jeudi 25 avril 2024

Bouna Ndiaye (agent) : « Je me bats pour être le n°1 »

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Jean-Marc Azzola
Jean-Marc Azzola
Journaliste

L’agent numéro 1 du basket français, Bouna Ndiaye co-fondateur en 1996 de l’agence Comsport, a accepté de lever le voile sur son métier pour Le Quotidien du Sport et France Basket.

Comment êtes-vous devenu agent ?

A 14 ans, j’habitais à Grigny la Grande Borne. J’avais comme mission de grand frère d’occuper mes deux autres frères qui ont été basketteurs professionnels. Du coup, je les avais rassemblés avec les potes du coin dans une salle pour qu’ils ne traînent pas.

J’ai été leur mentor. On jouait aussi au football dans les cages de hand. Mes frères faisaient leurs devoirs dans la salle. J’étais à côté. Ensuite, j’ai conseillé à certains d’avoir des agents. De fait, j’ai été sollicité par certains de ces jeunes pour que je les représente directement. Ils avaient confiance en moi. En 1995, j’ai décidé de me lancer dans une carrière d’agent.

Avez-vous joué vous-même au basket ?

J’ai commencé à entraîner des gamins alors que je n’y avais jamais joué de ma vie. J’y ai donc joué un peu.

Bouna Ndiaye passionné par le don de conseils

En tant qu’agent, quelle est la partie la plus plaisante et la plus compliquée ?

Je ne prends pas ce que je fais comme une fonction ou un métier même si on s’est beaucoup professionnalisé pendant ces années en terme de services. Je suis surtout animé par cette passion de donner des conseils et ce depuis le plus jeune âge. D’être un mentor, d’encadrer et de pousser vers le plus haut est ce qui m’anime le plus. Ce qui me plaît le plus, c’est la relation humaine. J’aime toujours aider quelqu’un à accomplir son rêve. Convaincre et motiver, c’est une passion chez moi. A l’inverse, ce qui me déplaît, c’est quand on pousse un joueur qui a envie, mais qui ne se donne pas tous les moyens pour atteindre ses objectifs.

Quel est votre rapport à l’argent ?

Ma philosophie n’est pas basée sur sur cet aspect. Même si on me reconnaît par rapport à ces gros contrats, par rapport à ce qu’on a accompli en termes de performances et de négociations. Si c’est l’argent qui drive les choses, cela fausse tout. Ce n’est jamais pour cela qu’on travaille beaucoup plus dur, qu’on va chercher beaucoup plus loin et qu’on est tant dans l’abnégation. Bien davantage que l’argent, ce qui pousse le plus c’est de réaliser un rêve, d’être le meilleur, d’avoir cette raison de vivre en soi et d’être tout simplement dans ce qu’on fait.

C’est bien plus important. Quand on a ces envies et qu’on met les moyens pour atteindre ses rêves l’argent, suit derrière. Mais tous les gens qui ne sont motivés que par l’argent demeurent profondément dans l’erreur.

« Ma philosophie n’est pas basée sur l’argent »

Tenez-vous cette philosophie et ces croyances du fait qu’adolescent vous viviez dans un environnement difficile de banlieue ?

Absolument. Je suis convaincu que l’environnement et les conditions dans lesquels on vit renforcent notre détermination quant à nos objectifs à atteindre. Quand on est dans la banlieue, on a envie d’y arriver et de sortir de ces endroits pas faciles. Ces endroits où il ne se passe pas toujours que de bonnes choses.

Mais ils nous poussent à devenir plus spécifiques sur nos rêves à atteindre et sur notre raison de vivre. Vivre à Grigny la Grande Borne, dans la cité, m’a permis de me donner des ambitions. Je me suis toujours dit que je voulais un meilleur environnement pour moi et les miens. Finalement, l’argent n’est que la conséquence d’une réussite professionnelle.

Vous avez cette étiquette d’agent numéro un en France. Comment le vivez-vous ?

Les gens remarquent surtout ce qu’on a réalisé aujourd’hui et l’aspect financier qu’il y a derrière, mais ils ne voient pas tout non plus : toutes ces heures passées, tous ces matins où je me lève à 5 heures, toutes ces nuits blanches aussi, bref tous ces sacrifices. Car plus on travaille, moins on s’amuse.

Et fatalement moins on passe de temps avec sa famille. Je savoure néanmoins la récompense de cet investissement, de cette constance qui dure maintenant depuis plus de 25 ans. Continuer à être à fond dans ce qu’on fait est surtout une manière d’être.

Naturellement, quand on est compétitif on a envie d’être n°1. Je ne le cache pas. Tous les jours, j’essaie d’être le n°1 et surtout de le rester. En France, je suis peut-être le n°1, mais pas aux Etats-Unis. Je reste animé par cet esprit de compétition au quotidien pour continuer à grandir. Quand je n’aurai plus cela, ce sera la fin.

Car je ne suis pas quelqu’un d’axé sur le matériel. Même si je possède aujourd’hui des choses que je n’imaginais même pas. Il faut constamment garder les pieds sur terre. Tout est si fragile. Tout peut basculer du jour au lendemain. Tout peut s’arrêter.

En l’espace de deux ans, on a vu des gens partir face à cette maladie… Du coup, je relativise beaucoup. Je reste simple et je ne veux pas changer. De toute façon, c’est trop tard (rires).

« Avec les joueurs, on forme une famille »

Avez-vous plus de relations avec certains de vos joueurs que d’autres ?

C’est comme dans la vie. C’est normal. Mais l’élément de base demeure la réciprocité dans la confiance qui s’est construite pendant des années. Avec l’ascension en particulier de Rudy (Gobert), Nicolas (Batum), Evan (Fournier), Ian (Mahinmi), Frank (Ntilikina), d’autres jeunes et sans oublier ceux qui sont en France.

Car il y en a qui ont réussi en France aussi jusqu’à être des joueurs majeurs. Certains ont plus besoin de communiquer que d’autres. Néanmoins, la relation de proximité reste. C’est pour cela qu’on a créé ce concept de Comsport Famille.

Ce qui est intéressant dans cette Team, c’est que Jérémy (Medjana) va avoir plus d’affinités avec untel et moi avec un autre. Cependant, on forme une famille. Avec tous les joueurs, on a cette relation de confiance et de loyauté. On sait qu’on sera là pour eux et vice-versa.

Justement, combien avez-vous de joueurs ?

On est cinq agents. On a entre 80 et 90 clients dans le monde entier, hommes et femmes confondus.

Comment votre réussite est-elle perçue au Sénégal ?

A Dakar ou en Afrique de l’Ouest, il y a eu beaucoup de médiatisation avec deux documentaires réalisés sur ma vie. En Afrique, je suis considéré comme un exemple. J’inspire beaucoup de monde. Je reçois beaucoup de messages qui motivent.

On donne envie aux gens et c’est super. Un jour, je me suis rendu à une réunion d’agents NBA il y a quatre, cinq ans. Cinq, six agents français étaient présents. Je me retourne et je dis :

« La France est bien représentée ». On me répond : « Oui on te suit et on veut être comme toi » (rires). Il y a bien eu un agent tunisien du nom de Paco Belacen, mais j’ai été le premier agent de France, du Sénégal et d’Afrique à être agent NBA. J’assume ce rôle de leader et je transfère au maximum mon savoir aux gens qui me le demandent quand je le peux.

« Pour être agent il faut du caractère »

Quel conseil donneriez-vous à un jeune qui veut se lancer dans une carrière d’agent ?

A un jeune qui veut devenir agent, à un joueur qui veut devenir basketteur NBA, à quelqu’un qui veut avancer dans la vie tout simplement, c’est d’avoir cette raison de vivre. Sinon cela mène nulle part. A tous ceux qui veulent atteindre leurs objectifs, je leur dis : « Prenez votre GPS et mettez une adresse ».

Pour les jeunes agents en devenir, il faut surtout y croire. Il faut impérativement avoir les capacités à dire les choses aussi. En un mot, il faut du caractère.

Certains l’ont, d’autres pas. Mais cela se cultive aussi. Si un de mes joueurs prend la grosse tête ou va dans la mauvaise direction, je dois lui dire. Ensuite il faut savoir bien s’entourer. Vous avez nécessairement besoin de personnes qui vous aident à vous élever. L’entourage détermine là où on va. Sans oublier évidemment le milieu dans lequel on vit.

Etre agent implique forcément que vous devez beaucoup regarder de matches. Vous évaluez alors mieux les joueurs. Je ne sais pas si quelqu’un a regardé autant de matches de basket que moi sur cette planète (rires). A tous les niveaux. J’en vois depuis 40 ans. J’ai acquis une connaissance. L’évaluation est essentielle car elle permet de déceler le talent et de le projeter.

Après, il y a le relationnel qui dépend de la personnalité. On évolue dans un milieu où tout est basé sur la relation : avec le joueur, ses parents, sa famille, les sponsors, son club. Cela se cultive aussi et cela prend du temps. Outre les connaissances de base qu’on doit avoir sur la fiscalité et le juridique car on établit beaucoup de contrats, tout cela réclame de l’apprentissage, de la constance, de la patience, d’accepter de commettre des erreurs.

On progresse sans cesse. Tout part d’une idée, d’un rêve, mais il faut surtout un plan. N’importe qui aujourd’hui qui a un peu de caractère, qui aime beaucoup travailler car le métier d’agent s’exerce tous les jours y compris les week-ends étant aux Etats-Unis pour ma part c’est quasiment du H 24 -, peut y croire.

Le marché des agents est hyper difficile et concurrentiel

Cette cadence infernale peut faire peur !

C’est un milieu très concurrentiel. Les barrières à l’entrée sont très élevées. Les grandes agences deviennent de plus en plus grandes. Les petites sont vouées à mourir. Dès qu’il y a un gros joueur, les moyens de recruter deviennent alors énormes.

J’ai aussi dans mon cas perdu beaucoup de joueurs. Mais si on pense qu’on ne peut pas réussir, il y a peu de chances que cela aboutisse. Si on se dit par contre qu’on va y arriver c’est une question de temps. Après, il faut être réaliste aussi.

Parfois ce n’est pas possible. Il faut alors trouver des alternatives. Il faut donc rester patient. Demeurer 4, 5 ans, sans revenu c’est dur quand on a femme et enfant. C’était mon cas et j’ai patienté. J’ai redoublé d’efforts. Cela m’est arrivé de travailler sans dormir pendant 72 heures d’affilée.

Parmi la jeune génération, quels sont les joueurs vous inspirant le plus ?

La France regorge de talents. Dans ce pays, le talent est fou. C’est un des pays où il y a le plus de talents au monde et ce dans tous les sports. Il y a potentiellement en France entre 4 et 7 joueurs NBA aujourd’hui. Mais ce talent est parfois surcoté. Car on se rend compte que ceux qui sont déterminés comme jamais, qui ont cette raison de vivre, qui travaillent énormément, finalement il y en a peu.

Je projette dans le futur de moins en moins de joueurs qui vont aller en NBA. Pourquoi ? Car certains sont plus sensibles à la manière dont on les perçoit sur les réseaux sociaux, aux actions individuelles, plutôt qu’à une raison de vivre. C’est pourtant bien futile. Les Fournier, Gobert, Batum, tous les jours ils veulent être meilleurs.

Ce sont de vrais compétiteurs. J’ai bien peur que dans le temps cette tendance se perde un peu. Alors attention ! C’est une mise en garde que je fais. Alors effectivement on peut aller en NBA, mais on peut aussi en ressortir. Le but est d’y rester. Il y a donc les qualités naturelles, mais aussi le travail, la constance dans le temps, la concentration à ne surtout pas négliger.

Agent de joueur et de basket, même métier pas la même approche

Etre agent de football et de basket, est-ce le même métier ?

Le métier est le même. J’ai aussi une licence de football. J’ai fait des transferts dans ce sport. Je me suis occupé un temps de Idrissa Gana Gueye ou d’André Ayew pour ne citer qu’eux.

Après, il y a une impossibilité temporelle d’être ici et là. Je voulais surtout me prouver que je pouvais le faire et je l’ai fait. Le profil du joueur de foot et de basket n’est pas du tout le même. Je ne veux pas dire du bien ou du mal de l’un ou de l’autre.

Cependant, le quotidien et la relation entre agent et joueur s’en trouve altérés. Toutefois, la proximité doit rester forte. C’est identique dans tous les sports. Après, quand il y a beaucoup d’argent en jeu, pas mal de problèmes sont liés. C’est pareil partout.

Comment expliquez-vous que la Betclic Elite souffre d’un manque cruel de diffusion alors que son niveau s’élève de plus en plus ?

Le championnat de France est très relevé. Il est un des meilleurs en Europe avec l’Espagne et la Turquie. On a clairement un souci de positionnement et de choix stratégiques marketing. On a un vrai problème relationnel aujourd’hui.

Dans pas mal de pays européens, cela passe. Pourquoi en France n’y arrive t-on pas ? Je n’ai pas de réponse tranchée sur la question. Mais il y a quand même des choix stratégiques à revoir totalement. Le foot prend tellement de place avec le rugby c’est indéniable.

Mais à partir du moment où on remplit les salles, qu’on attire les sponsors, la télévision doit suivre. Le sport spectacle n’est pas assez mis en avant alors qu’en NBA ce n’est que cela.

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