Cette diplômée en finance de 26 ans (227ème mondiale) au parcours atypique, fait sensation à Roland-Garros, son premier tournoi du Grand Chelem, avant de disputer son troisième tour contre la Roumaine Irina Begu (63ème mondiale).
Après Parrizas Diaz vous avez balayé Karolina Pliskova (6/2, 6/2), 8ème mondiale. Vous surprenez-vous émotionnellement ?
Oui, je suis très surprise de garder mon calme, d’être aussi concentrée. Pour être honnête, je suis normalement quelqu’un qui s’énerve un peu, qui râle un peu. Je n’ai pas la meilleure des attitudes sur le terrain. Mais depuis que je suis arrivée ici, je pense que je me comporte bien, ce que je fais, c’est bien. Et donc, oui, je suis assez surprise de gérer aussi bien les émotions, surtout sur un court comme le Simone Mathieu. C’est la première fois que je joue sur un stade aussi grand, avec autant de monde qui m’encourage. Je suis donc très contente !
Vous pourriez être encore plus démonstrative sur le court, non ?
En réalité je n’ai pas envie de m’éparpiller, de perdre un peu d’énergie… Je suis quand même très tendue quand je joue, et donc, j’ai quand même le cœur qui bat assez vite. C’est pourquoi j’essaie de bien respirer, de garder mon calme, de ne pas crier dans tous les sens, parce que pour le moment, je pense que ça me desservirait plus que cela ne m’apporterait quelque chose. C’est la manière dont j’ai envie de célébrer.
« Je pensais que j’allais prendre des coups gagnants dans tous les sens »
Votre parcours atypique vous permet-il de dédramatiser l’instant sportif ?
Sûrement. Je suis quand même très contente de ce qui se passe, mais avec la vie que j’ai eue, les expériences de vie, je pense que cela m’aide beaucoup à relativiser et à sortir le meilleur de moi-même dans ce genre de moment.
Beaucoup de personnes qui ne vous connaissent pas, ni votre histoire, se demandent bien comment vous êtes au troisième tour d’un Grand Chelem à 26 ans. Pouvez-vous l’expliquer ?
Même moi, je n’ai pas d’explication. Je ne comprends même pas ce qui se passe. J’ai 26 ans, c’est mon premier Grand Chelem, j’aurais toujours pensé que je perdrais au premier tour. Honnêtement, je n’ai rien d’autre à dire. Je ne sais pas comment cela est possible. J’essaie simplement de faire de mon mieux, de déployer mon meilleur tennis.
Il y a encore moins d’un mois, vous n’aviez jamais joué contre une top 100. Coup sur coup vous rencontrez une top 50, vous la battez en deux sets (6/4, 6/3). Vous rencontrez ensuite une top 10, vous l’écartez sèchement en deux sets (6/2, 6/2). Sur le court, vous ne vous dîtes pas ? : est-ce que je ne les voyais pas trop fortes, et finalement, j’arrive assez vite à me sentir tennistiquement à l’aise contre ces fille de ce niveau ? Bref, tout cela vous étonne t-il ?
Oui, je suis très surprise. Celle que j’ai jouée au premier tour, la top 50, je ne pensais pas gagner. Aujourd’hui (hier), encore moins. Ce qui me surprend, c’est le fait de voir que mon jeu les dérange autant. Je pensais que je serais prise de vitesse, que j’allais prendre des coups gagnants dans tous les sens, et finalement, ce n’est pas le cas. Même en termes de services, je croyais qu’elles feraient plus d’aces, que je serais beaucoup plus embêtée. Et oui, je suis très surprise, mais en même temps, très contente, parce que ça veut dire, finalement, que j’ai peut-être le niveau d’être à leur place aussi !
Cela fait un an et demi que vous vous êtes mis dans la tête de disputer ce Roland-Garros. Sur quel point avez-vous le plus travaillé ?
Surtout sur le physique. Aux Etats-Unis, j’avais quand même perdu un peu de condition physique, j’avais pris un peu de poids, ce n’était pas évident de revenir. C’est là où j’ai fait le plus gros travail. Après, tennistiquement, j’ai toujours joué comme ça. Forcément, on s’entraîne, on améliore deux ou trois lacunes que j’avais avant. Le gros point a été le physique et l’attitude, surtout.
Avec votre victoire contre Karolina Pliskova, dans le pire des cas, vous devriez être autour de la 150 ème place mondiale, et ce même si cela devait s’arrêter au prochain tour. En début de saison, quel genre d’objectif vous étiez-vous fixé ?
L’objectif, c’était de rentrer qualif de Grand Chelem, pour Roland-Garros. C’est sûr qu’avec ce qui se passe, ça change un peu les plans. Ça modifie surtout la programmation, parce que j’étais repartie à faire des ITF, des 25000, des 60000. Là, finalement, je vais pouvoir faire des WTA, et donc ça change beaucoup de choses. Après je ne me mets pas du tout de limite de classement, surtout quand je vois comment ça se passe ici. Dans ma tête, c’était d’être top 100 et tableau de Grand Chelem. Je joue, et puis je vois comment ça se passe surtout.
Avec cette effervescence autour de vous, vous sentez-vous un peu débordée par tout ce qui se passe ?
C’est surtout les médias, je pense, qui prennent beaucoup de place. C’est quelque chose dont je n’ai pas du tout l’habitude, et où je ne me sens pas très à l’aise. Ce sera le plus dur à gérer. Après, le reste, je suis quelqu’un d’assez simple, je ne me prends pas du tout la tête. Je vis le moment. Forcément, je suis très, très contente, mais je ne suis pas non plus dans l’euphorie. Juste, je savoure, et puis voilà ! J’espère surtout que ça ne va pas être ma dernière fois en troisième tour de Grand Chelem.
Vous avez évoqué d’attendre à une époque le RSA. Désormais Il y a le prize money et le portefeuille, ça fait du bien, quand on est joueuse comme vous, non ?
C’est sûr, cela change la vie. Concrètement, je peux me payer un coach, une structure, être suivie en tournoi. Ça change tout ! Même au niveau des programmations, je vais pouvoir partir de l’Europe, voyager loin, faire des grands trajets, faire des grandes tournées accompagnées. Oui, forcément, ça change tout !
Est-ce que la forme d’anonymat dans laquelle vous avancez, est un avantage ?
Oui, c’est certain, parce que les filles n’ont aucune idée de qui je suis, de comment je joue. Au contraire de moi, où Karolina, j’ai eu la chance de la voir jouer beaucoup de fois. Je sais qui c’est, ses points forts, ses points faibles. Quand j’arrive sur le terrain, je peux mettre une tactique en place, tandis qu’elles, elles doivent se dire : « Mais, c’est qui cette fille. » Si je suis là, forcément, c’est que je dois bien jouer, je pense, mais oui c’est un avantage.
« Je m’étais dit dans ma tête que je me donnerai une deuxième chance »
Envisagez-vous ensuite de jouer sur gazon ?
Je l’espère. Je vais certainement y aller. Si c’est le cas, je vais certainement devoir passer par les qualifications. Ce serait fascinant, franchement. Je vis mon premier rêve, déjà, de disputer le tournoi de Roland-Garros, parce que c’est mon pays. Mais ensuite, de jouer sur le gazon, c’est juste bien. Et donc, je m’enthousiasme de cela.
Vous étiez une très bonne joueuse junior, ensuite, que vous est-il arrivée ?
J’ai connu un problème au genou, je n’ai pas joué pendant deux ans, c’est là que j’ai décidé d’aller aux Etats-Unis, et d’étudier là-bas. Quand j’ai cessé de jouer, je m’étais dit dans ma tête qu’un jour, je me donnerai une deuxième chance, parce que quand j’avais 14 ans ou 15 ans, j’étais très bonne. C’est pour ça que j’ai saisi l’opportunité de rejouer 10 ans après.
Vous êtes donc passée par la case université américaine. Cela vous a-t-il aidé ?
Oui beaucoup. Je ne suis pas la seule à avoir emprunté cette voie. Beaucoup ont joué à l’université, Cameron Norrie notamment, beaucoup de filles, de garçons ont joué à la fac aussi. C’est bien pour certains, ça vous permet aussi de grandir en tant que personne et d’avoir plusieurs vies en même temps. C’est important également, pour votre existence, d’emprunter cette voie.