Décisif contre l’Irlande, Pierre Villepreux réalise encore aujourd’hui la portée du premier Grand Chelem de l’histoire du rugby français.
Que vous reste-t-il de ce Grand Chelem de 1968 ?
On ne pensait pas au Grand Chelem. C’était quelque chose qui était difficilement accessible. On n’avait pas en tête le fait que l’on pouvait battre toutes les autres nations. Cela n’avait jamais été fait. C’était utopique. On s’est aperçu de l’exploit seulement à la fin.
Comment aviez-vous abordé ce Tournoi ?
Pour le gagner et faire du mieux possible. J’avais déjà gagné le Tournoi en 1967. On savait que l’on avait les possibilités de le faire. Le calendrier était différent. Plus espacé. Aujourd’hui, c’est plus resserré. On jouait un match puis il y avait du temps avant que l’on se retrouve. On était réunis seulement deux jours avant les matches.
Le fait de l’avoir emporté 8 à 6 en Ecosse a-t-il permis de lancer la campagne 1968 avec confiance ?
On ne se projetait pas. On ne réfléchissait pas. L’Ecosse était une belle victoire, mais elle ne dictait pas la conduite de l’équipe pour la suite du Tournoi. On avait une idée des valeurs des équipes. Les matches difficiles étaient face à l’Angleterre. L’Irlande n’était pas l’équipe qu’elle est aujourd’hui. Jouer l’Irlande, que ce soit à la maison ou l’extérieur, c’était à notre portée. A la limite, perdre l’Irlande était vécu comme une contre-performance. Contre les autres un peu moins. On avait abordé ce match avec une certaine sérénité.
Pierre Villepreux précieux contre l’Irlande
Que vous reste-t-il de cette victoire 16 à 6 face à l’Irlande ?
Le plaisir d’avoir marqué un essai. Au-delà des coups de pied (7 points, 2 transformations et un drop, Ndlr), j’avais fait marquer un essai. Il y avait eu un ballon tapé par les Irlandais. Je l’avais récupéré. J’avais évité le premier défenseur. Je me souviens de cette image. J’étais reparti au centre du terrain. J’avais trouvé Benoît Dauga qui avait enchaîné. On avait marqué un superbe essai.
Quel souvenir gardez-vous des matches à Colombes ?
Le Premier Ministre de l’époque, Jacques Chaban-Delmas était venu dans notre vestiaire avant le match. Il avait fait l’échauffement avec nous (sourire). Il était très affuté. Il avait posé la veste et il était avec nous. On s’échauffait dans le vestiaire à l’époque. On ne sortait pas sur le terrain. Il ne faisait pas chaud.
Ensuite, comment avez-vous préparé le match de l’Angleterre ?
Ce n’est jamais simple de les gagner. Je n’avais pas pu le jouer car j’étais blessé juste avant. Mes copains avaient l’idée de gagner pour continuer à vivre une belle aventure jusqu’au bout. Ils avaient fait un gros match pour s’offrir le droit de rêver lors du dernier match face au Pays de Galles. Avec trois victoires, on ne pense qu’à aller décrocher la 4ème. C’était surtout avec l’idée de réussir ce premier Grand Chelem. Même si l’équipe de Jean Prat avec Amédée Domenech et Alain Boniface avait failli le faire en 1955. Et c’était justement le Pays de Galles qui les en avait privés à Colombes (défaite 16-11, Ndlr).
« On était prêts à tutoyer les étoiles »
Quel était l’état d’esprit avant ce dernier match ?
On était prêts à tutoyer les étoiles. C’est toujours une belle façon de rentrer dans l’histoire. On sait que le monde du rugby s’en rappellera. C’était le premier.
Avez-vous eu droit aux honneurs après ce succès inédit pour le rugby français ?
On a eu une médaille, mais c’était aussi le cas en cas de victoire. Les joueurs ont simplement essayé de rester un peu plus longtemps ensemble pour en profiter. Entre nous, il y a ce lien et un souvenir impérissable. Même encore aujourd’hui, on m’en parle. C’est appréciable d’être reconnu pour cela.
D’autant plus que les Grands Chelems se font rares…
(Il coupe) Cela ne se gagne pas facilement ! C’est rare même d’en faire deux consécutifs. On l’avait fait avec Jean-Claude Skrela quand on entraînait l’équipe de France (en 1997 et 1998, Ndlr). On aurait bien voulu en faire un 3ème. Cela aurait été exceptionnel.