon, Henri n’avait pas tort. Quand on développe un tennis à si haut risque que le sien, les gens pensent qu’il suffit de ralentir le jeu pour mettre la balle dans le court.

C’est bien plus complexe… Wilander, lui, ne se précipitait pas au filet. Henri récoltait ses points sur cinq échanges au maximum. Il n’allait pas attendre au fond du court. Ce n’était pas dans sa nature, ni dans son caractère. Il avait eu raison de le dire… » .

« Sa plus belle année sur terre battue, mais aussi celle qui lui a coûté le plus cher sur le plan de la popularité »

Patrice Hagelauer livre son point de vue sur cet épisode notoire : « Quand vous avez le sentiment d’avoir été presque humilié sur le court et que vous devez parler ensuite en public vous n’êtes pas bien. Il a eu ce sentiment d’avoir déçu le public et tout le monde.

Henri a manqué de lucidité et il n’avait pas préparé de discours. Il a été pris de court, dit des choses qu’il a regrettées ensuite. Il les regrette encore. Mais à ce moment précis cela lui était à juste titre très difficile d’expliquer certaines choses et son match… ».

Bien des années plus tard, le natif de Lillers a exprimé à quel point cette rencontre et le contexte l’ont marqué et le marquent encore :

« Après avoir perdu le premier set, c’était fini. Je prends 6-2, 6-1. Puis il y a eu le discours du mec qui est triste et perdu, un peu offusqué par rapport au public. A la fin, le public me sifflait davantage qu’il ne m’encourageait.

Pendant le discours, je réponds à un mec car je suis totalement perdu. J’ai été dépassé par l’événement ; c’est une connerie. J’en ai souffert pendant des années. Après la finale, je me suis barré, je suis resté planqué chez moi pendant trois jours. J’avais honte de sortir… ».

Mais trente ans plus tard Leconte demeure toujours le dernier Français à être allé aussi loin lors des Internationaux de France.

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

Actu

spot_img
spot_img

À lire aussi