Double champion d’Europe en titre avec les U20, Guillaume Vizade incarne la nouvelle génération d’entraîneurs français avec Pierric Poupet (ASVEL) et Julien Mahé (Saint-Quentin). Après sept ans à Vichy, il découvre l’élite avec Le Mans avec qui il s’est engagé deux ans.
Vous découvrez cette saison l’élite en tant qu’entraîneur. Sentez-vous une différence par rapport à la Pro B ?
Forcément, les clubs sont plus prestigieux, l’environnement, les joueurs sont aussi de calibre différent. Il y a plus de profondeur dans les effectifs. Après, beaucoup de joueurs sont passés par la Pro B, ça donne déjà un repère important. Mais tout est plus fort donc il faut réduire la marge d’erreur. Il faut réussir à développer une dynamique d’équipe positive dans un espace-temps réduit. Encore plus cette année avec la réduction du nombre d’équipes dans l’élite avec 4 matches en moins. Il faut être productif et performant le plus vite possible.
Qu’est-ce qui vous a surpris le plus ?
La particularité d’avoir un championnat où quasi la moitié des équipes jouent également un championnat européen en parallèle. Dans les dynamiques d’équipes, dans les charges de travail, ça fait des équipes qui vivent une année différente.
Quand on commence par deux défaites, cela met un peu de pression…
Quoi qu’il arrive, la pression, on continue à se la mettre. Elle est en lien avec l’exigence qu’on se met dans le travail au quotidien. Perdre le premier match à l’extérieur, puis à domicile, ça nous rend impatient vis-à-vis du résultat. Maintenant, il faut quand même garder la tête dans le travail, croire au process dans lequel on s’est engagé et ne pas tout remettre en cause après deux défaites. Si on est les premiers à douter aux premières difficultés, ça va se ressentir sur l’équipe. A nous de garder le cap, que ce soit le club, le staff, les joueurs. Ce n’étaient pas deux prestations complètement abouties donc ça nous laisse de la marge pour pouvoir faire mieux. Ce sont des étapes de construction d’équipe.
L’objectif, c’est de remettre Le Mans en play-offs (11ème la saison passée, Ndlr). Les places vont être chères !
Il faut déjà se maintenir le plus tôt possible. Après, si on est en position, ce sera de jouer le classement le plus haut possible. Cette saison, les places garanties en play-offs, c’est de 1 à 6 Après, il y a un play-in de 7 à 10. Ça, c’est aussi une caractéristique nouvelle. Si vous finissez 7 et 8, il vous faut encore gagner un match supplémentaire pour entrer dans les play-offs. Mais on verra ça en temps et en heure et, pour l’instant, on a encore matière à se concentrer sur nous et avoir la volonté de progresser en tant qu’équipe, de faire des matches plus pleins, plus consistants.
Noah Penda que vous avez fait venir de Vichy a été appelé comme partenaire d’entraînement des Bleus. C’est mérité par rapport à son début de saison.
C’est un ensemble de choses. Son début de saison, son été avec l’équipe de France U20, sa saison dernière, le fait qu’il représente de la potentialité. Lui et Mohamed Diawara (Cholet, Ndlr) ont été appelés dans ce sens-là. Ils ont des caractéristiques et un potentiel pour le basket de très haut niveau. Ça rentre dans une dans une logique fédérale de faire des revues d’effectifs et de commencer à donner de l’expérience, soit en intégrant les stages de préparation, soit complètement à l’équipe de France pour anticiper et préparer l’avenir.
Vous avez essayé de faire venir au Mans un autre joueur de Vichy, Ilias Kamardine…
Il était prêté par Dijon. Il est retourné dans son club formateur. Si Dijon ne s’était pas manifesté pour le prendre dans son équipe de Pro A et s’il avait été laissé libre, c’est un joueur qui aurait pu nous intéresser. Mais assez tôt Dijon s’est positionné pour récupérer Ilias. A raison puisque c’est un joueur qui a aussi la potentialité de s’imposer en Betclic Elite. Mais je retrouve quand même deux anciens pensionnaires de Vichy puisque Léopold Delaunay, je l’ai eu pendant deux saisons en prêt depuis Cholet, et donc Noah.
Vous avez aussi récupéré le MVP de Pro B Tray Buchanan. Répond-il à vos attentes ?
Il répond aux attentes depuis le début de la saison. Il n’y a aucun doute. C’est un joueur qui a une forte capacité à scorer. Il le démontre en Betclic Elite aussi. On est satisfait de son début de saison.
« J’aime beaucoup Oded Kattash, le coach du Maccabi Tel Aviv »
Gardez-vous un œil sur Vichy ?
Oui bien sûr. J’ai beaucoup de fierté à voir que le projet jeunes qu’on a dessiné et défini avec les dirigeants reste l’ADN de l’équipe. En tant qu’entraîneur, participer au développement et à l’affirmation de l’ADN d’un club, ça a beaucoup de valeur. Avoir participé à la construction de quelque chose. J’ai beaucoup de plaisir à voir que c’est encore l’équipe en Pro B qui utilise le plus les jeunes cette saison. Il faut accepter qu’il y ait des moments où ce soit plus compliqué d’aller chercher de la perf avec autant de jeunes joueurs. Mais la performance en elle-même, elle réside dans le fait de mettre ces jeunes joueurs sur le terrain, de les développer au quotidien, de réussir à être le plus compétitif possible dans ce championnat de Pro B.
« Le basket français continue de produire des jeunes joueurs de talent »
L’entraîneur des U20 voit-il un futur français n°1 de la draft après Wembanyama et Risacher ?
Numéro 1 pour Nolan Traoré, être dans la discussion, c’est déjà exceptionnel. Noa Essengue est un joueur aussi de 2006. C’est un joueur très prometteur qui joue à Ulm en 1ère division allemande. Il peut assez vite émerger. Noah Penda, Mohamed Diawara, Roman Domon, Brice Dessert, Zacharie Perrin, ce sont d’autres joueurs qui interpellent les scouts cette année. Ces joueurs-là suscitent beaucoup de regards. Après, on a encore des jeunes comme Nathan Soliman qui joue à l’Insep et qui représente aussi des potentialités de très très haut niveau. Le basket français continue de produire des jeunes joueurs de talent.
N’y a-t-il pas un nouveau Wemby ?
Victor, c’est un joueur vraiment générationnel. Ça reste un très jeune joueur puisque cet été il avait encore l’âge de jouer au Championnat d’Europe U20 et il a été le fer de lance de l’équipe de France aux JO. J’espère qu’on va pouvoir profiter de ses services et de son talent pendant de nombreuses années avec la sélection.
Coacher des jeunes en U20 permet-il ensuite en pro de faire davantage confiance aux jeunes joueurs ?
Quand ils emmagasinent de l’expérience à très haut niveau, c’est toujours bénéfique. Le transfert est plus facile à faire quand ils sont compétitifs, ça a été le cas sur les deux dernières saisons. Ils vivent des moments de haute compétition. Ils savent le prix à payer pour aller chercher ces victoires. Ça les aide à développer leur confiance. C’est pour ça que, quand ils changent d’environnement, l’expérience leur a permis de se développer. Cette année, notamment avec l’équipe de France U20, la période sur laquelle on a été le plus performant, ce sont les six dernières minutes des matches où notre rentabilité, notre efficacité, a eu un bond suffisant pour qu’on aille gagner des matches qui étaient parfois très mal embarqués. On se souvient tous du panier de Noah (Penda) contre l’Espagne à la dernière seconde. Ça fait partie des moments qui marquent une vie et qui développent une confiance. Sur les dernières années, Noah a participé à beaucoup d’événements avec les équipes nationales, avec le club de Vichy, aujourd’hui avec Le Mans, mais aussi individuellement avec les work-out NBA. Tout ça compilé à moins de 20 ans, ça fait déjà pas mal de choses qui s’additionnent pour avancer.
« Les dirigeants ont beaucoup expérimenté les coachs étrangers et se sont peut-être rendu compte que ce n’était pas forcément la panacée »
Vous n’avez pas vraiment répondu à la question.
Quand on intègre un jeune joueur à haut potentiel, il faut inverser l’équation. Il faut partir avec un a priori que, sur les premières expériences qu’on va lui donner, il ne va peut-être pas être pleinement rentable, efficace, mais là c’est le prix à payer du coach pour qu’on ait une vision sur dans trois mois, dans six mois, dans un an. Par exemple, avec Noah, la chose qui s’est alignée dès les premières discussions, il y a trois ans, c’est que lui, il avait en tête certaines étapes et que face à ça, on a pu construire un projet cohérent parce que c’était aussi cohérent avec ce que moi j’avais en tête dans l’évolution, notamment sur le fait de le positionner sur le poste 3. Il faut un a priori positif pour le mettre en situation de réussir. S’il réussit, ça va renforcer mon positionnement de départ, donc je vais le faire jouer encore plus souvent, encore plus de minutes, encore plus dans les moments décisifs. Ça a été vécu la saison dernière avec Vichy. Noah a fini par jouer presque 100% des matches et il a été décisif dans certains, de manière très différente, parfois au rebond, parfois par le tir, parfois sur des finitions proches du cercle, parfois à la passe, mais il a su se montrer présent dans les moments décisifs et cet été encore avec l’équipe de France dans un rôle différent puisqu’il était dans un rôle de leader.
Il y a une hype autour des joueurs français. Ce n’est pas forcément le cas pour les entraîneurs français…
Il y a un lien de cause à effet entre l’entraîneur et le potentiel, puisque des potentiels sans entraînement ou environnement de qualité, ils pourraient émerger, mais peut-être pas avec tout ce qu’on peut voir de qualité dans les Zaccharie Risacher, Tidjane Salaün, Alex Sarr… Peut-être que ça a mis en lumière ou questionné sur l’environnement du basket et sur les méthodes d’entraînement en France. Maintenant, on est nous aussi au contact et influencé par les méthodes d’entraînement international. On est une génération d’entraîneurs qui essaient d’être le plus ouverts et le plus connectés possible avec le monde extérieur, notamment le monde anglophone et et ça, ça fait sauter des barrières. Petit à petit, pas mal d’entre nous commencent à avoir de l’expérience dans d’autres environnements puisqu’ils sont quelques-uns en NBA, en NCAA. Sans oublier Pierric Poupet qui est un coach français en Euroligue avec l’ASVEL.
… Mais aucun n’a les clés d’un club d’Euroligue à l’étranger ou en NBA.
Il faut être légitime pour rentrer dans l’Euroligue en étant recruté de l’extérieur. Par exemple, si Pierric réussit avec l’ASVEL, potentiellement il pourrait à un moment ou un autre intéresser un autre club. Ça peut aussi être le cas de Vincent (Collet) s’il est disponible. Il n’y a néanmoins très peu de places. Ce sont des postes qui sont recherchés par le monde entier. Mais j’espère qu’un coach français sera à la tête d’une autre équipe que française en Euroligue un jour.
Aujourd’hui, en Betclic Elite, seuls deux entraîneurs sont étrangers (à Monaco et Paris). La réussite de Pierric Poupet a-t-elle fait évoluer les mentalités ?
C’est une évolution des dirigeants qui ont aussi beaucoup expérimenté les coachs étrangers et qui se sont peut-être rendu compte que ce n’était forcément la panacée, une vérité absolue. Et que, pour développer l’identité de leur club, ce n’était pas forcément aisé de prendre des coachs parachutés dans la culture du basket français. Ce n’est pas toujours un signe de réussite, ça peut l’être et ça fait aussi avancer le basket français qu’il y ait des coachs étrangers, mais le fait qu’on ait un équilibre un peu plus juste souligne que les coachs français travaillent aussi et ils travaillent suffisamment durs pour pouvoir briguer des places à la tête des équipes. On peut souligner l’excellent travail de Julien Mahé à Saint-Quentin qui a su redynamiser un club qu’il a récupéré à la limite de la descente de Pro B pour en faire un club qui joue la Coupe d’Europe aujourd’hui.
Quels sont les coachs qui vous inspirent ?
On essaye de prendre pas mal d’idées à droite à gauche. J’aime beaucoup Oded Kattash, le coach du Maccabi Tel Aviv. J’ai aussi beaucoup de chance de pouvoir côtoyer les deux sélectionneurs de cet été, que ce soit Vincent Collet ou Jean-Aimé Toupane. C’est enrichissant. On a aussi dans notre basket des gens qui peuvent être des mentors. Dans notre confrérie de coachs, on essaie de s’entraider. A travers l’équipe de France U20, j’ai pu travailler avec Mickaël Hay, Thomas Andrieux, Bienvenu Kindoki. On échange beaucoup et ça nous permet de progresser.
Echangez-vous avec des coachs d’autres sports ?
J’ai eu la chance quand j’étais à Vichy de pouvoir échanger avec Pascal Gastien qui était le coach du Clermont Foot ou Franck Azéma qui était le coach de l’ASM en Top 14. C’est très enrichissant. Ça permet d’élargir notre manière de voir les choses, de questionner nos méthodes d’entraînement.
Avez-vous discuté avec Vincent Collet qui a joué et entraîné au Mans ?
Très peu du Mans, mais plus du jeu, notamment dans les séminaires qu’on a avec tous les coachs nationaux. Avec les séminaires du HMT du haut niveau des entraîneurs, depuis la Covid on se réunit à chaque fenêtre. Ça permet d’avoir un accès à l’entraînement des équipes de France et d’avoir des échanges pointus avec Vincent qui est le leader des coachs français et la réussite des 15 dernières années de l’équipe de France. La stabilité, la manière d’intégrer, de renouveler l’équipe en permanence, ça a été un cap positif pour l’évolution de notre sport.
Vincent Collet a rejoint Cleveland en tant que consultant. Sera-t-il le premier Français à diriger une équipe NBA ?
Il y a une double question derrière. Déjà, il y a une énorme question politique sur les choix de numéro 1 en NBA. Il y a très peu de coachs qui n’ont pas été des joueurs NBA et encore moins des gens qui ne viennent pas de l’environnement du basket américain. C’est très très rare. S’il a une place dans une franchise pour accompagner Kenny Atkinson dans sa tâche quotidienne, c’est déjà une belle reconnaissance de sa compétence dans le haut niveau et de sa connaissance du jeu. On ne peut que lui souhaiter qu’il obtienne une position encore plus ferme en NBA ou si un spot dans une grosse équipe européenne se libère. Le basket américain ne travaille pas dans la même temporalité que nous. Ils ne sont pas dans l’urgence du maintien de leur équipe dans une division étant donné que c’est une ligue fermée. Ils travaillent sur des projets. A l’intérieur de ces projets, il y a des gens qui émergent. Par exemple, si on prend le cas de Spoelstra, le coach de Miami, ça fait plus de 30 ans qu’il est à l’intérieur de la franchise. Il a commencé comme coordinateur vidéo, il a passé tous les échelons jusqu’à devenir Head coach. Mais, pour être recruté en tant que Head coach en venant de l’international, c’est un chemin qui n’a jamais été franchi jusqu’à présent. Même Ettore Messina qui a passé des années aux Spurs, il a été jusqu’au poste de premier assistant qui est déjà une place très importante puisqu’on appelle cet assistant-là l’associated coach donc c’est un 2ème entraîneur principal. Tuomas lisalo est lui le 4ème assistant à Memphis, c’est déjà quelque chose de rarissime et qui existe très peu dans le basket mondial. On est dans la rareté.
Si un club de NBA vous propose le rôle de 4ème assistant, diriez-vous banco ou préférez-vous être le numéro 1 au Mans ?
Les compétiteurs, ils veulent toujours coacher au plus haut niveau possible. Même si assistant c’est un autre job que coach principal. On parle aussi d’un changement de vie, un changement culturel, des changements financiers. Parfois, il y a des portes qui s’ouvrent. Il faut être en capacité d’au moins réfléchir aux alternatives.