vendredi 19 avril 2024

Isabelle Yacoubou (Tarbes) : « J’arrive à ma limite »

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Arnaud Bertrande
Arnaud Bertrande
Rédacteur en chef — Pole Sport Lafont presse

Toujours aussi performante à 37 ans, Isabelle Yacoubou, qui se livre dans Géante (aux éditions L’Archipel), quittera les parquets dans un an, avant d’embrasser la carrière d’entraîneur. Entretien réalisé pour France Basket et Le Quotidien du Sport.

Etre la meilleure marqueuse française du championnat est-ce une revanche sur ce passage à Bourges qui ne s’est pas trop bien passé ?

Ces trois années à Bourges ont été très difficiles. Ce mariage avec ce staff-là était voué à l’échec dès le départ. Après, je suis quelqu’un de principe. Je m’étais engagée [même si c’était avec un autre président, Pierre Fosset. Au bout de quelques mois, j’ai compris que ça allait être difficile, mais je n’ai pas renoncé. C’était un challenge à relever en allant chercher des ressources supplémentaires alors que jusque-là partout où j’ai joué ça s’était super bien passé. Mais je n’ai pas de rancœur, je ne suis pas revancharde.

Si j’avais voulu l’être, j’aurais pu rejoindre un club davantage concurrent de Bourges pour jouer le titre. Il y avait Lyon et Montpellier, mais aussi des clubs qui jouent le titre depuis des années et qui ne l’ont pas encore gagné et dont le projet était intéressant comme Charleville. Mais je voulais déjà poser les bases de mon après carrière. Tarbes était la meilleure solution pour mon projet extra-basket et pour mon projet de vie.

La saison prochaine devrait être votre dernière année en tant que joueuse avant de vous former pour prendre les rênes de Tarbes.

Je vais d’abord être l’assistante de François (Gomez) pour qu’il m’apprenne le métier. Il faudra aussi que je valide mes diplômes. Le but est d’être prête après ces trois ans pour prendre une équipe. Si c’est à Tarbes, ce sera magnifique sinon ce sera ailleurs.

Vous verriez-vous entraîner des hommes ?
Je ne me mets aucune limite ! Je sais que ce sont deux baskets et deux mondes différents, mais ce n’est pas pour autant que je ne ferai que du féminin. Si j’ai une opportunité avec les garçons, je pense que je la saisirai.

Et sélectionneur ?

Pourquoi pas ! (sourire) C’est le rêve ultime !

« Le basket féminin, c’est l’essence du basket avec le côté technique »

La maternité est souvent un frein. Quand vous êtes tombée enceinte, votre club de Schio ne l’a d’ailleurs pas forcément bien pris. C’est encore compliqué.

Le hand est en avance car elles ont osé. Mais il ne faut pas remettre à demain si on a le projet d’avoir un enfant. L’athlète féminin de haut niveau n’a pas à renoncer à ce droit-là. Les clubs finiront par l’accepter ! Des choses ont été faites, ça bouge et il ne faut surtout pas s’arrêter.

Vous aviez émis l’idée de baisser le panneau pour l’intérêt du basket féminin. Avez-vous d’autres idées pour qu’on parle davantage des féminines ?

Jeune, j’étais hyper athlétique et je dunkais et je ne trouvais pas ça normal qu’on nous parle de l’attractivité du basket car on ne dunkait pas alors qu’on nous faisait jouer sur les mêmes panneaux que les garçons qui font 30 ou 40 cm de plus. J’ai milité quand j’étais cadette pour pouvoir baisser le panneau des filles pour que ce côté spectaculaire puisse être mis davantage en avant. Ce n’est pas passé (sourire).

Quand je regarde les matches, aujourd’hui on a décentralisé l’attention pour la mettre sur des dunks, des alley-oops, sur des qualités physiques. Le basket féminin n’a pas à s’aligner sur ces critères-là et le fait de conserver le côté technique de ce sport fait qu’on a de vrais passionnés qui suivent le basket féminin pour retrouver l’essence de ce basket.

Au niveau salaires, il y a également encore du boulot. Etes-vous choquée quand vous lisez que la mascotte de Denver en NBA touche trois fois plus que la meilleure joueuse WNBA ?

Malheureusement, ça ne me choque plus… C’est un débat qui ne devrait plus avoir lieu. En équipe de France, avec la génération des Braqueuses et grâce notamment à Boris Diaw un grand pas a été fait. En sélection, qu’on soit une fille ou un garçon, on porte le maillot français, on fait les mêmes sacrifices, le même métier. Avant, il y avait un vrai fossé entre les garçons et nous, dans la préparation, les conditions de travail.

On a réussi à rééquilibrer les choses. Les primes et les indemnités journalières sont désormais les mêmes. Il reste encore du boulot. Les voyages en business pour les garçons et en éco pour les filles… Mais on y travaille. Même si je conçois que les garçons sont plus vendables (sic), j’espère qu’un jour ma fille gagnera autant qu’un garçon.

Quelle est votre position sur ces naturalisations qui se multiplient sans toujours des liens avec les pays vous qui avez obtenu la nationalité française en étant Béninoise ?

Ce serait hypocrite de dire que c’est injuste alors que j’en ai bénéficié. Si une Américaine prend un passeport européen pour gagner plus, on peut être plus critique, mais chacun est libre de faire ce qu’il veut. Les clubs et les fédérations leurs offrent cette possibilité. Elles ne l’ont pas volée !

Isabelle Yacoubou favorable aux retours des clubs russes pour renforcer l’attraction du basket

N’est-ce pas dommage de voir qu’un Embiid ne défendra jamais les couleurs du Cameroun ?

J’aurais adoré jouer pour le Bénin. J’ai eu l’opportunité de défendre les couleurs de ce pays en athlétisme (lancer du poids, Ndlr) avec autant d’honneur et de bonheur que quand je porte le maillot bleu. Mais il n’y avait alors pas d’équipe nationale et le niveau n’était pas adapté au mien. C’est pareil pour Embiid. Quel sens cela aurait-il qu’il aille jouer pour le Cameroun alors qu’il veut gagner les Jeux Olympiques ?

Certains basketteurs français ont choisi de jouer en Russie en plein conflit avec l’Ukraine. Auriez-vous pu signer aujourd’hui en Russie (elle a joué au Spartak Moscou en 2012/2013, Ndlr) ?

Pourquoi pas ! Jusqu’à ce que les clubs russes soient exclus de l’Euroligue, c’est là-bas qu’on gagnait le plus d’argent avec des salaires montant jusqu’au million d’euros pour les féminines ! Je comprends que, politiquement, ça puisse être délicat, mais nous avons des carrières courtes, il faut penser à l’avenir et je comprends les joueurs qui font ce choix même si, dans tous les choix que j’ai faits, l’argent n’a jamais été le moteur. J’ai refusé des contrats plus importants et si je suis allée en Russie c’est que je voulais absolument jouer pour Pokey Chatman. J’y suis allée, j’ai vécu mon rêve.

Seriez-vous favorable au retour des clubs russes en Coupe d’Europe ?

Par rapport au conflit, non, mais pour l’environnement économique du basket oui. Ces équipes tirent le basket féminin vers le haut. La preuve, cette saison, les salaires ont baissé et ce sera encore pire la saison prochaine. Une joueuse qui pouvait prétendre à 500 000 euros en Europe, aujourd’hui si elle a 250 000 elle est contente. L’absence des clubs russes pose une vraie question économique.

Est-ce possible que la saison prochaine ne soit pas votre dernière saison ?

Vais-je faire une Céline Dumerc ? (rires) Pour moi, c’est la dernière. J’arrive à ma limite. J’adore encore jouer, mais tout ce qui va autour devient plus compliqué. Il faut que je fasse deux fois plus de travail physique. Mais je suis une femme et je m’autorise à changer d’avis autant que je le veux (sourire).

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