Mathieu Raynal va disputer sa troisième Coupe du monde. Il sera le seul arbitre central français à officier (Pierre Brousset sera à la touche). Entretien pour Rugby magazine et Le Quotidien Du Sport.
Comment un arbitre se prépare-t-il pour une Coupe du monde ?
La préparation se fait sur quatre ans. On s’y prépare sur toutes les compétitions auxquelles on participe. L’objectif est d’arriver à la Coupe du monde avec un maximum de confiance et de cohérence entre nous. On s’est réunis récemment avec tous les entraîneurs des nations qui vont y participer pour mener des discussions et trouver un consensus sur comment arbitrer les phases de jeu problématiques.
Ces échanges sont très importants. Ensuite, on partira en stage avec les arbitres fin juin. Puis on attaquera les tournées d’été et les matches de préparation qui nous serviront à peaufiner des process qu’on utilise déjà, à expérimenter et trouver le meilleur équilibre de fonctionnement sur le « bunker » qui devrait être utilisé lors de la Coupe du monde.
Qu’avez-vous ressenti lorsque vous avez appris votre désignation pour disputer la Coupe du monde à domicile ?
C’est une immense fierté d’y être. Même si je m’y attendais, je suis très heureux que mon travail soit reconnu et très sensible à la confiance qui m’est accordée par World Rugby. Après, c’est aussi une grande responsabilité. Etre sélectionné, je dirai que c’est 2% du chemin. La Coupe du monde n’a pas commencé et il reste toujours 48 matches à arbitrer donc le plus dur reste à venir et le plus gros challenge est devant nous.
En France, le rugby est très suivi, donc la pression sera forte et l’environnement plus hostile qu’ailleurs. Le public français est très exigeant en matière d’arbitrage et je n’ai pas souvenir d’une quelconque indulgence de la presse à notre égard. La passion et l’engouement autour de cet événement et particulièrement autour de l’équipe de France seront énormes.
Mathieu Raynal innove par son parcours
Vous êtes le seul arbitre central français retenu. Qu’est-ce que cela vous inspire ?
J’ai connu des moments difficiles où tout aurait pu s’arrêter. Mais je ne changerai rien à ce parcours. Finalement, les moments les plus durs ont été ceux qui m’ont le plus apporté et ils me permettent aujourd’hui d’apprécier cette sélection tout en restant humble face à l’ampleur de la tâche qui se profile et tranquille face à la pression.
Est-ce inquiétant pour l’arbitrage français ?
Oui et non. Non parce que rien n’est jamais figé dans le sport. Quand tu n’as pas les résultats escomptés, tu essaies de comprendre pourquoi, tu élabores une stratégie puis tu travailles et tu mets tout en œuvre pour inverser la tendance. D’un autre côté, c’est inquiétant parce que le chantier semble assez vaste et je doute à l’heure actuelle de notre capacité à faire le bon diagnostic.
Surtout si nous continuons à ne pas considérer l’arbitrage en division professionnelle comme un sport de haut niveau et à ne pas désigner le travail, la performance, la compétence et surtout le mérite comme les fondations non négociables de notre projet. En quinze années de division professionnelle, j’ai vu le rugby se développer et se structurer très vite et nous beaucoup moins.
Construire des arbitres de haut niveau de manière constante demande un vrai savoir-faire. Ce n’est qu’au prix d’une autocritique rigoureuse et de changements majeurs dans notre fonctionnement que l’on s’offrira une opportunité de retrouver un leadership mondial durable en matière d’arbitrage ou alors il faudra s’en remettre à la chance, attendre l’émergence d’un arbitre talentueux et croiser les doigts pour qu’il réussisse en dehors de nos frontières.
« Construire des arbitres de haut niveau demande un vrai savoir-faire. Ce n’est qu’au prix de changements majeurs que l’on s’offrira une opportunité de retrouver un leadership mondial durable »
Il y a quelques semaines, vous avez été impliqué dans une polémique sur le test Australie-Nouvelle-Zélande. A-t-il été facile pour vous de passer outre les polémiques qui ont suivi cette décision ?
Quand on est arbitre, on grandit avec la critique. Elle est présente depuis le premier jour donc je suis habitué à vivre avec. C’est un bon compagnon de route qui vous apprend beaucoup sur vous-même et sur la nature humaine, sur ce qui est important et ce qui ne l’est pas.
Je crois en moi et en ce que je fais, et cette confiance n’est pas construite sur l’avis des réseaux sociaux ou de la presse. Elle est plus rationnelle et s’est construite sur la longueur de mon parcours. Elle ne peut pas être remise en question à l’issue d’un simple débat sur une position que je prends sur le terrain.
Ce qui ne m’empêche pas d’être frustré quand je fais une erreur. Quand je perçois mal quelque chose sur le terrain, c’est ça qui m’affecte. Ce ne sont pas les commentaires des gens. Mon seul souci, quand techniquement je fais une erreur, c’est comment faire pour ne pas que ça se reproduise. Et ça c’est un peu le quotidien pour un arbitre.
Est-ce plus compliqué d’arbitrer qu’il y a quelques années ?
La puissance des images et les ralentis ont trouvé dans les réseaux sociaux une caisse de résonance importante qui favorise l’émergence de polémiques, de débats, où des gens sans compétence étalent leurs points de vue et en font des vérités. L’arrivée de la vidéo rehausse aussi le niveau d’exigence du public à l’égard des arbitres. Ils sont moins tolérants à l’erreur puisqu’ils ne comprennent pas qu’on puisse se tromper avec l’aide de la vidéo. Ils doivent probablement oublier qu’il y a un homme derrière l’écran.
J’arbitre en pro depuis 2007 donc j’ai vu un grand nombre de matches basculer sur des erreurs et, ce qui est rassurant, c’est que les arbitres n’en étaient pas tout le temps les auteurs. Donc que tu sois entraîneur, joueur ou arbitre, il y a une certaine égalité face aux erreurs puisque on en est les auteurs à tour de rôle. Là où il y a inégalité, c’est lorsqu’il s’agit de pardonner.