Illustrée par la fusion avortée entre Visma et Quick Step, la fragilité des équipes du peloton, même parmi les plus riches, soulève forcément la question du modèle économique d’un cyclisme pro qui ne pourra pas longtemps faire… l’économie d’une vraie remise en cause au risque de perdre son indépendance.
Al’instar du foot, du golf ou de la Formule 1, le cyclisme, déjà largement alimenté par le Bahrain (Bahrain-Victorious) et les Emirats Arabes Unis (UAE Team Emirates) va-til aussi passer sous l’influence des fonds financiers venus du Moyen-Orient ? Selon plusieurs médias anglo-saxons, le fonds souverain saoudien (PIF), le même qui tourne autour de l’OM depuis de nombreux mois, s’intéresserait au marché du vélo à travers la création d’une Super Ligue, appelée « One Cycling ».
Encouragée en coulisses par les formations les plus puissantes du peloton, l’idée est de créer un nouveau modèle économique autour des droits TV… qui reviendraient non plus aux organisateurs comme c’est le cas actuellement, mais aux équipes et aux coureurs.
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« Le cyclisme tend vers ce qui se fait dans le foot »
Le calendrier réaménagé offrirait plusieurs grands rendez-vous, des Classiques, mais pas que, un feuilleton savamment mis en scène pour attirer d’autres investisseurs avec l’assurance d’avoir toutes les stars à chaque fois. Chaque formation pourrait ainsi toucher entre 2 et 3 M€ par an.
Voilà pour le projet actuellement à l’étude dans les coulisses du [cyclisme international conséquence du constat unanime selon lequel le peloton vit au-dessus de ses moyens, et que ses formations sont trop dépendantes d’un sponsoring de plus en plus volatile. Richard Plugge, le président de l’AIGCP (Association internationale des groupes cyclistes professionnels) jusqu’à cette année en convient :
« Le monde est en train de changer et nos adversaires ne sont pas les autres équipes ou les organisateurs de courses, mais plutôt le foot, le rugby, la NFL ou la Formule 1. Et si nous ne faisons rien, nous allons avoir un problème. »
Des paroles aux actes, le très clivant patron de Visma-Lease a Bike, qui a bien cru ne pas pouvoir repartir cette saison malgré les résultats exceptionnels de ses coureurs, a fédéré huit autres formations du World Tour pour lancer un appel d’offres, via le cabinet d’audit international Ernst & Young, visant à trouver des investisseurs pour la création de la SuperLigue.
250 millions ou plus, le dilemme du cyclisme
Selon Reuters, PIF serait prêt à mettre 250 M€ sur la table via SRJ Sports Investment, mais il n’est pas le seul, CVC Capital Partners (qui est aussi entré dans la société commerciale créée par la Ligue Nationale de Football) s’étant également positionné.
Cette perspective fait peur à beaucoup de managers, notamment français, craignant que le fossé entre les plus riches et les plus pauvres se creuse encore davantage. Groupama-FDJ, Arkéa-B&B Hotels, Cofidis ou Decathlon AG2R La Mondiale ont rejoint DSM-firmenich PostNL, Astana et Movistar parmi les opposants au projet face à ceux qui y sont favorables ; Visma Lease a Bike, Soudal Quick-Step, Alpecin Deceuninck, INEOS Grenadiers, Lidl Trek, BORA-hansgrohe ou EF Education-EasyPost et Intermarché-Wanty.
Les managers dans l’attente
Pour être validé, l’accord d’au moins dix équipes est indispensable qui devrait être trouvé sans trop de problème si, d’ici là, l’UCI ne propose d’autres solutions. Si le budget cap peut en être une (voir encadré), « elle ne pourra remettre en cause le sens de l’histoire, est persuadé l’ancien manager Cyrille Guimard, qui tend à aller vers ce qui existe dans d’autres sports comme le foot avec des clubs richissimes et des clubs formateurs qui basent leur modèle économique sur la vente de leurs meilleurs jeunes joueurs à ces clubs plus riches. »
« Dans le vélo, où la loi du marché dicte tout, les équipes françaises, avec leurs structures de formation performantes, n’ont par exemple pas vocation à conserver longtemps leurs meilleurs jeunes » et de basculer petit à petit dans les formations de seconde catégorie ?
Alors que le plus grand espoir du vélo hexagonal, Lenny Martinez a déjà un pied chez Bahrain-Victorious, seule l’UCI semble encore avoir la possibilité d’éviter ce que d’aucuns pensent inévitable en ayant peut-être le courage de limiter drastiquement des budgets au risque de décourager des investisseurs potentiels. Cela semble pourtant le prix à payer à l’équité sportive.
Vers un budget cap en 2026…
Pour éviter un cyclisme à deux vitesses, mais aussi l’éventualité de la banqueroute de formations prises dans l’engrenage de salaires disproportionnés, l’instauration d’un budget cap (équivalent d’un salary cap dans la mesure où 80% du budget est généralement consacré aux salaires) est sérieusement envisagée par l’UCI comme par la plupart des managers du World Tour.
Lors de la dernière réunion du Conseil du Cyclisme pro au sein de l’UCI, son principe a été approuvé par communiqué « pour la mise en œuvre d’un système de plafonnement du budget des équipes » à l’horizon 2026, soit au moment du renouvellement des licences World Tour.
D’ici là, un groupe de travail devra rendre ses conclusions pour des mesures très attendues par des managers inquiets pour leur avenir, de Cédric Vasseur « Si on continue avec ce système, des équipes vont disparaitre » -, à Marc Madiot :
« Quand vous voyez que même les équipes tout en haut de la pyramide ont des difficultés à repartir d’une saison sur l’autre, qu’elles vont jusqu’à envisager de fusionner pour pouvoir continuer, qu’un pays de cyclisme comme l’Italie n’a même plus de formation en World Team, on peut aussi s’inquiéter pour notre avenir, nous, en France. »
Reste à savoir si la limitation des budgets suffira pour éviter la concentration des meilleurs coureurs dans les mêmes équipes. En théorie, ça marche, en pratique, c’est encore à voir… Surtout si ceux qui investissent massivement et plus que les autres n’ont plus la même assurance, au final, de gagner également davantage de courses.