vendredi 11 octobre 2024

Van Der Poel / Poulidor : le petit fils veut imiter la légende

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S’il veut rejoindre Raymond Poulidor dans la légende, au-delà d’un palmarès qu’il a déjà abondamment garni, le Batave de 27 ans n’y coupera pas : il va devoir lui aussi marquer le Tour de son empreinte… bien au-delà d’un premier maillot jaune qui lui a permis, l’an dernier, de rendre hommage à un grand-père qui n’a jamais eu cet honneur. Jean-Pierre Danguillaume fait le lien entre un grand-père qu’il a bien connu et « un petit-fils dont il ne cessait de me parler en bien » !

MATHIEU VAN DER POEL

LA FORMATION

Si le football a été son premier sport, il faisait partie des meilleurs de sa région en benjamins -, c’est rapidement vers le vélo, sport familial par excellence, qu’il a bifurqué chez les cadets, et le cyclo-cross plus précisément pour suivre les traces de son frère aîné, David, ou le VTT. Son insolente réussite dans les trois disciplines en juniors (champion du monde cyclo-cross en 2012 et 2013, sur route en 2013) le pousse à ne pas en négliger une par rapport à l’autre. Il passe pro en 2014, à 19 ans, dans la même équipe que son frère, BKCP Powerplus.

LE PHYSIQUE

1m84, 75 kg… les mensurations de Mathieu sont les mêmes que son… père, Adrie, rouleur et spécialiste des Classiques, lui aussi formé au cyclo-cross où il fut champion du monde en fin de carrière (1996) après avoir gagné Liège-Bastogne-Liège, le Tour des Flandres et l’Amstel Gold Race, ainsi que deux étapes du Tour. Puissant et véloce, explosif, Mathieu est un « puncheur avant tout, précise JeanPierre Danguillaume, et tire sa force de sa capacité à exploiter son physique. Il va très vite et on l’a vu plusieurs fois revenir sur des échappées ou résister à un peloton. Dans ce registre, il n’a pas beaucoup d’équivalent. »

LES GRANDS TOURS

Après un premier Tour réussi, où il a eu le bonheur de gagner sa première (et seule) étape, de porter le maillot jaune pendant six jours, avant d’abandonner pour préparer les JO, la seconde participation du Néerlandais s’est beaucoup moins bien passée (abandon après la 11ème étape). Terminé à la 57ème place, après avoir pris le maillot rose trois jours, le Giro 2022 demeure sa seule référence crédible.

« Il ne gagnera jamais un grand Tour, ose Jean-Pierre Danguillaume, parce qu’il ne sera jamais capable de s’imposer en haute montagne. Ou alors il lui faudrait perdre du poids et avoir une équipe capable de l’amener le plus loin possible. Le Top 10 peut-être, mais seulement dans la Vuelta où la concurrence est moins relevée que dans le Giro ou le Tour, et si le parcours s’y prête et n’est pas trop montagneux. »

LE MENTAL

« Il est un compétiteur né, dans le sens où il n’a pas besoin de se mettre la pression pour se motiver, il l’a d’instinct. Pour lui, le vélo, c’est du plaisir, donc il ne se prend pas la tête et s’il préfère aller à la pêche que de s’entraîner, il va à la pêche. C’est sa force, parce qu’il garde beaucoup de fraîcheur. C’est ce qui le rend redoutable parce que lorsqu’il a quelque chose en tête, il fait tout pour aller au bout. » A une époque où le calendrier surchargé impose des cadences infernales, cette capacité à prendre du recul parfois, à relativiser aussi les échecs, comme les victoires, permet au Batave de se préserver et de se fixer des objectifs élevés en fonction de ses envies.

LE PALMARÈS

Quatre fois champion du monde de cyclo-cross, deux fois champion des Pays-Bas sur route, six victoires dans quatre Classiques (Tour des Flandres en 2020 et 2022, A travers la Flandres en 2019 et 2022, Amstel Gold Race en 2019, Strade Bianche en 2021), de deux courses par étapes (BinckBank Tour en 2020 et Tour de Grande-Bretagne en 2019), c’est évidemment dans les grands Tours que le petit-fils souffre de la comparaison et que se situe sa plus grosse marge de progression. Remporter les 5 Monuments, un de ses objectifs majeurs, lui permettrait de prendre une autre dimension.

LA POPULARITÉ

« S’il y a bien un point commun entre les deux, explique Danguillaume, c’est bien leur gentillesse. Ils sont tous les deux ouverts aux autres et n’ont pas la grosse tête. Malgré leur médiatisation importante, ils sont tous les deux restés des hommes simples et abordables. » Entre les Pays-Bas, où il a depuis longtemps dépassé son père, Adrie, en terme de popularité, et la France, où il est d’abord perçu comme le petit-fils d’un des sportifs les plus populaires de l’histoire, Mathieu a assez de talent pour amener encore un peu plus haut le nom des Van der Poel / Poulidor.

RAYMOND POULIDOR

LA FORMATION

« Dans les années 60, on passait pro beaucoup plus tard. Avant, Raymond avait dû travailler dans la métairie de ses parents, faire son service militaire juste avant la Guerre d’Algérie, ça avait retardé son éclosion » se souvient Danguillaume. Sa formation s’est effectuée avec les amateurs, entre 1954 et 1959 pour 24 victoires qui allaient lui ouvrir les portes des pros, à 24 ans, chez Mercier, en 1960. Un an après, il remportait Milan-San Remo…

LE PHYSIQUE

Du haut de son mètre soixante-treize et de ses soixante-dix kilos (les mensurations moyennes du coureur type de 2022) Poulidor était « endurant, suffisamment puissant pour gagner des Classiques et des étapes importantes, nettement plus grimpeur que son petit-fils qu’il battrait à plate couture dans les cols les plus difficiles aujourd’hui ! Mais sur la route, en puncheur, y’aurait match ! » Sans être une force de la nature, Poupou avait une solide constitution, rarement blessé ou malade, il savait aussi exister dans les arrivées groupées même si sa pointe de vitesse n’égalait pas celle de son descendant.

LES GRANDS TOURS

Aussi incroyable que cela puisse paraitre, en 14 Grandes Boucles, il n’a jamais porté le maillot jaune. Ses huit podiums (un record) ; pour trois deuxièmes places, ont bâti une légende d’éternel second qu’il a projeté sur le Tour d’Espagne (2ème en 1965), après son seul succès en 1964.

« Il était toujours dans le top 10, analyse Danguillaume, aussi fort dans les chronos qu’en montagne, d’une endurance à toute épreuve. Il a d’abord eu Anquetil puis Merckx dans les pattes, sans ça il en aurait accroché au moins un. Pendant plus de dix ans, il a toujours été à la bagarre, à batailler pour essayer d’inverser le cours des choses et a failli y arriver en 1964 où il a joué de malchance (pour 54 secondes au profit d’Anquetil, Ndlr). Le vélo a beaucoup évolué, mais je ne sais pas si Mathieu aurait la même persévérance que Raymond. »

Question de priorité aussi, quand le Tour était une évidence pour Poulidor, il est un rendez-vous certes important, mais pas essentiel pour son petit-fils qui lui a même préféré les JO l’an passé…

LE MENTAL

Avec un peu plus de malice ou de vice, Poulidor aurait certainement un palmarès bien plus étoffé, sa science de la course n’étant pas son point fort. « Il avait du coeur, l’amour du cyclisme chevillé au corps. Et mentalement, il

était plus fort que ce qu’on veut bien raconter. Parce qu’il a duré et été compétitif jusqu’au bout, dans le top 10 de toutes les classiques pendant près de 15 ans. » D’une 7ème place de Paris-Tours en 1960 à 24 ans à une 6ème place de Paris-Nice en 1977 à 41 ans…

LE PALMARÈS

Vainqueur du Tour d’Espagne en 1964 (2ème en 1965), de deux Classiques (Milan-San Remo en 1961, Flèche Wallonne en 1963), de quatre courses par étapes (Paris-Nice en 1972 et 1973, Dauphiné Libéré en 1966 et 1969, Midi Libre en 1973, Semaine Catalane en 1971) et de 11 étapes de grands Tours (7 du Tour et 4 de la Vuelta), il a été champion de France sur route en 1971 et a surtout participé à 14 Tours, entre 1962 et 1976 (ne manquant que l’édition 1971) avec huit podiums (3 fois 2ème et 5 fois 3ème) et seulement trois classements au-delà du Top 10 (dont deux abandons).

LA POPULARITÉ

Avec le recul, on ne sait trop si son absence au palmarès du Tour a augmenté ou au contraire atténué sa légende dans la France des années 70. « C’est sa dimension humaine qui plaisait, poursuit Danguillaume, sa manière d’être. Les gens s’identifiaient à lui, parce qu’il était humain, ne lâchait rien, et savait perdre avec fair-play. » Paradoxalement, c’est dans ses plus belles défaites que s’est construite une popularité qui n’aurait pas forcément été supérieure s’il avait gagné les trois grands Tours qui lui tendaient les bras (1964, 1965 et 1968) et qu’il a fini par perdre par malchance ou erreurs tactiques.

VERDICT

Mathieu n’aurait pas pu suivre Raymond dans les cols, où se construisent les plus grandes légendes. A l’inverse, Poupou aurait-il pu prendre la roue d’un petit-fils plus puissant et explosif que lui dans le final d’une grande Classique ? Plus proche du style du père que de celui du grand-père, le Néerlandais n’évolue pas dans le même registre, ce qui lui enlève certainement un peu de pression et offre même un supplément d’âme au souvenir que tout le monde garde de son papi.

Tom Boissy

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