Avant de quitter Villeneuve-d’Ascq pour rejoindre la WNBA et les Connecticut Sun, le coach des championnes de France 2024, Rachid Méziane nous avait accordé une interview en début de saison. Une interview très instructive avec le recul…
On parle beaucoup de la fuite des talents français à l’étranger chez les garçons. L’intersaison a aussi été agitée chez les filles. Faut-il s’en inquiéter ?
C’est dommage de voir nos internationales partir à l’étranger. Il y a certainement une incompatibilité avec le calendrier de la WNBA puisqu’elles peuvent aller justement dans d’autres championnats et en l’occurrence le championnat turc pour après rejoindre leur franchise WNBA. Il y a certainement aussi un attrait financier. C’est dommage de voir partir nos meilleurs éléments même si ça permet de mettre en avant les jeunes joueuses. Mais l’un n’empêche pas l’autre. Nos joueuses expérimentées peuvent tirer vers le haut les jeunes. Je préférais les avoir dans notre championnat, ça ne peut que le rendre meilleur, plus qualitatif, encore plus dense.
Dans l’équipe de France finaliste des derniers Jeux, 9 joueuses évoluaient en France. Là, il n’y en a plus que 3. Le niveau du championnat ne risque-t-il pas de baisser ?
Ce serait manquer de respect à toutes ces internationales qui sont aujourd’hui à l’étranger de dire que notre championnat va être plus fort sans elles ! Il aurait été plus fort avec elles parce que ce sont des joueuses qui ont des impacts significatifs. Le championnat reste homogène mais, en termes de qualité, il risque de baisser. Mais il ne faut pas sous-estimer les jeunes joueuses qui viennent prendre leur place. Il y a certainement une période de transition qu’il va falloir gérer pour retrouver le niveau de jeu qu’on a pu avoir ces dernières années.
« Janelle (Salaün) a largement les compétences et les épaules pour aller chercher de plus grosses écuries que Schio »
Aller de nouveau en finale de l’Euroligue comme l’a réussi Villeneuve-d’Ascq la saison passée cela risque d’être compliqué pour les clubs français, non ?
C’est plus compliqué avec moins de ressources, moins de talent, moins d’expérience. Quand on additionne tous ces paramètres-là, ça peut nous rendre moins compétitif. Il ne faut pas se voiler la face par rapport à cette réalité-là.
Villeneuve-d’Ascq a perdu Janelle Salaün qui est partie en Italie à Schio. Est-ce un choix financier ?
Je ne pense pas. Ça faisait déjà quelques années qu’on travaillait ensemble, elle est gourmande d’expériences, d’aventures différentes. Déjà la saison d’avant, elle avait manifesté l’envie de partir. J’avais réussi à la convaincre de rester une année supplémentaire pour consolider ses acquis et nous accompagner encore vers cette dernière marche pour aller chercher un titre et continuer à s’aguerrir et développer son leadership. Après cette saison-là, comme certaines me l’ont dit : « Mais qu’est-ce qu’on va pouvoir faire de plus en France quand on est champion de France et vice-champion d’Europe ? » C’est légitime aussi de sa part d’aller explorer d’autres championnats. Après, pour moi, elle a largement les compétences et les épaules pour aller chercher encore peut-être de plus grosses écuries même si Schio est une très belle équipe. Je pense qu’elle a eu des contacts avec de plus gros clubs. Après, c’est une question de choix. Elle a peut-être considéré Schio comme une étape pour elle.
Mersin vous a contacté en avril dernier, cette réflexion vous l’avez donc eue aussi (l’entretien a été réalisé avant qu’il ne quitte en janvier Villeneuve-d’Ascq pour la WNBA (Connecticut Sun), Ndlr).
Il y a eu des contacts avec différents clubs comme il y en a eus régulièrement, mais j’étais alors très bien à Villeneuve, j’y étais très épanoui, j’appréciais l’environnement, l’atmosphère, le club, les moyens qu’on me donnait pour exercer ma fonction de coach. Il y avait peut-être un moment dans ma tête l’envie de découvrir autre chose. Les opportunités ne sont pas toujours présentes, elles ne sont pas toujours à portée de main. L’aspect financier n’était pas ma principale
motivation. C’est plus intéressant, c’est sûr, mais ce n’est pas ce qui aurait pu déclencher un départ vers l’étranger, c’était plutôt le côté sportif. Ce sont des équipes qu’on voit systématiquement sur des Final Four d’Euroligue. C’était plus ça qui m’aurait intéressé, excité que quelques milliers d’euros en plus. J’étais sous contrat. Si les choses avaient pu se faire naturellement, j’aurais dit oui, mais je n’ai pas voulu forcer les choses. Peut-être que ce n’était pas l’heure pour moi (sourire) (début décembre, Villeneuve-d’Ascq a finalement accepté de libérer le 31 décembre Rachid Méziane pour aller entraîner en WNBA, Ndlr).
« Un championnat qui durerait six mois ne va pas nous aider. Si on disparaît du paysage pendant six mois, d’autres vont prendre notre place »
Mersin a fait cet été son marché en France en recrutant trois internationales françaises. Il y a de quoi s’inquiéter, non ?
Fenerbahçe a dans ses rangs Gaby Williams et Marième Badiane. Mersin a trois autres Françaises (Marine Fauthoux, Marine Johannès et Iliana Rupert, Ndlr). C’est aussi une belle promotion de nos joueuses françaises. Aujourd’hui, c’est la Turquie, mais demain il y aura d’autres championnats peut-être auxquels on ne s’attend pas comme la Chine. Il se passe beaucoup de choses dans d’autres continents où ça peut être très attractif et compatible avec la WNBA. Il faut savoir ce qu’on veut. Veut-on organiser les choses pour garder nos joueuses françaises en France ou est-on prêt à assumer l’exode de nos internationales ? En tout cas, on ne peut pas en vouloir à ces gros clubs de s’intéresser aux meilleures joueuses et aujourd’hui elles sont Françaises. La question, c’est comment on essaie de limiter ces départs.
Le naming du championnat de France peut-il aider les clubs français à garder les joueuses ? C’est bien d’avoir un namer parce que c’est ce qui se passe partout maintenant dans les championnats professionnels. Après, je n’ai pas les tenants et les aboutissants sur l’impact que ça a au niveau du budget de Villeneuve-d’Ascq ou des autres clubs. Par contre, j’espère que ça en aura sur la visibilité et la médiatisation.
Si des internationales françaises sont parties à l’étranger, il reste néanmoins des Carla Leite et des Dominique Malonga. Mais qui derrière ?
Il y a aussi Leila Lacan à Basket Landes sur qui les projecteurs sont aussi mis cette saison. A Villeneuve-d’Ascq, j’avais aussi dans mon effectif Marie-Paule Foppossi. On a des jeunes joueuses.
« Il y a des choses à faire pour faire en sorte que nos meilleurs sportifs restent chez nous »
Villeneuve-d’Ascq peut-il vraiment garder Carla Leite plus d’une saison ?
Le club le souhaite. La proposition qui lui a été faite va sur trois ans pour redémarrer avec elle un nouveau cycle et faire avec elle ce qui a été fait avec Janelle (Salaün). C’est le crédo du club de faire grandir de jeunes joueuses. Il y a aussi Maia Hirsch et Aminata Gueye.
L’évolution de la WNBA ne risque-t-elle pas de compliquer encore plus la tâche ?
Pour l’instant, le calendrier de la WNBA n’est pas calqué sur le championnat de France, le championnat espagnol ou le championnat italien. Pour les joueuses expérimentées qui ne sont pas des rookies, il faut choisir soit d’arrêter de jouer au 30 avril en Europe pour aller en WNBA soit de faire une croix sur la WNBA. Les rookies ont elles droit à trois saisons où elles peuvent continuer à jouer dans ces championnats-là avant de rejoindre les franchises de la WNBA. Mais comme je le disais, c’est vraiment une question de posture. Qu’est-ce qu’on a envie d’être : a-t-on envie d’être une ligue de développement de la WNBA même si ce n’est pas ce que je pense ou a-t-on envie de rester ce que nous sommes, c’est-à-dire un championnat dominant et faire en sorte de conserver nos joueuses, dans ce cas-là comment financièrement peuvent-elles percevoir la même chose que dans d’autres clubs en Europe ou abandonner l’idée d’aller en WNBA. Il faut rendre le championnat encore plus attractif. Il y a encore trois championnats aujourd’hui qui sont quand même des championnats majeurs en Europe qui ne sont pas compatibles avec la WNBA. La Turquie et la Pologne assument vouloir faire un championnat avec beaucoup de joueuses étrangères, donc beaucoup de joueuses américaines qui peuvent rejoindre après la WNBA. C’est une question de stratégie.
« L’Euroligue en France, c’est le mercredi, mais c’est aussi tous les samedis ! »
Qu’est-on aujourd’hui selon vous : une ligue de développement ?
Aujourd’hui, on est l’une des meilleures Ligues et on a tout intérêt à garder cette vocation, à le rester, à pérenniser les choses. Si on ne veut pas diminuer la durée de notre championnat et je peux entendre que ce soit difficile de le raccourcir parce qu’on a quand même des joueuses sous contrat pendant 12 mois. Il faut aussi se mettre à la place des employeurs. La visibilité qu’on veut avoir dans un milieu qui est ultra concurrentiel. Un championnat qui durerait six mois, ce n’est pas quelque chose qui va nous aider parce que si on disparaît du paysage pendant six mois, d’autres vont prendre notre place. Il y a vraiment des curseurs à mettre aux bons endroits pour rester compétitif, pour continuer à être attractif pour nos joueuses françaises, pour les joueuses étrangères. Là, on parle des joueuses françaises, mais ça va être le cas avec les joueuses étrangères. Aujourd’hui, elles se posent la même question avec un championnat WNBA qui est plus long. Il y a de plus en plus de franchises. Peut-être que demain ils vont proposer un championnat qui va être encore plus long. Ce qui est déjà le cas chez les garçons avec la G-League. On est à un tournant. A voir comment on négocie ce virage-là. J’aimerais que nos internationales restent en France pour la qualité de notre championnat, pour nos spectateurs. Les affluences dans les salles sont de plus en plus importantes. J’espère qu’on pourra surfer sur cette vague des Jeux Olympiques.
Comment lutter en termes de salaires ?
Il y a certainement des leviers à activer. Au niveau fiscal, ne peut-on pas faire les choses comme ça se fait dans d’autres pays ? Les entreprises qui aident certains clubs sportifs sont exonérées de taxes. Il y a des choses à faire pour faire en sorte que nos meilleurs sportifs restent chez nous. J’en connais beaucoup qui partent à l’étranger pour ce côté sportif, pour l’Euroligue. Mais moi je vous assure que l’Euroligue en France, c’est le mercredi, mais c’est aussi tous les samedis !