Ancien entraîneur de Montpellier et Lyon, Xavier Garbajosa nous apporte son expertise sur la Champions Cup 2024/2025 qui débute le 6 décembre avec le match Bath-La Rochelle. Une Champions Cup qu’il a gagnée en 2003 avec Toulouse et qu’il commente cette saison sur beIN Sports.
Qui voyez-vous cette saison remporter la Champions Cup ?
Il y a une forme de logique à mettre Toulouse parce qu’ils sont les tenants du titre et que c’est une équipe qui, depuis de nombreuses années, a toujours objectivé de gagner cette compétition. Bordeaux, de par la saison qu’ils ont faite la saison dernière et qui a été riche sur les deux tableaux avec une finale de Top 14 et un quart de finale de Coupe d’Europe qu’ils auraient pu gagner, qu’ils auraient dû gagner avec un peu plus de maîtrise sur la fin. On peut mettre La Rochelle, de par l’expérience et l’historique qui est la leur même si la saison dernière a été plus complexe, mais qui peut s’expliquer aussi par le fait que, trois ans auparavant, ils ont joué tous les matches possibles et inimaginables, avec des déceptions majeures, mais aussi avec des moments de joie comme ces deux Coupes d’Europe gagnées, mais avec la même équipe donc pas mal de fatigue engendrée pendant trois ans donc une baisse de fraîcheur la saison passée avec une Coupe d’Europe pas réussie. Après, Toulon ou le Racing. Toulon parce qu’historiquement ce club a une forte appétence pour cette compétition-là. Ça fait maintenant quelques années que Pierre (Mignoni) est revenu et, petit à petit, il a mis en place son projet. On ne peut pas mener de front deux objectifs au risque de se casser la gueule. Son premier objectif était de sécuriser, de réguler, d’objectiver le Top 14, ce qu’il est en train de faire. Construire une équipe aussi en fonction et, aujourd’hui, je pense qu’ils ont relativement de forces en présence en quantité et en qualité, pour pouvoir objectiver les deux compétitions. Donc cette saison la Coupe d’Europe va être un objectif pour les Toulonnais.
« Il y a quand même du talent dans cette équipe du Racing »
Le Racing, y croyez-vous vraiment après leur début de saison compliqué ?
Sur le papier, c’est une équipe qui a de l’expérience, de la qualité, du talent. Sauf qu’aujourd’hui elle n’a pas le rendement que l’on pourrait espérer par rapport aux joueurs qui composent cette équipe.
Peut-on dire que le Racing, c’est une somme d’individualités au contraire du Stade Toulousain qui est une équipe ?
La dynamique n’est pas la même. Aujourd’hui, c’est un nouveau projet au Racing avec Lancaster qui est arrivé l’année dernière. Il faut du temps pour mettre en place un projet, pour se faire comprendre, pour que les joueurs l’acceptent et se l’accaparent. Le Racing a eu un début de championnat chaotique, compliqué, pas mal de doutes, pas mal de questionnements sur le niveau, sauf que ce sont des joueurs de talent, il y a de la qualité, beaucoup de qualité, de l’expérience. La Coupe d’Europe peut leur permettre de mettre en pause ce championnat et pourquoi pas attaquer cette Coupe d’Europe avec finalement beaucoup de motivation, d’envie sans pression nauséabonde.
Owen Farrell ne risque-t-il pas d’être un flop comme Kolisi ?
Encore une fois, il faut laisser le temps aux joueurs de pouvoir s’adapter. C’est une culture différente, ne serait-ce que la langue, la compréhension. Et puis il joue à un poste (demi d’ouverture, Ndlr) qui est important, qui est charnière dans une équipe, donc la barrière de la langue n’aide pas. Leader, il l’est par l’homme qu’il est, par la carrière qui est la sienne, mais il a besoin de temps pour pouvoir s’affirmer et pour pouvoir guider ses partenaires.
Il faut aussi qu’il s’adapte au manque de ferveur au Racing…
On ne recrute pas non plus les joueurs pour leur talent sur scène ! (sic) On recrute des talents pour leurs qualités rugbystiques et ce qu’ils peuvent amener sur et en dehors. Quelqu’un comme Farrell, il n’y a pas trop de doutes à avoir sur sa personnalité. C’est un drôle de compétiteur. Sauf que là, c’est un nouveau projet dans un nouveau pays, avec une nouvelle langue, avec une nouvelle culture, avec un projet de jeu qui n’était forcément pas le même aux Saracens où il a passé 20 ans. Par rapport à Kolisi, l’avantage avec Farrell, c’est que lui a fait une croix sur la sélection tandis que Kolisi continuait à être retenu avec l’Afrique du Sud. En tant que capitaine, c’était difficile de pouvoir tout gérer, quand on sait que notre championnat est quand même très long, fastidieux, qu’il n’y a pas de matches faciles et qu’un garçon comme Kolisi, quand on l’a dans son équipe, on a envie qu’il joue tous les matches. Sauf que, physiquement, c’est difficilement envisageable de pouvoir le mettre tous les week-ends sur le terrain. Mais le Racing peut ambitionner de se qualifier.
« Toulouse veut tout gagner ! »
A la fin, en Coupe d’Europe, c’est souvent un club français qui gagne…
Sur les quatre dernières années, c’est un club français qui gagne (Toulouse en 2021 et 2024, La Rochelle en 2022 et 2023, Ndlr) parce que le championnat français est le meilleur. La formation française, quand on voit l’équipe de France, les résultats, les jeunes qui jouent, toutes les réformes qui ont été prises, le salary cap et surtout le JIFF, montrent qu’on a su élever, éduquer les jeunes. Aujourd’hui, il y a une forme d’émulation en France. Bon nombre de jeunes jouent. Ils ne font pas que jouer pour avoir du temps de jeu ou remplacer, ils jouent en étant compétitifs. Ça crée de l’émulation dans chaque club, à chaque poste, ce qui permet d’avoir un réservoir pléthorique. Aujourd’hui, c’est Toulouse, ça a été La Rochelle deux fois. Vous allez me dire qu’on retombe sur les mêmes. Toulouse, historiquement, a été le premier vainqueur de la Coupe d’Europe (en 1996, Ndlr). Pour eux et pour l’avoir vécu et pour y avoir passé une quinzaine d’années, il n’y a pas un objectif Top 14 ou un objectif Coupe d’Europe. Peu importe la compétition, il faut tout gagner !
C’est le Real Madrid du rugby
Je ne sais pas si on peut aller jusque-là, en tout ça reste l’un des meilleurs clubs de France, d’Europe, peut-être d’ailleurs. Au-delà de l’identité de jeu, l’objectif du Stade Toulousain, c’est d’être le meilleur et de gagner toutes les compétitions auxquelles ils vont participer. D’autres clubs visent le Top 14 et en Coupe d’Europe font jouer les jeunes ou mettent des joueurs avec moins de temps de jeu. Ils s’en servent comme d’un labo. Pas le Stade Toulousain. Mais attention aussi au Leinster pour qui la Coupe d’Europe est un objectif très important. Bordeaux aujourd’hui va s’en faire un objectif aussi important que le Top 14. La Rochelle, pour l’avoir goûté et avoir eu le goût de la victoire que vous gardez à vie, va vouloir se remettre dans la course.
Bordeaux-Bègles aura-t-il digéré la leçon prise en finale du Top 14 face au Stade Toulousain ?
Ils vont s’en remettre. C’est une équipe qui développe un très bon jeu, qui est très équilibrée entre les avants et les arrières. Il y a eu un recrutement intéressant pour progresser notamment devant où ils avaient quelques soucis. La saison dernière, c’était pour eux une saison de découverte en jouant les premiers rôles toute la saison avec un jeu hyper plaisant, spectaculaire, assez énergivore bien sûr, parce qu’une capacité de se déplacer beaucoup sur le terrain. Ils ont performé beaucoup dans la grande Coupe d’Europe avec un 8ème de finale gagné contre les Saracens à 60 points (45-12, Ndlr). Ils ont été plutôt spectaculaires. Ils se sont fait cueillir en quarts de finale par les Harlequins à la maison d’un point 42 à 41 par manque de maîtrise. Ils auraient dû le gagner 100 fois ce match ! C’est une équipe qui progresse d’année en année, qui se renforce et elle aussi a des objectifs élevés avec une profondeur de banc qu’elle n’avait sans doute pas la saison dernière. Cette saison, elle s’est renforcée aussi en nombre pour pouvoir pallier ces problématiques de doublons. Quand la saison dernière, elle a perdu toute sa ligne de trois-quarts, elle était plus en difficulté sur les résultats et dans le jeu.
« Ça ne me dérange pas de jouer une Coupe d’Europe avec des clubs sud-africains. C’est aussi bon de pouvoir se confronter à ce qui se fait de mieux »
N’êtes-vous pas choqué de voir des clubs sud-africains en Coupe d’Europe depuis deux ans ?
Ça ne me choque pas parce que c’est dans l’ère du temps et qu’il faut à un moment donné évoluer aussi avec le système, l’écosystème qui est le nôtre. Ce qui est problématique, c’est la gestion des voyages. Mais sinon ça ne me dérange pas de jouer une Coupe d’Europe avec des clubs sud-africains. C’est une nation qui est double championne du monde. C’est aussi bon de pouvoir se confronter à ce qui se fait de mieux dans le monde rugbystique. Ça reste des matches de très haut niveau. Ces équipes sud-africaines invitées il y a deux ans ont gagné la Challenge Cup la saison dernière (avec les Sharks, Ndlr), c’est donc qu’elles se donnent les moyens de bien y figurer et, à court ou moyen terme, ce sont des équipes qui ambitionneront de gagner une grande Coupe d’Europe.