Cadre de l’équipe de France auteur du Grand Chelem en 2010, Pascal Papé, le 2ème ligne lyonnais évoluait au Stade Français au moment de s’envoler vers la Nouvelle-Zélande où, malgré un parcours laborieux et une ambiance difficile, les Bleus allaient passer à un point de l’exploit.
Dans quel état d’esprit étiez-vous avant d’aborder votre première Coupe du monde?
A titre personnel, il y avait beaucoup d’attente, d’enthousiasme et d’excitation de disputer une première Coupe du monde chez les Blacks. L’accueil des Maoris et des Néo-Zeds avait été excellent, nous étions conquérants et motivés pour aller le plus loin possible même si on avait la Nouvelle-Zélande dans notre poule. L’idée était de les retrouver en finale.
Franchement, nous n’avions pas tant de pression que ça. Contrairement aux Coupes du monde actuelles, nous avions un match par semaine. Et comme on était arrivé quinze jours avant, c’était très long. Après les premiers matches face au Canada et au Japon, on avait eu un mois pour préparer le match face aux Blacks.
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Comment avez-vous vécu votre qualification difficile, après une défaite face au Tonga et grâce au point de bonus ?
Cette défaite face au Tonga nous a fait prendre conscience que nous étions en train de faire fausse route. Sinon, comme on dit, le groupe vivait super bien. Mais nous étions trop consommateurs de l’événement. On gaspillait quatre ans d’effort !
Pour reprendre les choses en mains, redevenir acteur, en discutant avec le staff, on a demandé à avoir davantage de responsabilités dans l’organisation des journées, dans la stratégie, etc. On était passé à deux doigts d’une élimination qui eut été humiliante pour le rugby français.
« Tout était en place pour gagner cette finale… sauf l’impondérable de l’arbitrage »
Que s’est-il passé avant le quart face aux Anglais ?
Après le Tonga, on a pris une belle peignée de la part de Lièvremont. Le soir même, on a vidé la cave de l’ambassade de France avant de se retrouver entre joueurs de retour à notre hôtel. Le pouvoir désinhibant de l’alcool nous a permis de nous dire franchement les choses, mais de manière très constructive. On avait un groupe de caractères, avec énormément de leaders, des joueurs qui étaient capitaines dans leur club. Ce n’était pas facile à gérer pour le sélectionneur, qui a eu l’intelligence de les sélectionner en connaissance de cause, mais au final c’est ce qui a fait la force du groupe. C’est par exemple ce qui nous a manqué en 2015.
En quarts face aux Anglais, en demi face aux Gallois, quelle était la stratégie ?
Le match face aux Anglais a été, avec celui de l’Irlande en 2015 lors de l’édition suivante, le plus dur physiquement. Ça tapait très fort, une vraie boucherie ! Mais c’est comme ça que tout est revenu d’un coup pour nous, avec le french-flair illustré par Médard et Clerc et la meilleure touche, et défense en touche de la compétition.
En s’appuyant sur une énorme conquête, et en lâchant les chevaux derrière, on les avait dégoûtés ! Et face au Pays de Galles, on a senti que la roue avait tourné. Parce que malgré leur carton rouge, ils nous avaient dominés, mais on avait eu la chance de notre côté pendant tout le match. Mais la chance, à ce niveau, ça se provoque et ça se stimule. On avait su le faire.
Jusqu’à cette finale frustrante au possible !
Les Blacks avaient clairement plus la pression que nous parce qu’ils évoluaient à domicile, et qu’ils avaient un passif assez costaud contre la France en match éliminatoire de Coupe du monde. Deux ans avant, avec à peu près les mêmes joueurs, on les avait battus chez eux en tournée. Donc on savait qu’ils étaient prenables à condition de les mettre sous pression physiquement, ce que nous avons réussi à faire pendant tout le match. On les avait massacrés ! Mentalement, on était aussi allés les chercher sur le haka. Donc tout était en place pour gagner cette finale.
Papé dans la légende maudite des Bleus contre les Blacks
Que vous avez perdue d’un petit point…
L’impondérable a été l’arbitrage car pour le reste on a fait ce qu’on voulait faire. Sur le terrain, on est tellement imprégné de cette gestion de la frustration, de cette maîtrise à avoir face aux décisions arbitrales, qu’on ne réalise pas vraiment l’ampleur de ce qui se passe. C’est après, en discutant avec le staff, en revoyant le match en vidéo, qu’on s’est rendu compte que les décisions avaient été largement en leur faveur à des moments où, quand on était dans leurs trente mètres, on aurait pu et dû prendre des points.
Et quand l’occasion s’est présentée, on n’avait plus de buteur sur le terrain. François (Trinh-Duc) n’avait plus buté depuis trois ans… Ceci dit, si on avait été plus forts que les Blacks, on aurait gagné ce match. Ils gagnent sur une pirouette en nous surprenant sur une touche à cinq mètres de la ligne. Stratégiquement, ils nous ont pris sur notre point fort.
Comment avez-vous réagi à cette défaite ?
Terminer à un point du Graal qu’aurait été une victoire en Coupe du monde face aux Blacks chez eux a forcément été une grosse déception. Lorsqu’on se revoit avec les gars, on se dit tous qu’on aurait presque préféré en prendre quarante pour ne pas avoir de regrets. Ce qu’on a fait quatre ans après (15-62 en quarts de finale, Ndlr) (rires) !
Méritiez-vous d’être champions du monde en 2011 ?
Sur la finale, oui, clairement. Mais sur l’ensemble de l’oeuvre des Blacks à ce moment-là, qui dominaient la planète rugby de la tête et des épaules, non.
Papé trouve des similitudes entre la génération 2011 et 2023
Cette année, la France a aussi les Blacks dans sa poule, le même scénario peut-il se reproduire 12 ans après ?
Le chemin me parait quand même un peu plus tortueux avec, en quarts, l’Afrique du Sud ou l’Irlande. Mais vu ce qu’ils nous ont montré depuis quelques années, ils ne doivent craindre personne car ils ont déjà battu tout le monde.
Pouvez-vous comparer le potentiel des Bleus 2011 et celui des Bleus 2023 ?
Nous avions aussi une belle génération qui avait plus d’expérience que l’actuelle, nous étions la sélection la plus âgée de la Coupe du monde avec l’Irlande. Nous avions aussi des talents individuels forts. Mais notre banc était moins profond alors qu’aujourd’hui tous les postes sont quasiment doublés avec la même garantie d’efficacité ; Ramos/Jaminet, Ntamack/ Jalibert, etc… il n’y a que Dupont et Alldritt qui me paraissent au-dessus, donc potentiellement irremplaçables.
Il y a aussi plus de joueurs à haut potentiel et une gestion de la préparation à la compétition qui est totalement différente. En 2011, je me souviens être allé plaider avec Lièvremont auprès du président Camou pour qu’on puisse amener un kiné de plus et un cuisto, et avoir accusé une fin de non-recevoir. Aujourd’hui, ils se préparent en sélection dans les mêmes conditions qu’en club. On a enfin compris qu’il fallait mieux s’occuper de la vitrine du rugby français.
Disputer la Coupe du monde à domicile, est-ce vraiment un avantage pour la France ?
Oui, à condition de ne pas se laisser déborder par la pression. Il faut travailler la gestion des émotions, ce que nous n’avions pas réussi à faire en 2015, appeler des joueurs qui sont capables d’appréhender ce genre d’événement, de le transformer en quelque chose de positif. Il faut aussi anticiper les éventuels problèmes si Dupont se blesse rapidement qu’est-ce qu’on fait ? pour mieux les gérer le moment venu.