jeudi 28 mars 2024

Rétro – OM : comment Bernard Tapie utilisait Raymond Goethals

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Frédéric Denat
Frédéric Denat
Journaliste

Cette historique première finale gagnée face au Milan AC tient beaucoup à ce duo atypique entraîneur/président qui n’aura duré qu’une saison et demi, mais aura permis à l’OM d’écrire les plus belles pages de son histoire. Chronologie et analyse d’une relation pas comme les autres entre le duo Tapie/Goethals…

Lorsqu’il va chercher l’ancien entraîneur d’Anderlecht aux Girondins de Bordeaux, Bernard Tapie est toujours en quête du coach idéal. Après Gérard Banide, arrivé avec Michel Hidalgo, après Gérard Gili, promu du centre de formation, la frustration de la défaite à Benfica en demi-finale pousse le président à considérer que seule une pointure internationale incontournable peut permettre à l’OM de passer un cap au niveau européen.

L’arrivée de Franz Beckenbauer répond à cette logique, mais se heurte rapidement à une réalité qui transforme le rêve de Tapie en erreur de casting. « Au bout de six mois, j’ai pris du recul car le président se mêlait beaucoup trop du travail quotidien, déclarait l’ancien double champion du monde en 1995 à des confrères allemands, notamment sur des notions tactiques. C’est dommage parce que sans lui je pense que j’aurai pu rester de longues années à Marseille. C’est l’un des plus grands regrets de ma carrière. »

Cinq défaites en quinze matches poussent les deux parties à accepter le principe d’une réorganisation, en fait une séparation qui ne dit pas son nom, pour confier au Kaiser un fauteuil de directeur sportif… déjà largement occupé par le président en personne. En acceptant sa mission, le futur coach va donc devoir accepter aussi les conditions de la cohabitation.

L’interventionnisme de Tapie n’est plus un secret pour personne, lorsque Raymond Goethals débarque à la Canebière en janvier 1991, juste avant la 22ème journée de championnat (et un historique 7-0 face à l’OL de Domenech !), il connait la situation.

Durand : « Notre réussite dépendait davantage de Tapie que de Goethals »

A sa manière, pleine de malice, d’intelligence et d’humour, Goethals parvient à donner le change. Son premier coup, face au Milan AC en quarts de finale de la C1 au printemps 1991, crédibilise son travail et valide le choix de Tapie, jusqu’à la finale de Bari, perdue aux tirs au but, prélude à une autre finale perdue, de Coupe de France, face à Monaco 0-1.

Le technicien belge a beau recevoir le trophée du meilleur entraîneur européen de l’année, il subit lui aussi les effets dévastateurs de la méthode Tapie, qui le ramène à un poste d’observation des adversaires européens pour nommer Ivic sur le banc. L’attelage ne durera que quatre mois, le temps d’inverser les rôles entre le Belge et le Croate.

En attendant, c’est encore en cours de saison que Goethals récupère les rênes d’une équipe qui finira championne de France (sans possibilité de faire le doublé en raison du drame de Furiani), mais tombera de haut en coupe d’Europe, éliminée par le Sparta Prague en 8èmes de finale. Pour tourner la page Papin, qui s’envole au Milan AC pendant que Mozer, Tigana, Waddle quittent également le club, Tapie change une nouvelle fois son staff, renvoyant Goethals à un rôle de supervision, offrant au fidèle adjoint, Jean Fernandez, le poste de n°1.

l’OM pas déstabilisé par les choix de Tapie

« Je pouvais partir à Bordeaux où Alain Afflelou me voulait, se souvient celui qui aura été l’adjoint de trois entraîneurs différents (Beckenbauer, Ivic et Goethals), mais Tapie m’a convaincu de rester en me disant qu’il avait une grande confiance en moi et qu’il appréciait mon profil. J’avais été joueur à l’OM (19751980), prendre l’équipe était une grande fierté. »

Son bail ne durera pourtant que quatre mois… pour ramener Goethals aux affaires juste avant le déplacement aux Glasgow Rangers et alors que l’équipe n’était pas au mieux en championnat. S’il ne le formalise pas réellement ce n’est pas son style Fernandez regrette encore les conditions de son éviction, la manière avec laquelle l’entraîneur belge lui a en quelque sorte savonné la planche.

« Avec un autre que lui, quelqu’un qui m’aurait accompagné jusqu’au bout, peut-être que ma carrière aurait pu prendre une autre dimension… » Mais le Sorcier belge avait tellement envie de cette « coupe aux grandes oreilles », il sentait tellement cette équipe capable d’aller au bout qu’il n’a rien fait pour défendre son ancien adjoint.

« On apprend de ces expériences sur la nature des hommes, termine Jean Fernandez, qui reconnait tout de même « avoir beaucoup appris de vivre au quotidien avec de tels joueurs et de tels techniciens au plus haut niveau européen. »

Mais ce n’est pas lui qui aura l’honneur d’accompagner la montée en puissance d’un groupe qui, à force, avait pris l’habitude de faire avec tous ces changements. Jean-Philippe Durand en témoigne : « Peu importait le coach, peu importait qui était assis sur le banc, nous étions tellement forts mentalement, sûrs de notre force collective, en totale autogestion, qu’on n’était pas déstabilisés. On savait où on voulait aller et comment il fallait faire pour y aller. »

Tapie, un leader de groupe qui permet à l’OM de gagner

Si Goethals était forcément leur interlocuteur privilégié, celui qu’ils côtoyaient au quotidien, tous étaient conscients qu’un seul homme tirait les ficelles. Durand poursuit :

« Tapie n’était pas le coach, mais le manager, un vrai leader de groupe sans lequel nous n’aurions pas gagné la coupe d’Europe. C’est lui qui nous a transcendés, qui nous a persuadés qu’on pouvait y arriver. Sa force de caractère et de persuasion a été importante, elle nous a permis de dépasser nos limites. Et l’équipe de 1993 lui ressemblait beaucoup. »

Et le milieu de terrain de reconnaitre « que notre réussite dépendait davantage de Bernard Tapie… » que de Raymond Goethals. Si la majorité du groupe était sous le charme de l’homme d’affaires, Durand faisait partie de ceux qui n’étaient pas non plus dupes :

« Je n’avais pas d’affinités particulières avec lui quand je jouais, mais il m’a appris énormément de choses dans le management, le rapport aux autres, car il était très fort dans les relations humaines. Je ne me suis jamais laissé aspirer par le personnage. J’ai toujours gardé du recul par rapport à l’homme, à la capacité qu’il avait aussi de vous manipuler. Car c’était aussi le plus gros menteur de la terre ! Et en même temps un homme très brillant, intelligent, mais qui devait sentir que je portais sur lui un regard distancié. »

Ferreri : « Le pauvre Goethals, après s’être farci Bez à Bordeaux, il a eu Tapie à l’OM ! »

Pour l’avoir déjà côtoyé à Bordeaux, JeanMarc Ferreri abonde dans le sens de son coéquipier : « Que ce soit le coach ou Bernard Tapie qui formait l’équipe, à partir du moment où on gagnait… » Et l’ancien protégé de Guy Roux de se remettre dans le contexte de l’époque :

« Au paroxysme de la rivalité Bordeaux-Marseille, Goethals, le pauvre, n’a pas eu de chance. Après s’être farci Claude Bez, un président avec qui il n’était pas facile de cohabiter, il a eu Tapie. Le boss aussi était compliqué… »

Un euphémisme tellement celui qui était aussi député des Bouches-du-Rhône, qui allait être nommé Ministre de la Ville une semaine avant le match retour face aux Rangers (avant de démissionner une première fois 52 jours plus tard parce qu’il était accusé d’abus de biens sociaux dans l’affaire Toshiba France) rendait la vie dure à ses techniciens.

Si Goethals a duré plus que les autres, c’est évidemment parce qu’il a gagné davantage, mais surtout parce qu’il a trouvé son compte dans cet improbable duo. A 71 ans, il n’avait plus grand chose à prouver en termes de management ou d’organisation tactique. Une seule chose l’obsédait ; la coupe aux grandes oreilles comme il fut le premier à l’appeler.

Goethals sans pression avec Tapie

Pour se donner une chance de la soulever, il a accepté d’avaler pas mal de couleuvres, de se faire réveiller à pas d’heure par le boss, de se faire engueuler aussi. « Mais il n’était pas naïf, rappelle Ferreri. Il savait ce que pensait Tapie de lui, il s’en moquait à partir du moment où il était aux affaires et où la perspective de gagner cette coupe approchait. »

Quand certains voyaient dans ce fonctionnement un renoncement, d’autres, au contraire, préféraient souligner la capacité d’adaptation du Belge, son intelligence relationnelle. « S’il était Belge, cet homme était aussi complètement Marseillais dans ses attitudes, renchérit Durand, ses rapports avec les journalistes, son humour. Si avant lui un Gili était Marseillais et très nordiste dans son tempérament, Goethals c’était tout l’inverse ! »

Eric Di Meco aussi était fan. « Il était fort parce qu’il arrivait à composer l’équipe qu’il voulait tout en faisant croire à Tapie que c’est lui qui l’avait faite ! » C’est ainsi qu’on ne saura certainement jamais qui du président ou de l’entraîneur a insisté pour que Boli joue la finale et ne sorte pas au bout de quelques minutes alors qu’il était blessé. Avant de nous quitter, les deux protagonistes nous avaient habitués à s’approprier la paternité de ce coup de génie !

Le choix de Boli, une bataille Tapie/Goethals

A écouter Di Meco nous raconter cette anecdote, on a notre petite idée.

« Après mon opération des croisés, à la mi-temps du premier match que j’ai rejoué, alors que j’étais un peu juste, Tapie est descendu dans les vestiaires, a engueulé Goethals pour qu’il me sorte en disant que j’étais fini. Quinze jours après, alors que je n’avais pas rejoué, et parce qu’il n’avait pas le choix en raison d’une pénurie de défenseurs, il a été obligé de m’aligner. On jouait Auxerre, en face j’ai tordu Cocard en mille morceaux (sic) ! Après le match, Tapie a déboulé dans les vestiaires. Il s’est jeté sur moi et m’a dit : « Putain Eric, je savais que t’allait revenir ! » Quinze jours avant, il était prêt à me jeter ! »

Tapie était ainsi. Goethals en a rapidement fait son affaire, acceptant même parfois de lui laisser les rênes de la préparation de certains matches, des causeries qu’il effectuait à la place du coach.

« C’était du délire, poursuit Di Meco, mais en même temps, en moins d’un an, ce type avait tout compris du football. » Assis sur son énorme expérience de technicien, l’intelligence de Goethals a donc été de ne pas prendre ombrage de ces incursions répétées dans son domaine de compétence, de considérer qu’elles enrichissaient le groupe au lieu de le déstabiliser.

Car, au final, l’OM a gagné. Parce que c’était Tapie, parce que c’était Goethals et parce qu’aucun autre entraîneur n’aurait accepté un tel fonctionnement. « Ce n’est pas pour rien que tous les coachs ont explosé avec Tapie », conclue Di Meco. Tous sauf un.

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