Président du Stade Toulousain depuis juillet 2017, Didier Lacroix (54 ans) en a aussi été joueur (champion de France en 1994, 1995, 1996, 1997, 1999, 2001, vainqueur de la Coupe d’Europe en 1996). Il nous livre les clés pour que les Rouge et Noir continuent de rester au sommet. Entretien pour Rugby Magazine et Le Quotidien Du Sport.
Seriez-vous favorable à une Ligue fermée, comme dans l’hémisphère Sud ?
On n’a pas cette culture-là. Quoi de plus beau dans les différentes séries que le match de la montée et bien entendu la terrible décision du match de la descente. Une Ligue fermée n’est pas du tout ce qui nous correspond.
Le rugby pas dans l’objectif d’une Ligue fermée
La Coupe du monde va passer à 24, il va y avoir une Coupe des Nations. On parle aussi d’une Coupe du monde des clubs en 2028. N’est-on pas en train de dépasser la limite en termes de matches ?
Franchement, je ne pense pas. Les joueurs auront toujours envie de gagner plus. Peut-être de jouer un petit peu moins, et encore, je n’en suis pas sûr. Ça dépendra des périodes dans leur carrière. Les joueurs ont de l’appétit pour jouer, pour faire un grand nombre de matches. Sauf que, effectivement, ils ne peuvent pas jouer tous les matches de Top 14, de Champions Cup et tous les matches internationaux.
On est obligé de faire un certain nombre d’arbitrages. C’est pour ça aussi que les effectifs sont de plus en plus denses. Des quotas de matches ou des choses qui sont enfermées ne correspondent pas à notre besoin et à notre rugby. Les gens en responsabilités, les managers et les coachs, sont largement assez responsables pour gérer conjointement avec les joueurs des carrières, des saisons, des matches et arbitrer de leur présence ou non avec suffisamment d’intelligence et d’intérêt et de protection.
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Didier Lacroix pas chaud sur la proposition de Provale
Provale demande que les joueurs ne jouent pas plus de 6 matches de suite…
Les joueurs ne pourront pas jouer moins de matches, gagner plus d’argent et choisir leurs matches. Quand l’équipe de France commence à moins gagner, on remet en cause le nombre de matches joués par les joueurs. Si vous regardez les temps de jeu des Néo-Zélandais, je ne suis pas sûr qu’ils aient à rougir par rapport aux nôtres.
Quand vous voyez le Racing qui prend le capitaine des Boks Kolisi double champion du monde, cela ne vous fait-il pas envie ou vous posez-vous des questions alors que le club vient également de recruter Farrell ?
Je laisse chacun prendre sa trajectoire. A Toulouse, on vient de recruter Blair Kinghorn, on parle là d’un recrutement international. C’est intéressant sur ce qu’il nous apporte par rapport à notre effectif actuel. Mais, pour répondre à votre question, je ne suis pas certain que j’ai besoin de recruter des stars alors qu’on est nous-mêmes en capacité de créer des stars internationales françaises. Je suis fabuleusement fier d’avoir des Romain Ntamack, des Julien Marchand, des Cyril Baille, des Aldegheri, des Jelonch dans mon effectif. A un moment, c’est une question d’équilibre. Les starisations ou les équipes qui ont voulu rajouter une somme d’individualités n’ont pas toujours fonctionné.
« Penaud est un international, nous devons aussi faire des arbitrages »
Avez-vous essayé d’avoir Damian Penaud qui a quitté Clermont pour Bordeaux-Bègles ?
Si le Stade Toulousain avait recruté Damian Penaud, vous auriez posé la question : « Vous n’en avez pas marre de recruter des joueurs internationaux et de vous plaindre après de ne pas les avoir ? » Donc effectivement, de temps en temps, on est obligés de faire ces arbitrages qui ne permettent pas de recruter tous les joueurs internationaux, y compris certains qui ont envie de venir chez nous.
On est dans une équation du respect du salary cap, une équation de pouvoir jouer avec une équipe privée de ses internationaux et de tenir son rang tout au long de l’année qui ne permet pas effectivement de recruter tous les joueurs internationaux, aussi bons soient-ils. Le Stade Toulousain avait certainement des raisons, de par la qualité de ce joueur, de recruter Damian Penaud, avec en plus un papa qui a joué avec moi sous les couleurs rouge et noir. Sauf, qu’à un moment, dans l’équation globale, en prenant tous les éléments, il y a des choses qui sont faisables et d’autres qui le sont moins.
« Je ne suis pas certain que j’ai besoin de recruter des stars alors qu’on est nous-mêmes en capacité de créer des stars internationales françaises »
La Rochelle a gagné les deux dernières Coupes d’Europe. Le Stade Toulousain est-il encore le club numéro un en France ?
Ce sont les champions d’Europe en titre, oui. Après, si on parle d’audience, de popularité, je pense que le Stade Toulousain reste un club leader. Mais on ne se nourrit pas de la jalousie des autres clubs. Au contraire. Je suis intimement convaincu que la victoire au niveau international de La Rochelle a fait grandir globalement le rugby français et in fine permet au Stade Toulousain d’avoir des rencontres encore plus belles.
Il y a également une montée en puissance de Bordeaux. A Toulouse, on essaye de s’inscrire avec une certaine pérennité, une certaine régularité. Les résultats d’un club ne se regardent pas seulement sur l’équipe première, mais aussi sur l’ensemble de ses équipes en prenant aussi en compte les féminines. Et, pour l’instant, je ne pense pas qu’on soit en train de jouer les seconds rôles ou seulement le second rôle.
Beaucoup de clubs de foot sont rachetés par des Américains ou des Chinois. Le rugby est-il à l’abri quand on voit par exemple que l’Arabie Saoudite veut organiser la Coupe du monde ?
Si le Stade Toulousain se mettait sur le marché demain matin, il aurait un certain nombre d’investisseurs potentiels qui seraient intéressés par son acquisition… Aujourd’hui, on a un parcours et une stratégie dans le club qui est plutôt de se donner l’indépendance et l’autonomie des décisions sur les bases qui ont été les bases formatrices de notre club, à savoir les deux associations, l’association issue de la formation et l’association des amis du Stade qui sont nos actionnaires de référence.
Rentrer dans un process économique comme certains le font, c’est un modèle différent avec des investisseurs plutôt français jusqu’à maintenant. Mais c’est une réalité de l’économie du monde du rugby actuel. Pour autant, du côté Stade Toulousain, on essaye de retarder l’échéance pour être encore une fois en capacité de générer notre économie et de rester indépendant.
Le monde du sport a un certain nombre d’investisseurs qui viennent parce qu’ils pensent que l’économie du sport devient de plus en plus sécure avec l’ensemble des compétitions qui existent et notamment les droits télés qui sont des revenus qui sont fixés sur plusieurs années et qui donnent cette fameuse visibilité à certaines marques.
C’est la démarche de bon nombre de clubs de foot français. C’est la démarche d’un certain nombre de clubs de rugby, vous avez parlé du Racing, mais d’autres sont sur un modèle plus équilibré, comme Bordeaux et La Rochelle, ce qui semblerait correspondre à ce jour davantage au modèle du rugby.
Le sujet des investisseurs pas tabou
Mais suffirait-il qu’un club de rugby franchisse le pas pour que la brèche s’ouvre ?
Le rugby ne fait pas barrage et moi je ne fais surtout pas partie des présidents donneurs de leçons en diabolisant des gens qui viennent dans le rugby par passion, apporter de leur fortune personnelle ou de leur réussite professionnelle, en l’injectant dans le monde du rugby.
Les gens qui l’ont fait, à Toulon, au Racing, au Stade Français, pour ne citer qu’eux, mais on peut citer aussi Nevers et bon nombre de gens qui sont dans la même démarche et qui sont à la tête du club local de Série, de Fédérale, ce sont des gens qui doivent avoir un énorme respect du monde du rugby pour leur engagement et leur investissement pour accompagner un club.
Le rugby ne l’interdit pas ! Il essaye juste de faire en sorte que les gens soient respectueux des années d’histoire qu’il y avait avant eux tant vis à vis du club que des championnats en cours pour essayer de venir s’inscrire dans une histoire déjà existante plutôt que de vouloir la changer pour la changer.
Lacroix vigilant sur l’avenir du Stade Toulousain
Le Stade Toulousain a tout gagné. Quel est aujourd’hui votre rêve ?
Il y a deux choses primordiales. La première, c’est d’être suffisamment vigilant pour ne jamais s’endormir sur nos lauriers. Et pour ça, il y a toujours deux choses qui vous mettent en appétit. La première, elle est sportive, la compétition de demain.
On parlait de la compétition internationale, d’un Mondial des clubs qui pourrait voir le jour en 2028, ou peut-être un peu avant, et qui viendra coiffer la Champions Cup actuelle parce qu’on ne peut pas toujours rajouter des compétitions, elle viendra certainement parachever une fin d’année de Champions Cup en compétition mondiale.
C’est une évidence dans l’histoire du Stade Toulousain qui a une histoire liée à ce rugby international au travers des clubs que l’on doit à Jean Fabre, à Pierre Villepreux qui dès les années 80 ont organisé le Master, le Centenaire, qui sont des compétitions qui ont existé avant même les Coupes du monde des nations, avant même la Coupe d’Europe.
On a ça dans nos gènes. Et la deuxième chose, pour arriver à ça et rester dans l’indépendance dans laquelle nous sommes, on doit moderniser nos installations, construire le stade de demain qui va nous permettre encore une fois de garder le Stade Toulousain dans l’échiquier national et international dans lequel on veut combattre pour les premières places pour pérenniser ce statut le plus longtemps possible.