Président du club strasbourgeois depuis mai 2010, Martial Bellon (65 ans) préfère voir le verre à moitié plein qu’à moitié vide alors que son club a perdu cinq finales de championnat de suite entre 2012 et 2017. Entretien pour Le Quotidien du Sport et France Basket.
Sur sa lancée de la saison passée, Strasbourg réalise une très belle saison. Pourtant, on parle beaucoup plus de l’ASVEL ou de Monaco, n’est-ce pas frustrant ?
On est habitué… On travaille avec humilité et ambition et, excepté deux saisons, on est toujours en haut du classement. Sur la dernière décade, on est même de loin le club qui a le meilleur classement. Peut-être qu’on n’est pas assez flashy, mais ce n’est pas notre caractère.
Que manque-t-il à la SIG à part des titres ?
Je ne vois pas même si on doit encore faire des efforts au niveau du développement commercial. Ce qui est sûr, c’est qu’on a beaucoup de public, on a ainsi fait 6000 personnes contre Monaco début décembre, soit la plus grosse affluence basket en France depuis deux ans en dehors du All Star Game.
On est bien soutenus par notre public et nos partenaires. On ne construit pas des équipes avec des joueurs flashy, mais complémentaires, surtout depuis l’arrivée de Nicola Alberani (le directeur sportif, Ndlr). La manière dont le recrutement est construit me convient, avec des équipes très complémentaires elles l’ont démontré qui ont permis de révéler des joueurs. Regardez comment Bonzie Colson était bon chez nous alors que ce n’est pas la même chose à Pinar Karsiyaka.
On pensait que Monaco et Villeurbanne que vous avez battues allaient écraser le championnat et finalement ce n’est pas le cas.
Quand je démarre une compétition, c’est pour la gagner quels que soient les adversaires. J’ai bien conscience que les moyens de l’ASVEL et de Monaco sont largement supérieurs aux nôtres, mais c’est sur le terrain que ça se joue. Villeurbanne n’a pas été épargné par la Covid, ça peut être une explication, ils vont revenir. Monaco, j’ai cru comprendre que ça ne fonctionnait pas bien. Peut-être qu’avec le nouveau coach ça va repartir. Mais ce qui m’intéresse, c’est notre classement.
Martial Bellon et son club outsider
Un classement dominé par les Metropolitans de Vincent Collet, votre ancien coach…
Boulogne a beaucoup de moyens cette saison et j’ai toujours dit que Vincent était un très bon coach. Maintenant, il est trop tôt pour faire un bilan.
Etes-vous surpris par Lassi Tuovi qui a pris la succession de Vincent ?
J’étais convaincu que Lassi en avait les capacités même si certains en doutaient au moment où on a pris cette décision. J’avais la conviction qu’il allait réussir et il l’a prouvé très rapidement. Il est même devenu le coach de la Finlande, c’est le plus jeune coach en Europe.
Tout ça n’est pas le fruit du hasard. C’est un garçon très travailleur, avec un grand talent, une excellente mentalité. Le fait qu’il ait à ses côtés Nicola Alberani joue un rôle très important dans ses bons résultats. On n’en parle pas beaucoup, il est dans l’ombre, mais c’est certainement l’un de nos meilleurs recrutements de ces dernières années.
N’avez-vous pas envie d’effacer cette image de club qui ne gagne pas de titre, de Poulidor du basket français (cinq finales de championnat perdues de suite entre 2012 et 2017, Ndlr) ?
Je suis un compétiteur et bien sûr que j’aurais aimé gagner un titre. Les circonstances ont été ce qu’elles ont été. Il faut aussi regarder le verre à moitié plein. Beaucoup d’équipes auraient aimé être à notre place et jouer autant de fois le titre. Maintenant, au lieu de faire cinq finales, j’aurais préféré n’en faire qu’une et la gagner.
Peut-on parler de malédiction ?
Des explications, on peut toujours en trouver. Probablement que le coach n’a pas su trouver les moyens pour faire gagner l’équipe à ce moment-là. J’ai le souvenir de la défaite contre l’ASVEL en 2016. Jamais on ne devait perdre cette finale !
5 finales de perdu pour Strasbourg
La SIG a dans l’esprit des gens cette image de club qui ne gagne pas…
Le club a aujourd’hui la plus forte affluence en France et est devenu une des places fortes du
basket français. En rugby, Clermont a gagné sa finale à sa 11ème tentative, ça n’en reste pas moins un des plus grands clubs français. On ne peut pas réduire Strasbourg à ces cinq finales perdues de Jeep Elite et à cette finale perdue en EuroCup.
Le public vient en nombre au point que le Rhenus est devenu trop petit et que vous avez le projet de passer sa capacité de 6000 à 8000 places en 2024.
Avant la Covid, lors de la saison 2018/2019, nous avions fait 13 matches à guichets fermés. Quand j’ai lancé en 2015 ce projet d’agrandissement, les gens pensaient qu’on était trop ambitieux, finalement ils se sont rendus compte qu’on faisait régulièrement le plein et que ce n’était pas une hérésie de vouloir l’agrandir. Nous avons déposé le permis de construire le 22 décembre. Nous avons pris certaines décisions pour intégrer l’augmentation du coût des matériaux et il n’y aura plus d’extension possible à 10 000 et on restera sur 8500, ce qui nous paraît suffisant.
« La SIG souhaite dépasser les 10 millions de budget »
Pau a été racheté par des Américains. Etes-vous ouvert à un rachat en cas de riche investisseur ?
On a monté une gouvernance tout à fait particulière à la SIG. Quand je suis devenu président en 2010, la collectivité voulait vendre le club, elle m’a demandé de le privatiser. On a choisi une formule originale et on est les premiers à l’avoir fait dans le sport français : ce sont les acteurs territoriaux qui sont devenus actionnaires.
Aujourd’hui, deux sociétés possèdent le club en sein de la holding SIG Groupe, SIG & Entreprises avec 100 entreprises qui ont toutes une action à 5000 euros, et de l’autre côté SIG & Territoire avec 600 supporteurs qui ont tous une action à 100 euros. La SIG n’appartient à personne, mais à tout le monde dans le cadre d’une gouvernance organisée.
Jouer l’Euroligue fait-il partie de vos ambitions à moyen terme ?
On n’est pas en capacité aujourd’hui d’avoir les budgets pour l’Euroligue. Avec la nouvelle Arena, mon objectif est qu’on dépasse les 10 millions de budget et à ce moment-là on pourra regarder.
Que vous inspire la situation médiatique du basket français alors que BeIN SPORTS vient de récupérer les droits pour une saison ?
Le basket français n’est pas dans une bonne situation économique. Les clubs ont réussi notamment grâce aux aides gouvernementales à rebâtir des budgets conséquents d’après crise, ce n’est pas le cas de la Ligue Nationale de Basket.
Il faut se poser les bonnes questions, avoir le courage de faire des réformes qui, peut-être, ne paraissent pas populaires, mais qui répondent à un objectif de business. Le patron, c’est le client, il faut écouter le client et probablement qu’on ne l’écoute pas assez.
Martial Bellon appel à une évolution du basket français
Que souhaite le public ?
Les jeunes consomment le basket de manière différente. Ils ne regardent par exemple plus un match en entier. On doit faire encore plus d’efforts sur les réseaux sociaux, il faut que l’on soit plus people dans notre approche.
On est concurrencé par la NBA, mais je regarde de temps en temps des matches en saison régulière et, objectivement, par rapport à ce qu’on peut produire en France l’écart n’est pas colossal. J’étais allé il y a trois ans voir à Paris le match Charlotte-Milwaukee, c’était plein, mais sur un plan basket ce n’était pas du tout intéressant.
Le marketing de la NBA est très bien fait, mais à certains égards on a en France une compétition sur le plan sportif qui n’a pas à en souffrir. On est en capacité à produire du bon spectacle.
Il faut aussi avoir les joueurs. Les stars évoluent plutôt à l’étranger…
La France est probablement le seul pays en Europe où vous avez tous les sports professionnels collectifs hommes et femmes. La part du gâteau du partenariat est ce qu’elle est. On ne peut pas l’agrandir. Elle se partage entre tous ces sports. Il faudra à un moment ou à un autre qu’on fasse des choix.
Ce que le rugby a fait il y a de nombreuses années et c’est la raison pour laquelle il est très populaire. On ne peut pas durablement être présent partout, dans tous les territoires, dans tous les sports collectifs, sur le plan masculin et féminin. Les moyens financiers mis à disposition ne le permettent pas.
Ou on continue dans ce pays à dépendre très fortement des collectivités locales ou c’est la puissance privée qui prend le pas. On ne peut pas être d’un côté Coubertin, l’important c’est de participer, et de l’autre vouloir être compétitif au plan européen. Dans le sport de haut niveau, il faut des moyens. C’est un discours compliqué à entendre en France. Mais nous n’avons pas les moyens d’entretenir tous les sports collectifs masculin et féminin en France !
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