A 34 ans, Rabah Slimani découvre un nouveau championnat et un nouveau pays. Après 15 ans à fouler les pelouses du Top 14, l’international français (57 sélections) a décidé de se lancer un ultime challenge avec le Leinster, véritable référence européenne.
Comment s’est passée votre intégration au Leinster et en Irlande ?
Très bien. C’est sûr, qu’au départ, il y avait la barrière de la langue même si je ne suis pas novice en anglais, mais il faut se faire comprendre et les comprendre eux, car ils parlent vite. C’était un peu compliqué mais, aujourd’hui, j’arrive à me faire comprendre et à les comprendre, c’est le principal. Ils m’ont accueilli comme un joueur qui jouait ici depuis des années, c’est cool.
Pourquoi avoir décidé de quitter Clermont où vous avez passé sept saisons ?
Ce n’était pas du tout prévu. Je devais arrêter ma carrière et entraîner car j’ai passé mes diplômes il y a trois ans. A l’époque, j’avais signé un contrat avec Jono Gibbes (ancien entraîneur de l’ASM de 2021 à 2023, Ndlr) qui était de deux ans plus une saison en tant qu’entraîneur et qui devait démarrer la saison dernière. Finalement, Jono s’est fait limoger (en janvier 2023, Ndlr) et Christophe Urios est arrivé.
J’en ai parlé avec Christophe, cela ne le dérangeait pas, mais il m’a demandé si je voulais vraiment arrêter ou si j’étais prêt à faire une saison de plus parce qu’il me trouvait en forme et qu’il trouvait ça dommage que j’arrête. J’ai donc réfléchi tout l’été 2023. Je me suis senti bien, j’en ai aussi parlé avec ma femme et j’étais ok pour faire une saison supplémentaire.
Sauf qu’après m’avoir dit ça en août, j’ai attendu une proposition du club toute la saison qui n’est finalement pas arrivée. J’attendais, je continuais de jouer, il était content de moi, mais je n’avais toujours pas de proposition jusqu’en juin. Mon agent a parlé plusieurs fois avec le club sans parvenir à un accord puisque le club avait des problèmes de Salary Cap.
Il avait recruté pas mal de joueurs et il était bloqué vis à vis de ça. Soit il ne pouvait pas me proposer de prolongation de contrat, soit cela se faisait avec un contrat largement à la baisse.
« J’ai longtemps attendu une proposition de Clermont… »
Comment s’est alors concrétisée votre arrivée au Leinster ?
Jusqu’en juin, je ne savais pas ce que j’allais faire, si je continuais à jouer, si j’arrêtais ma carrière ou même si je quittais Clermont. Cela s’est fait vraiment au tout dernier moment. Au mois de juin, au vu la situation, mon agent m’a alors mis sur le marché et des clubs se sont montrés intéressés dont le Leinster. Au début, je n’y croyais pas, j’ai demandé confirmation à mon agent, qui m’a bien confirmé l’intérêt du Leinster et tout s’est fait en l’espace d’un mois.
J’avais aussi des intérêts de clubs de Top 14 et de Pro D2 et il a fallu voir ce qui était le mieux pour moi. Je me suis dit qu’une expérience à l’étranger, surtout dans un club comme le Leinster, c’était une opportunité que je ne pouvais pas refuser. J’ai eu un premier entretien avec Léo (Cullen, entraîneur du Leinster, Ndlr) juste avant leur finale de Champions Cup face à Toulouse et ensuite tout s’est accéléré.
J’ai eu un deuxième rendez-vous deux semaines après avec une proposition de contrat. Tout le chemin a été long car la saison avec Clermont s’est finie le 8 juin et ma situation ne s’est décantée que le 20. C’est aussi pour cela que lors du dernier match à domicile je n’ai pas pu faire d’adieux car rien n’était officiel. C’était un peu bizarre.
Comme un clin d’œil, vous allez les retrouver en Champions Cup.
Oui. J’avais prévenu mes potes clermontois, avec la chance que j’ai, je vais retrouver Clermont en Champions Cup et c’est ce qu’il s’est passé. Je suis assez content de les retrouver et on va dire que le hasard fait plutôt bien les choses.
À LIRE AUSSI : toute l’actu du rugby dans votre mag
Rabah Slimani rêve de jouer en Top 14
Vous disiez que vous aviez connu une longue période d’incertitude, comment vit-on cette situation ?
Ça a été très compliqué. Mentalement, cela a été assez dur, mais j’ai essayé de garder la tête froide car il y avait des matches importants comme la demi-finale de Challenge Cup qu’on a perdue de peu (32-31 face aux Sharks, Ndlr). Il y avait aussi le Top 14. On aurait pu se qualifier, mais on n’a pas fait ce qu’il fallait sur les deux derniers matches. Il y avait aussi beaucoup d’enjeu sur le dernier match car il fallait le gagner pour être dans les huit premières places qui sont qualificatives pour la Champions Cup.
C’était beaucoup de pression. A côté de ça, on a une famille, ma femme était aussi dans l’attente pour savoir où est-ce qu’on va. On a aussi notre petite fille de 4 ans, est-ce qu’il va falloir la changer d’école où on peut l’inscrire, ça ne se fait pas comme ça. C’est pour cela que j’en voulais un petit peu au club de m’avoir fait attendre.
Heureusement, cela s’est bien décanté, nous avons trouvé une école française en Irlande qui a très bien compris la situation. Pour le reste, on a réussi à se débrouiller en ce qui concerne notre logement et le côté administratif. C’est un changement total de vie.
Si on bascule du côté sportif, quel regard portiez-vous sur cette province irlandaise du Leinster ?
C’est une des meilleures équipes d’Europe. C’est une sacrée chance que j’ai de pouvoir intégrer cette équipe. Il reste sur trois finales de suite, ils n’ont pas été chanceux puisque sur quasiment toutes les finales ils ont mené, mais perdu à la fin, deux fois contre La Rochelle et une fois contre Toulouse. Quand on voit l’énergie et l’investissement qu’il faut mettre pour aller jusqu’en finale, le faire trois fois, cela montre le niveau d’exigence qu’il y a ici.
Quand il y a 15 ou 16 joueurs qui jouent pour l’équipe d’Irlande, tu es obligé de te mettre au niveau sinon tu n’es pas invité. C’est aussi une chance pour moi de jouer ici car, à 34 ans, je me remets encore en question. C’est un challenge, j’ai encore à apprendre, j’en apprends tous les jours, c’est une chance que je souhaite à tout joueur. Ils m’ont aussi pris pour transmettre mon expérience aux jeunes, ce que j’ai vécu en Top 14 et avec l’équipe de France.
Cela faisait 15 ans que vous jouez chaque week-end sur les pelouses du Top 14, avez-vous eu le sentiment d’avoir fait le tour ici, en France ?
Je ne regrette absolument rien du Top 14, je ne m’en serais jamais lassé parce que j’ai vécu des choses énormes en Top 14. Comme je le disais, c’est une chance de pouvoir découvrir une nouvelle équipe, qui plus est de jouer un autre championnat, ça ne s’était jamais présenté avant, aujourd’hui, c’est le cas, je ne pouvais pas rêver mieux. De découvrir tout ça, ça demande un autre état d’esprit, c’est une nouvelle manière de s’entraîner, c’est un autre championnat, d’autres équipes, je vais croiser d’autres joueurs.
Vous expliquez que cela ne s’était pas présenté avant, cela peut paraître étonnant au vu de votre carrière.
Nous, Français, on rêve de jouer en Top 14 donc forcément quand on a une place dans ce championnat, on essaye de la garder. Après, il faut aussi avoir envie de partir, de changer de vie, c’est un gros changement, donc est-ce que tout le monde est prêt à faire ça, bouger avec sa famille. Certes, les étrangers le font avec leur famille, mais est-ce qu’à l’inverse les joueurs français auraient envie de le faire ?
Peut-être aussi que les agents ne nous parlent pas de ces opportunités à l’étranger. La question se pose aujourd’hui pour les jeunes, ils peuvent se dire qu’en partant à l’étranger, on les verra moins et qu’ils ne pourront pas évoluer avec l’équipe de France. En France, on suit beaucoup le Top 14, mais je ne suis pas sûr qu’on suit beaucoup ce qu’il se passe dans les championnats étrangers.
Jules Lefebvre