Compagne pendant 13 ans de Christophe Dominici disparu tragiquement le 24 novembre 2020, Loretta Denaro lui rend hommage dans un récit poignant où elle rétablit la vérité face à ceux qui ont trahi les espoirs de son compagnon, laissant clairement entendre qu’il y a un lien avec sa mort.
Ecrire ce livre, est-ce pour rendre son honneur à Christophe ?
J’avais envie de raconter l’histoire, comment ça s’est passé, en parlant pour lui parce qu’aujourd’hui il n’est plus là. C’est un devoir de raconter ce qui s’est passé. Le temps passe, tout le monde a oublié, mais moi je porte ça avec mes filles, Nicole et Jeannot (les parents de Christophe, Ndlr) et je n’oublie pas.
“Sans lui” aux éditions Michel Lafon, un témoignage bouleversant de Loretta Denaro, la compagne de Christophe Dominici.
Après la reprise avortée de Béziers, beaucoup de choses ont été écrites, ont été dites qui ont terni l’image de Christophe…
Tout le monde doit se rappeler de ce qui s’est passé, devant le stade quand il a improvisé sa conférence de presse. On se souvient de son attitude, mais pas de ce qu’il a dit. Il a dit entre les lignes qu’il avait fait confiance à son avocat, qu’il était sûr de tous les documents et qu’il ne comprenait pas que la DNACG ait refusé le projet. Ce trio malfaisant (Samir Ben Romdhane et sa femme Nadia Hattabi, les soi-disant acheteurs potentiels de Béziers et Philippe Baillard, Ndlr) a rejeté la faute sur la DNACG. Christophe a fait front, mais le problème c’était ces trois personnes-là. Comment peut-on acheter un club avec une photocopie d’un chèque ? La société qui devait acheter Béziers venait d’être créée. Il n’y avait donc pas de bilan. Il fallait demander qui était derrière cette société et est-ce que cette personne était en capacité d’acheter un club 3 millions ? A ce jour, grâce à l’appel à témoin que j’ai lancé, d’autres personnes qui ont été dupées par le trio Sotaco se sont manifestées. Des procédures sont bien en cours contre Nadia, Samir et Philippe. Je continue ma quête. Moi, depuis trois ans, je ne dors pas bien la nuit. Comment eux peuvent dormir tranquilles ? On ne peut pas faire comme si ça n’avait pas existé. Christophe serait encore là s’il n’avait pas dépensé autant d’énergie dans ce feuilleton biterrois qui a duré six mois.
Qu’est-ce que vous attendez des procédures contre l’ancien Ministre délégué aux sports Thierry Braillard le conseil de Christophe ?
Qu’il dise « oui, je n’ai pas regardé. Oui je n’ai pas vu qu’ils étaient domiciliés dans un HLM. Oui on n’a pas demandé les bilans ». Ça peut arriver qu’on fasse des erreurs, mais on ne peut pas juste dire aujourd’hui que « je n’étais pas l’avocat de Christophe ». A l’été 2020, je ne l’ai pas entendu dire qu’il n’avait rien à voir avec Christophe. Il était bien content que son nom ne soit pas loin de Christophe qui était alors dans tous les journaux…
Ancien Secrétaire d’Etat, Thierry Braillard semblait plutôt quelqu’un de sérieux.
Moi, je les ai vus les documents. J’ai vomi quand je les ai vus. Il y avait une dizaine de pièces jointes. Il y avait une lettre de confort d’une banque chinoise pour rassurer qu’il y avait bien dans ce compte 120 millions de dollars. Quand vous voyez le document, vous n’y croyez pas ! Si moi je m’en suis rendue compte, tout le monde le peut. C’est une banque chinoise, les documents sont écrits en arabe, traduits en anglais. Le chèque vient d’une banque allemande, mais on ne voit pas le nom du propriétaire du chèque. Et le compte, il est français ! Il y a quelque chose qui ne va pas ! Et aujourd’hui Maître Braillard compte les fois où je le nomme – il m’a attaquée – parce que je lui abîme son image. Il ne se rend pas compte qu’il a abîmé la vie de mes filles et de toute la famille…
Si Samir et Nadia n’avaient pas été là, il n’y aurait pas eu de pseudo rachat de Béziers et Christophe serait encore là. Souhaitez-vous qu’ils soient condamnés ?
Des escrocs et des malveillants, il y en a de partout. Mais quand il y a un avocat au milieu, il aurait dû voir qu’ils n’avaient pas un sou et il aurait dû dire à Christophe de laisser tomber ou de chercher quelqu’un d’autre comme investisseur. Christophe ne dormait pas la nuit, il parlait avec des joueurs de Nouvelle-Zélande ou d’Argentine. Il a mis beaucoup trop d’énergie dans tout ça.
A la fin, c’est lui qui a porté le chapeau…
C’était lui le mytho parce que c’est lui qui s’était trop avancé.
Les journalistes n’ont pas été tendres avec Christophe. Leur en voulez-vous ?
Ils veulent faire le scoop. Je comprends aussi. Christophe ne faisait pas de démentis, il laissait tout dire, mais il accusait le coup. Ce n’est pas la faute aux journalistes d’avoir écrit que la DNCAG avait dit non. Heureusement d’ailleurs qu’elle a dit non ! Christophe était prêt à avancer cet argent et si les autres n’avaient pas remboursé il aurait été propriétaire des parts de Passion d’Ovalie !
« Tout le monde se demande ce qui s’est passé ce 24 novembre, alors que, l’important, c’est tout ce qui s’est passé avant ce jour »
Béziers va peut-être remonter en Top 14. Cela vous fait-il mal que le club revienne sur le devant de la scène ?
Benjamin Bagate en est aujourd’hui l’entraîneur (le directeur sportif, Ndlr). C’est Christophe qui l’avait choisi il y a trois ans pour la reprise du club. Donc moi je suis contente. Je l’ai souvent au téléphone. Je suis contente pour lui et pour le club. Pour le maire et pour tous les supporteurs qui suivaient Christophe avec beaucoup d’amour. Je serais contente si Béziers remontait en Top 14, ce serait une jolie revanche. Et ça ne me fait pas mal qu’on parle de Béziers car c’était un lieu avec un projet. Ce qui me fait le plus mal, c’est qu’une injustice ne soit pas réparée et que les fautifs sont toujours là, en France, pas très loin et qu’ils peuvent arnaquer n’importe qui parce que c’est leur système, ils fonctionnent comme ça. Ça m’a aussi donné la force d’écrire ce livre. Maintenant, quand les gens tapent leur nom ou le nom des sociétés, on les retrouve vite sur Google, ils savent qu’il faut faire attention.
En écrivant ce livre, vous avez fait beaucoup d’interviews. Cela ne remue-t-il pas le couteau dans la plaie ?
Je pars en rendez-vous avec beaucoup de force, la force de mes filles et dans ce devoir de justice, mais il n’y a pas une interview où je ne pleure pas… Ça fait toujours aussi mal. Après avoir fait les plateaux télés, le soir je me retrouve avec des courbatures. C’est trop compliqué pour moi de parler sans avoir de l’émotion et je n’aime pas faire ça…
D’après vous, que penserait Christophe du livre ?
Il serait content que quelqu’un dise ce qui s’est passé. Les gens restent sur la fin. Tout le monde se demande ce qui s’est passé ce 24 novembre (2020, jour de sa disparition, Ndlr). C’est LA question alors que, l’important, c’est tout ce qui s’est passé avant ce jour. C’est comme les adolescents qui sont harcelés. On pointe le geste final, mais qu’est-ce qui les a menés jusque-là ? C’est la conséquence de tout ça. Christophe n’était pas comme ça. C’était vraiment une pile électrique. Il y avait trop d’euphorie en lui pour…
« Je serais contente si Béziers remontait en Top 14, ce serait une jolie revanche »
Pour vous, il n’était pas naïf.
Il ne voyait pas le mal. Il n’y avait pas de raison quand il rencontrait des gens, des inconnus, de penser mal.
Il voulait réussir encore dans le rugby, il n’avait pas fini de donner à son sport, mais le milieu du rugby ne lui en a pas donné l’occasion.
Il avait des idées, il avait envie de mettre en place des choses dans le rugby pour les jeunes, de prendre un club en Pro D2 et il pensait qu’en deux ans il allait arriver en Top 14. Beaucoup de joueurs étaient intéressés. Taufua par exemple qui est aujourd’hui au LOU ou Sopoaga qui a joué lui aussi à Lyon. Ce n’était pas un rêve, c’était quelque chose qui était faisable puisqu’ils sont venus en France. Quand je les entendais parler, ils disaient : « On va venir pour le kiff de jouer avec toi ! » C’était incroyable ! Ils allaient venir à Béziers dans un stade où il n’y avait même pas de machines à laver pour laver les maillots. Ils venaient pour lui !
A-t-il été blessé que le Stade Français ne lui fasse pas confiance comme entraîneur ?
Il a été blessé qu’il n’ait pas été averti avant, ça s’est fait soudainement. Le nouveau président ne voulait plus personne. Il faisait partie de l’ancien staff et il n’a pas cherché à comprendre. La deuxième fois, en 2017 quand Thomas Lombard et d’autres joueurs ont essayé de reprendre le club, ils étaient sept, ils sont restés deux et n’ont pas inclus Christophe et ça, ça l’a blessé.
Les gens ne savent pas que Christophe a mis 550 000 euros pour sauver le Stade Français et qu’il a tout perdu quand le club a été vendu pour un euro !
Il ne voulait pas que ça se sache. Christophe a mis 550 000 euros et a amené quelqu’un d’autre qui a mis 2,5 millions d’euros. S’il n’y avait pas eu cet apport, le club se retrouvait en Pro D2. Tout ce que Christophe avait essayé de construire avec Max (Guazzini) et les autres pendant 15 ans, il ne s’imaginait pas que ça se finisse comme ça. Christophe a tout mis, tout ce qu’il avait.
Le Stade Français a donné son nom à un terrain d’entraînement. Auriez-vous aimé que le stade Jean Bouin soit rebaptisé stade Christophe Dominici ?
C’est déjà beau qu’ils aient donné son nom à un stade. Quand on passe en voiture sur les quais, on peut voir le panneau de ce stade situé dans le 16ème arrondissement (ex-Stade du Saut du Loup dans le Bois de Boulogne, Ndlr).
C’est dommage que Christophe n’ait pas vécu ça. Parfois, je participe à des événements et ça me gêne énormément d’être là et de dire merci alors que c’était à lui de recevoir tout ça. On me donne un cadre, une médaille, mais moi je n’ai rien fait. Ils auraient dû lui donner à lui de son vivant. Si son aura est toujours là, c’est grâce à toutes les émotions qu’il a données.
S’est-il lancé dans les affaires pour retrouver l’adrénaline qu’il avait connue en tant que sportif ?
Oui, il aimait cette adrénaline de chef d’entreprise. Il avait toujours des idées, 10 000 projets. Il était débordant d’idées.
Quand il a voulu reprendre Béziers, vous aviez senti que tout n’était pas clair, mais il ne vous a pas écoutée…
L’idée était bonne, le projet était bon. Christophe avait déjà réfléchi au maillot. Il avait même déjà appelé un membre de la famille d’Armand Vaquerin (champion de France avec Béziers en 1971, 1972, 1974, 1975, 1977, 1978, 1980, 1981, 1983 et 1984, Ndlr) pour pouvoir utiliser son image. Tout était déjà fait dans sa tête. Le stade, la buvette, etc. Il s’est occupé de mettre en place la partie sportive, médical, sponsor, un travail colossal, mais pas la partie financière. Simplement, les personnes autour de lui étaient incapables de financer le projet. Quand il a su qu’il y avait un problème, il a essayé de trouver une solution, mais il est rentré à l’hôpital (pour une cure de sommeil, Ndlr). Thierry Braillard savait qu’il était à l’hôpital et il m’a quand même appelé pour qu’on lui prête l’argent !
Votre combat va être long.
Le drame est si fort que ça aurait été plus facile de laisser tomber. J’ai deux ados, deux filles et je dois aussi me concentrer sur elles. Le temps que je passe sur cette affaire, c’est du temps de moins avec elles. Mais après je me suis dit que ce temps-là que je donne à cette quête, je le donne aussi à Christophe et j’espère qu’il y aura une fin à ce dossier. Ça me gênerait que ce couple se balade tranquillement en quête de nouvelles proies. Je ne pourrai pas faire tout à fait mon deuil.
Le paradoxe, c’est que, sur le terrain, Christophe était fort, mais faible en dehors ?
Faible non. Il avait un instinct exceptionnel, d’aller vers les gens. Il n’avait pas de préjugés. Mais c’est cette naïveté-là qui fait que, parfois, il s’est trompé. Mais je ne l’ai jamais vu faible. Au contraire, je l’ai trouvé assez courageux, il rebondissait à chaque fois. Il avait un charisme. C’était le meneur dans ses équipes, dans ses usines, dans les soirées. Il avait peut-être d’autres défauts, mais il a toujours été courageux.
« J’aimerais faire quelque chose pour la reconversion des joueurs, c’est un projet qui tenait à cœur de Christophe »
Aujourd’hui, vous avez repris ses affaires ?
Ses plus grosses “affaires”, c’est Kiara et Mya (sourire). Je fais de mon mieux pour les accompagner dans leur construction de petites femmes. Ça me tient vif et active. J’apprends pas mal de choses de moi aussi parce que j’ai grandi avec elles. Les deux, de temps en temps, elles me testent, on est en pleine adolescence. J’ai l’impression qu’il y a une partie du caractère de Christophe qui revient dans les petites. C’est bien, ça me fait sourire. Christophe n’est plus là, mais il est tout le temps là.
Pendant la Coupe du monde, vous avez fait une expo-photos sur Christophe. Vous avez aussi lancé une bouteille de vin. D’autres choses sont-elles prévues pour entretenir sa mémoire ?
J’étais en train de courir, j’étais seule à Boulogne, c’était l’été et j’ai vu que le parc, il y avait ce magnifique encadrement vide. Parfois, il y a des expos qui sont belles, qui sont illuminées le soir et j’ai trouvé que c’était beau. Et la mairie m’a dit tout de suite oui. J’ai eu accès au stock photos de SIPA Press. Et ça m’a fait plaisir de choisir des photos de Christophe heureux. Maintenant, j’aimerais faire quelque chose pour la reconversion des joueurs, c’est un projet qui tenait à cœur de Christophe. La fin de carrière, c’est une petite mort et ce n’est pas encore assez pris en charge. Combien de sportifs réussissent leur reconversion ? Combien de sportifs se font avoir en faisant confiance à n’importe qui ? Beaucoup n’ont pas eu une jolie fin. Il y a beaucoup de choses à faire. Il faut entourer mieux les sportifs pour qu’ils puissent mieux rebondir. Il faut que les jeunes pensent bien sûr à leur carrière, mais aussi à leur après carrière et à leur futur quand ils arrêteront car, parfois, le choc est brutal.
Et à titre personnel, qu’avez-vous envie de faire ?
Je pense que je vais reprendre la photo, quelque chose qui me fasse penser à autre chose que le monde de Christophe. Les JO vont peut-être m’inspirer. J’aime bien les photos à l’ancienne. Il y a une partie de moi qui est très heureuse quand je pense à lui et je rigole des anecdotes ou des moments de vie que nous avons passés ensemble. Mais, après, il y a toujours le voile de tristesse. Je vais continuer à garder vive sa mémoire, les fans vont m’aider à faire ça.
Créer une Fondation Christophe Dominici pourrait-il être un projet ?
Oui, le projet est bientôt fini.
Vous sentez-vous soutenue par la Fédé, les clubs ?
Ils sont passés à autre chose. Je sais juste qu’à Marcoussis le bar s’appelle Domi. C’est normal aussi que la vie reprenne son cours. L’important, c’est qu’on ne l’oublie pas. Je garde des contacts avec des anciens du club, le Doc Savigny, Pierre Rabadan, Sylvain Marconnet, Alain Elias, etc. Le club de La Faisanderie a aussi nommé la pelouse centrale Christophe Dominici. On est souvent là-bas.
Comment va le chat Lomu ?
Il est toujours là. Aujourd’hui, c’est lui le chef de la maison !
N’avez-vous pas pensé à quitter la maison où vous avez vécu avec Christophe pour repartir de zéro ?
J’y ai pensé, mais mes filles ont déjà perdu leur papa, elles ne voulaient pas perdre en plus leurs amis. On a donc décidé de rester. Dès qu’on met la clé dans la porte, il y a le souvenir de Christophe. Je n’ai pas enlevé la photo de Christophe à l’entrée où un joueur australien (en finale de la Coupe du Monde 1999, Ndlr) essaie de l’attraper par le pied, mais Christophe est déjà lancé. Il va tomber, mais il va mettre l’essai. Elle est belle cette photo.
Christophe était trop gentil ?
Je n’aimais pas quand les gens profitaient de sa gentillesse, de sa générosité. C’était lui qui payait tous les restaurants. Même quand il n’en avait pas trop, s’il pouvait aider, il donnait. Etre aimé par tout le monde, c’est être aimé par n’importe qui et moi je n’ai pas envie d’être aimée par n’importe qui ! Je n’ai pas besoin que tout le monde m’aime. Christophe, lui, en avait besoin. C’était lié à un manque, au décès (des suites d’un accident de voiture, Ndlr) de sa sœur (il avait 14 ans, elle en avait 24, Ndlr). Moi je n’ai pas eu le même manque.