Voix de la Formule 1 sur Canal+, Julien Fébreau nous livre ses pronostics avant le début de cette nouvelle saison de Formule 1, le 2 mars à Bahreïn.
19 victoires de Verstappen en 2023, faut-il s’attendre à 24 victoires du Néerlandais en 2024 ?
24 victoires, non. Maintenant, il faut être réaliste. Red Bull a extrêmement bien travaillé. Max Verstappen est au sommet de son art, de son talent, de ses capacités. Ils n’ont pas perdu de temps à l’été 2023 pour commencer à préparer leur saison 2024. Les points d’interrogation qu’on peut avoir à l’aube de ces essais sont liés aux choix de Ferrari et de Mercedes qui, dans le cas de Ferrari revoit sa voiture à 95%. Mercedes change de concept après avoir insisté pendant deux ans sur un style de voiture très épuré, avec des pontons quasi inexistants. Ces choix techniques doivent avoir pour répercussion une augmentation de la performance.
Et puis Red Bull a peut-être aussi touché un plafond de performances ou en est proche. Les règlements sont faits de telle sorte qu’aujourd’hui, à la fois par la stabilité des règlements techniques, par les budgets plafonnés, on doit pouvoir assister à un resserrement des performances. On l’a mesuré au dernier Grand Prix 2023 puisqu’en qualifications, les 20 voitures étaient dans la même seconde. C’est quand même assez exceptionnel. Il y a des raisons de penser que ce sera un peu plus disputé, il faut l’espérer et on va vite avoir la réponse.
Verstappen peut-il ne pas être champion du monde pour la 4ème fois ?
Il peut ne pas être champion du monde. Si, en face, Ferrari et Mercedes sont capables de fournir à leurs pilotes l’outil pour gagner des courses. Lewis Hamilton, George Russell, Charles Leclerc, Carlos Sainz, ils ont tous le talent pour remporter des Grands Prix. Et s’ils se mettent à remporter des Grands Prix, ça veut dire qu’ils seront à la bataille pour le titre. Les victoires vont être plus disputées cette année.
Vous n’avez pas cité Sergio Pérez.
C’est vrai. J’ai du mal à croire, ce serait une belle surprise, qu’après avoir été aussi dominé par un coéquipier il puisse prendre l’avantage. Je ne vois pas comment chez Red Bull Sergio Pérez pourrait renverser la machine incroyable qu’est Max Verstappen. L’équipe est tellement concentrée sur Max Verstappen, l’écoute est portée sur lui, les énergies sont portées sur lui.
Le rôle d’un Sergio Pérez, c’est le rôle d’un numéro 2 et d’un soutien à Max Verstappen qui n’a même pas besoin de soutien d’un coéquipier. Je ne mets donc pas Pérez dans la course au titre. Qu’il remporte des Grands Prix, c’est possible, il en a rapporté deux l’année dernière mais, sur la longueur d’un championnat record avec 24 Grands Prix j’ai du mal à croire à Sergio Pérez.
Le Mexicain est-il résigné ?
Non. Tant qu’ils sont en activité et dans une écurie, ils sont quand même câblés, ces pilotes, pour ne pas se résigner. La résilience, la remise en question, la capacité de régénérer leur mental pour repartir au combat est assez époustouflante. On l’a vu lorsque Valtteri Bottas a quitté Mercedes où il était le coéquipier d’Hamilton. Jusqu’à son départ, il refusait d’admettre qu’Hamilton était plus fort car c’était son rôle.
Aujourd’hui, il reconnaît qu’il ne pouvait pas le battre. Il n’avait pas son talent, ses capacités. Mais c’est dur parce qu’il se programme mentalement pour ne pas lâcher et ils ont le devoir de croire tous autant qu’ils sont qu’ils vont battre leurs coéquipiers et tous les autres pilotes de la grille.
24 Grands Prix cette année, peut-être 25 en 2025, n’arrive-t-on pas à la limite ?
24, c’est le plafond maximal autorisé par les règlements. Maintenant, les règlements peuvent changer… 24, c’est beaucoup de Grands Prix. C’est à la fois un bon signe, ça veut dire que la Formule 1 se porte bien, qu’elle attire le public, que les pays ont envie d’exister dans ce calendrier. Ça pose aussi quelques problèmes et il faudra peut-être envisager l’alternance de Grands Prix. L’Espagne a potentiellement deux Grands Prix, Barcelone, l’actuel, et Madrid qui rentrera au calendrier.
Ça peut amener à des alternances, à un nouveau fonctionnement, ça amène surtout de nouvelles courses. On a des Grands Prix très traditionnels, historiques. Monaco, Monza, Silverstone qui sont des berceaux du sport auto. Et puis de nouvelles épreuves, je ne vais pas dire folkloriques, mais plus spectaculaires dans tout ce qu’elles amènent autour. Je pense à Las Vegas qui a fait son apparition au calendrier l’année dernière, qui attire les stars, qui brille beaucoup. Ce mix d’épreuves doit cohabiter.
Un calendrier toujours sans Grand Prix France !
C’est une grande déception. La France est un véritable berceau de l’automobile et de sport automobile. On mériterait évidemment d’avoir une épreuve. Il y a une envie d’un retour. Le timing, pour l’instant, n’est pas le bon. Les Jeux Olympiques vont vampiriser toute l’attention politique, financière, médiatique dans les mois qui viennent et dans l’après JO également. Mais je sais qu’en coulisses, ça travaille. On a de bonnes raisons d’espérer un retour à moyen terme du Grand Prix de France au calendrier.
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Sur circuit ou sur circuit urbain ?
Il existe plusieurs projets. Il a été évoqué un projet dans la ville de Nice et dans la périphérie directe de la ville. Il existe évidemment toujours les infrastructures très spectaculaires du circuit Paul Ricard. Ce ne sont pas les possibilités qui manquent. Il faut avant toute chose une volonté étatique. Le financement et le soutien financier d’un Grand Prix de Formule 1 passe d’abord par une volonté de l’Etat. Le président de la République l’a manifesté une première fois.
Il devrait réitérer cette volonté.
En parlant de timing, l’annonce du transfert d’Hamilton chez Ferrari en 2025 est-il le bon ?
A chaud, les plus grandes réactions que j’ai vues sur les réseaux, c’est : est-ce qu’on peut aller directement à la saison 2025 ! Cette annonce est évidemment exceptionnelle. Tout sport confondu, c’est un transfert hors du commun. L’adage qui veut que les plus grands pilotes de la planète finissent par piloter pour Ferrari va se confirmer dans le cas de Lewis Hamilton qui a le plus gros palmarès de la F1 à égalité avec Michael Schumacher.
Tout le monde a hâte de voir Hamilton dans la Ferrari ! Mais dès 2024, ça va nous apporter des histoires. Je me languis de voir un Hamilton roue contre roue avec un Leclerc cette année, son futur coéquipier. Que va-t-il se passer en interne chez Mercedes selon leur niveau de performance ? Les portes de Mercedes vont-elles progressivement se refermer sur Lewis Hamilton qui va de moins en moins avoir accès à l’usine, aux simulateurs, aux réunions ?
Ou, s’il est dans une position de jouer le titre cette année, à quel point ils vont jouer la carte de l’ouverture jusqu’au bout, en sachant que quelques semaines après, il sera dans le camp adverse ? C’est très excitant et évidemment que la première sortie, combinaison rouge, voiture rouge de Lewis Hamilton l’an prochain aux essais, sera un moment historique de la Formule 1.
Hamilton chez Ferrari, est-ce vraiment le transfert du siècle parce que ce n’est plus le Hamilton qui dominait la Formule 1 ?
Je maintiens que c’est le transfert du siècle : un septuple champion du monde qui a fait 18 ans avec Mercedes et qui s’en va chez Ferrari à 40 ans ! Hamilton est resté le Hamilton du passé. Simplement, il n’a pas eu depuis deux ans une machine pour gagner. Mais regardez où il était fin 2021, la capacité qu’il a eue de revenir sur Verstappen. Ok, deux ans se sont écoulés. Mais on est dans un sport mécanique, il faut la machine. Il a remis à l’amende George Russell en 2023, il lui a remontré qui était le patron.
Je suis persuadé qu’Hamilton dans une bonne voiture est très difficile à battre. 40 ans aujourd’hui, pour un pilote, c’est totalement acceptable. Regardez Fernando Alonso, encore plus âgé. Quand il a eu une bonne voiture entre les mains, il est monté sur des podiums, il a failli faire la pole à Monaco. Le meilleur d’Hamilton, on peut tout à fait le voir chez Ferrari s’il a LA voiture entre les mains.
Comment voyez-vous la cohabitation avec Charles Leclerc. Y aura-t-il un numéro 1, un numéro 2, un numéro un bis ?
Déjà, il faut bien rappeler que, contractuellement, il ne peut pas y avoir un numéro un et numéro 2. Légalement, ce n’est pas possible. La 2ème chose, c’est l’approche de Frédéric Vasseur, le patron de Ferrari.
On pouvait dire de Charles Leclerc, c’est un pilote Fred Vasseur, mais Lewis Hamilton est également un pilote Fred Vasseur qui a été champion de F3 et de GP2 avec Lewis Hamilton. Il se retrouve avec deux pilotes qu’il a formés. Je serais surpris que Fred Vasseur change de discours, à savoir que tant que ses pilotes ont une chance, il les laisse se battre.
Mais, s’il se trouve un moment où l’un des deux a beaucoup plus de chances de jouer le titre, il demandera à l’autre de se mettre au service de l’équipe et de son coéquipier. L’un comme l’autre ont cette intelligence même s’ils n’en sont pas au même niveau de leur carrière et de leur palmarès. Vous avez deux stars, une méga star et une star dans la même écurie. Il va falloir les faire cohabiter. Fred Vasseur va avoir un rôle très important dans la relation entre ses deux pilotes.
Quelles sont leurs relations déjà de manière générale ?
Elles sont bonnes, il y a beaucoup de respect entre eux. Il y a quelques années à Bahreïn, quand Charles est passé tout proche de remporter sa première victoire et c’est finalement Lewis qui l’a emporté, il y a eu une vraie sympathie et je vais dire compassion de Lewis à l’arrivée en disant : « T’inquiète pas, tu vas en gagner, tu es déjà exceptionnel comme pilote. »
Il y a beaucoup de respect entre eux. Maintenant, ils sont faits du même bois, ils veulent l’un et l’autre se battre. Evidemment, pour Charles Leclerc, battre Lewis ce serait une référence incroyable. Mais Charles, il est chez lui chez Ferrari alors que Lewis Hamilton sera un nouveau venu en 2025.
Le timing n’est est pas anodin, 2025 précédera le changement de réglementation en 2026 et c’est une année qu’Hamilton va mettre à profit pour vraiment rentrer dans l’esprit Maranello, se faire à ce qu’est Ferrari, bien connaître tout le monde, interagir avec un maximum de personnes parce que c’est quelqu’un qui travaille beaucoup, qui a besoin de connaître tout le monde dans l’équipe. 2025 va vraiment lui servir à ça et je ne serais pas surpris que sa volonté soit de miser sur le changement de réglementation en 2026 et essayer d’obtenir un titre avec Ferrari.
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Comment Charles a-t-il accueilli cette arrivée ?
Je ne sais pas. Ça doit être toujours un peu impressionnant qu’on vous annonce qu’Hamilton arrive chez vous. Mais je sais déjà la réponse qu’aura Charles Leclerc publiquement. Lui, il veut battre tout le monde, donc il veut battre Lewis Hamilton que ce soit son coéquipier ou non. De toute façon, il veut être champion du monde donc il veut battre tout le monde ! Il sait qu’il va avoir affaire à une légende de la F1 à ses côtés, mais il connaît ses propres qualités. Il connaît les points sur lesquels il doit s’améliorer. A lui dès 2024 de commencer à mettre en place sa stratégie pour, au moment où Hamilton arrivera, être prêt.
On parle d’Albon pour remplacer Hamilton chez Mercedes. Sur qui miseriez-vous ?
Dans toutes les discussions et dans tout ce qu’on va pouvoir raconter cette année, c’est qui pour remplacer Lewis Hamilton ! Ça devient le siège le plus chaud du paddock. Beaucoup de pilotes, 13 exactement, arrivent en fin de contrat cette année. A l’heure qu’il est, il serait logique d’envisager que Mercedes considère en priorité un pilote comme Esteban Ocon qui est sous management Mercedes ou comme Kimi Antonelli qui va débarquer en F2 et qui est un pur produit Mercedes. Soit ils misent sur l’expérience avec Ocon soit sur la jeunesse avec Antonelli sur qui ils ont investi.
Ou alors une surprise, prendre un autre grand nom peut-être pour une seule année. Hamilton leur met un sacré coup derrière la tête en annonçant aussi vite qu’il part chez Ferrari mais, finalement, la clé, elle vient de se déplacer chez Mercedes. Ils pourront faire attendre tous les pilotes aussi longtemps qu’ils le souhaitent et bloquer ce qui se passe ailleurs.
Le départ d’Hamilton va entraîner un jeu de chaises musicales.
Il peut se passer beaucoup de choses. Par exemple, les pilotes Alpine arrivent au terme de leur contrat. Ce baquet Mercedes va faire briller beaucoup d’yeux, à commencer par ceux d’Ocon et Gasly. On sait que, dans le même temps, si un Victor Martins brille en F2, il fait partie de l’Académie Alpine. Si une place venait à se libérer chez Alpine, il y aurait une logique à ce qu’il monte en Formule 1.
Cela pourrait permettre aussi à Théo Pourchaire de trouver un volant.
Peut-être. Théo n’a pas lâché son rêve de piloter en F1. Il va se mesurer à ce qui se fait de mieux au Japon qui est une formule qui se positionne en termes de performance entre la F1 et la F 2, donc il va passer encore un cran en termes de performance sur la Super Formula au Japon. Il ne faut surtout pas se faire oublier du monde de la Formule 1.
Il fait partie de l’Académie Sauber qui va devenir Audi. Je ne sais pas s’il est le mieux placé pour obtenir une place de titulaire dans ce nouvel environnement. A lui de briller par ses performances et de trouver les solutions pour ne surtout pas se faire oublier dans le paddock F1.
Croyez-vous à un retour de Vettel ?
Je n’y crois pas du tout. J’aimerais me tromper parce que Vettel est une légende. Un pilote allemand chez Mercedes aurait du sens en 2025. Il a de l’expérience, mais ça fera deux années qu’il n’aura pas piloté en Formule 1. J’ai du mal à croire à un retour de Sébastien Vettel en Formule 1 que ce soit chez Mercedes ou Audi.
2024 ne risque-t-elle pas d’être une année de transition ?
Pour avoir un nouveau baquet, il va falloir que les pilotes brillent en 2024. Le jugement sur la première partie de saison va être très important. Tous les pilotes vont vouloir se montrer. Cette saison va finalement être très importante. La F1 a une mémoire assez courte. Les réussites du passé doivent être réactualisées en permanence pour retrouver les bonnes grâces des décideurs. Il ne faudra donc surtout pas se rater et je m’attends même à plus de férocité et d’agressivité. Les pilotes risquent de beaucoup s’engager quitte à prendre plus de risques.
A l’image de Pérez qui lui est clairement menacé.
Bien sûr. Il sait qu’il cohabite avec un coéquipier très envahissant, qu’il est difficile de battre. A lui de trouver la meilleure approche mentale et d’avoir une stratégie de déroulement de saison intelligente. Etre au plus proche de Verstappen, de temps en temps être dans la capacité de briller. Il peut très bien être conservé par Red Bull comme un très bon numéro 2, mais dans la famille Red Bull des pilotes frappent à la porte. Daniel Ricciardo ne cache pas son ambition de remonter dans l’écurie Red Bull.
Quel est votre Top 3 pour cette saison ?
Verstappen, Hamilton, Leclerc. Mais celui qui m’intéresse beaucoup, c’est Oscar Piastri. J’avais été marqué par l’arrivée de trois pilotes en F1 et lorsqu’ils étaient arrivés, je m’étais dit : ces trois-là, c’est impossible qu’ils ne deviennent pas champions du monde. En l’occurrence, c’était Vettel, Hamilton et Verstappen. Du coup, je prends les paris et Piastri je ne vois pas comment il ne pourrait pas être champion du monde dans les quatre ans qui viennent. Ce gars-là doit être champion du monde. Son évolution m’intéresse énormément.
Alpine qui a été la déception de 2023 peut-elle relever la tête ?
Je suis mitigé. Je m’inquiète de savoir quelles répercussions tous les mouvements qui se sont produits dans l’écurie peuvent avoir à court terme. Oui, ils se sont réorganisés. L’ambiance, l’état d’esprit est bien meilleur aujourd’hui, mais les vagues créent forcément des échos.
Ils ont un moteur qui est légèrement moins performant sur lequel ils ont fait le choix de ne pas retravailler de manière intensive sur 2024 et 2025, préférant se concentrer sur 2026 où la réglementation va changer. Alpine part avec déficit de performance moteur. J’espère que la voiture sera bonne, mais j’ai des points d’interrogation. Il faut du temps pour revenir au sommet, ils ont des mastodontes face à eux et l’état d’esprit ne fera pas tout.