jeudi 18 avril 2024

Ancienne voix du rugby, Pierre Salviac décrypte l’actualité : « La saison n’aurait pas dû reprendre »

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Eric Mendes
Eric Mendes
Journaliste

Ancienne voix du rugby à France Télévisions, Pierre Salviac ne manque pas d’accompagner l’actualité du rugby français. Entre la crise sanitaire, la reprise des compétitions, les élections à la FFR ou la crise au service des sports de France TV, il donne son avis avec sincérité et passion. 

Comment avez-vous accueilli cette reprise du rugby en France ?

Avec une question : est-ce bien raisonnable de faire jouer au rugby, un sport de proximité et qui ne respecte aucun geste barrière dans le contexte actuel ? Est-ce bien raisonnable de reprendre maintenant avec tous les risques que l’on fait courir ? Quand je me pose la question de savoir quelle serait la meilleure date, et si on me l’avait demandé, j’aurais suggéré le 1er janvier, même si je sais que ça pose forcément des problèmes financiers. Il aurait fallu trouver des solutions par rapport à cela. 

Mais l’économie du rugby dépend d’abord de sa billetterie et de ses supporteurs…

Je dis simplement qu’il y a une crise sanitaire mondiale qui impacte tout le monde. Il y a des gestes barrières à respecter et que le rugby ne le permet pas. Dans ces conditions, faire jouer au rugby n’est pas raisonnable. Selon que l’on est de La Rochelle, de Brive ou de Clermont, la jauge des spectateurs n’est pas la même, notamment en zone verte. Pourquoi ? C’est un manque de cohérence évident. C’est soumis à l’appréciation de tel ou tel préfet. Je me pose la question de savoir si c’est parce qu’il est fan de tel club, s’il a des joueurs dans sa famille ou s’il s’en moque du rugby. En tout état de cause, par rapport à un club qui peut faire une recette de 5000 spectateurs et un autre qui peut faire 10 000 spectateurs, comme Clermont dernièrement, il y a une injustice. C’est flagrant. Par rapport à l’ambiance de l’équipe qui reçoit également. Si les présidents de Top 14 et de Pro D2 étaient des gens raisonnables, ils auraient été solidaires pour demander une jauge égale entre clubs de la même zone verte. Ils ne l’ont pas fait. Je constate que c’est chacun pour soi et c’est contraire à l’ADN du rugby. La solidarité n’existe plus, je le déplore. 

« Il aurait été plus sage de reporter au 1er janvier, au moins, la reprise des compétitions de rugby qui est un sport de proximité. »

Pensez-vous que l’on aide les acteurs qui seront en première ligne sur le terrain ?

Un arbitre qui dirige un match dans le contexte actuel, sans masque, à proximité des premières lignes souvent, est-ce raisonnable de l’exposer à la contagion du virus ? Aujourd’hui, on fait comme si le virus n’existait pas ou qu’il ne circule pas dans le monde du rugby. Tout le monde le sait et certains cas avérés ont même annulé des matches. Dans ces conditions, rien n’est raisonnable. Il aurait été plus sage de reporter au 1er janvier, au moins, la reprise des compétitions de rugby qui est un sport de proximité. Les présidents de clubs défendent leur crémerie et leur trésorerie, l’avenir économique de leur club, mais ils seront responsables des conséquences négatives que peut apporter le virus dans les conditions actuelles. Ils défendent le Je et non le Jeu. Je suis de la vieille école. L’ADN du rugby, c’est le jeu comme on le pratique en Nouvelle-Zélande. Ils continuent à l’appliquer comme tel. En France, j’en suis moins sûr. On a un rugby hémiplégique pratiqué par les pros. On a oublié la partie football du rugby. Je suis perturbé par l’évolution du rugby. Je conçois qu’il doit changer, mais s’il doit changer dans ce domaine-là, je comprends mieux pourquoi, depuis 2005, je n’ai plus jamais mis les pieds sur un terrain, depuis que j’ai commenté mon dernier match à la télévision. Je ne suis devenu qu’un téléspectateur assidu et sûrement critique car c’est dans mon ADN. Je ne partage plus du tout l’appréciation qu’ont les dirigeants français du rugby et de son jeu. Ils sont dans le Je. 

Cela impacte-t-il forcément l’équipe de France ? 

On a connu une époque avec une masse de joueurs français qui généraient une élite. Aujourd’hui, dans cette élite, il y a une masse de joueurs étrangers, souvent majoritaire dans certaines équipes, et qui ne peuvent pas être sélectionnés pour l’équipe de France. On a réduit le champ d’investigation pour composer la meilleure équipe de France. En ayant moins de choix, on n’augmente pas la qualité de l’élite française. C’est donc logique. On forme encore de bons jeunes, mais pas assez pour viser le Top 3 mondial. 

« ON VEND L’ÉQUIPE DE FRANCE POUR DES VOIX »

Que peut-on attendre de la prochaine élection à la FFR entre Bernard Laporte, président sortant, et Florian Grill ?

Il y a un duel. On a deux candidats. L’un, on a vu ce qu’il a fait et on connaît son dossier. Et ce dernier n’est pas très reluisant. C’est Laporte. L’autre est peut-être moins connu, mais il est adoubé par d’anciens internationaux qui ont compris qu’il était un candidat issu de la base, qui connaît le rugby des profondeurs et qui a réussi dans sa vie, donc qui n’a pas besoin du rugby pour exister, c’est Mr Grill. Dans ces conditions, je me dis qu’il y a un candidat plus légitime que l’autre si les électeurs font le choix entre un programme (Grill) et un homme (Laporte). Après, personne ne s’interroge sur les réelles raisons des prochains matches entre l’Ecosse et les Fidji. J’ai lu que ce serait pour remercier les premiers pour leur vote dans l’attribution de la Coupe du Monde 2023 et pour dédommager les deuxièmes de leur voix dans l’élection Beaumont-Laporte, à World Rugby, pour battre la candidature de Pichot. Le rugby français doit-il supporter ce genre de marchandage ? Je réponds non. Les électeurs méritent de le savoir. On vend l’équipe de France pour des voix. 

Avec le départ de Paul Goze à la Ligue Nationale de Rugby, le rugby français doit-il changer en profondeur ?

Je ne suis plus personne pour répondre à cette question. On m’a fait le reproche de ne rien connaître au rugby quand je le commentais à la télévision… Je sais en revanche que je parle vrai. Et le faire m’attire souvent une inimitié. La guerre des hommes ne m’intéresse pas. Les hommes sont avec leurs qualités et leurs défauts. Ils en ont tout autant. C’est le jeu qui m’intéresse. Pour donner la balle à l’aile, la vie est belle comme le disait mon consultant, Thierry Lacroix. Je préfèrerais qu’on parle plus des programmes, que des hommes, pour revenir tout simplement au jeu. Pour l’instant, ce n’est pas le cas. 

Avez-vous été touché par les remous à France Télévisions ces derniers mois ?

Evidemment. J’ai été patron du service des sports de France 2 et de Stade 2. Forcément, ça me concerne si l’on parle de l’affaire Sarlat. Mais je suis un journaliste, je ne me contente pas de reprendre ce que l’on me dit, j’enquête. Et d’après ce que je sais, elle n’en est pas à son coup d’essai. Elle avait fait virer un intendant du Stade Rochelais*. Elle s’était plainte de la façon dont elle avait été traitée par cet intendant auprès de son directeur des sports qui s’est retourné auprès du club qui a viré le salarié. Moi, les gens qui font carrière, qu’ils ont raison ou tort, mais qui font carrière sur des dénonciations qui ne sont pas avérées ou justifiées, je dispose à leur égard une dose de mépris inépuisable. J’ai travaillé et j’ai eu des filles sous mes ordres. D’ailleurs, à mon époque, elles allaient plutôt comme envoyé spécial et grand reporter sur les terrains de guerre que sur les terrains de rugby, exemple Martine Laroche-Joubert. Elles avaient le courage d’aller là où les hommes n’aimaient pas aller ou n’osaient pas aller. Maintenant, les filles quand elles arrivent dans un service des sports, à la télévision, c’est pour être présentatrice de l’émission phare. Mais avant d’être présentateur ou présentatrice, il y a un parcours à faire et des preuves à apporter. Un apprentissage du métier sur le terrain. Le goût de l’enquête et du suivi quand on interviewe. Elles gomment tout ça pour prendre la lumière immédiate de l’exposition. C’est pervers et donc je suis critique. En tant qu’élève de Robert Chapatte, recruté par Chapatte, nommé rédacteur en chef d’une émission comme Stade 2, je vis très mal l’image déformée de Stade 2 à travers cet exemple. La décision qu’a été prise n’est pas justifiée à mes yeux et après mon investigation. A moins que l’on me prouve le contraire. 

Quand va-t-on retrouver du plaisir grâce au rugby et simplement reparler de jeu ?

C’est une question de volonté. Il y a deux rugbys aujourd’hui. Il y a le rugby de la Nouvelle-Zélande qui est aussi le rugby de l’Ecosse et parfois du Pays de Galles. J’aime ce rugby. Je prends du plaisir à le regarder. J’aimerais que tous soient pratiqués de cette manière. Ce n’est pas le cas. Les arbitres ont leur part de responsabilités. Ils doivent permettre de rendre le jeu attractif, ils ne doivent pas tendre dans le Je. 

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