Le mercato au rugby, c’est pas pour demain. La division est forte entre tous les acteurs qui souhaitent un marché des transfert ?
« Il y a un aspect très important du professionnalisme que nous n’avons pas encore vraiment saisi dans le rugby : le système de transfert. Plus vite nous pourrons mettre en place un système de transfert approprié similaire à celui qui existe dans le football par exemple, plus vite nous pourrons résoudre bon nombre de nos autres problèmes. »
Cette déclaration de Rian Oberholzer, directeur général de South Africa Rugby, a eu le don de faire réagir. Auréolé d’une notoriété sans précédent, l’équilibre du rugby reste toutefois fragile et ses ressources limitées. Dans ce contexte, ouvrir un marché des transferts à l’échelle internationale pour générer des actifs est-il une solution ? Rugby magazine a interrogé le monde de l’ovalie.
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Il y est favorable : Thomas Lombard (directeur général du Stade Français)
« Je peux y être favorable dans le sens où aujourd’hui le rugby est arrivé à un degré élevé d’endettement et que si on veut continuer à se développer et avoir de la durabilité dans tout ce que l’on fait, il va falloir qu’on fasse entrer de nouveaux investisseurs. Aujourd’hui, les nouveaux investisseurs, ce sont, soit des mécènes, soit des partenariats supplémentaires, soit des fonds privés. On voit ce qu’il se passe dans d’autres sports avec l’arrivée des fonds qui investissent de l’argent, c’est là qu’une partie de l’argent disponible se trouve, sauf que les fonds rentrent avec une perspective de plus-value. La plus-value, elle se situe où ?
Au niveau des actifs immobiliers des clubs qui ne sont pas les mêmes pour tous, dans le sens où peu de clubs sont propriétaires de leurs infrastructures donc ce n’est pas un argument solide pour séduire les fonds. Il n’y a pas de constitution d’actifs autour des joueurs donc la perspective de maximiser les revenus investis repose sur le développement du business et sur les droits télés, ça fait peu pour être attractif.
Dans cette logique-là, inclure les joueurs comme des actifs dans le bilan des clubs permettrait effectivement d’avoir plus de solidité financière et de ne pas avoir simplement des clubs professionnels qui sont majoritairement en train de perdre de l’argent. Tous les clubs n’en perdent pas, mais pour beaucoup, c’est une réalité. La difficulté serait d’adopter ce système à l’échelle internationale, mais c’est peut-être un point de passage nécessaire si on veut avoir des rentrées financières qui soient plus conséquentes car on a déjà exploré beaucoup de territoires.
Si on prend l’exemple de la France, au niveau du sponsoring par exemple, on attendait beaucoup de la Coupe du monde, mais on voit que les choses ne se sont pas transformées, les affluences dans les stades sont bonnes, mais il n’y a pas de perspectives où on va les doubler ou les tripler. Nous avons les droits TV les plus chers au monde qui sont bouclés jusqu’en 2032 avec une montée systématique à chaque nouvel appel d’offre, mais qui ne représente pas une bascule énorme et enfin il y a la Coupe d’Europe, mais nous n’irons pas chercher plus que ce que l’on a déjà ou très peu. »
Ils y sont plutôt défavorables : Pierre-Yves Revol (président du Castres Olympique)
« Par principe, je suis plutôt rétif. Tout ce qui pourrait amener à une marchandisation supérieure du joueur ne me semble pas forcément compatible avec l’esprit de notre sport. OK il faut s’adapter à son temps, mais je ne pense pas, en plus, que l’économie du rugby puisse aujourd’hui supporter durablement des investissements considérables sur les masses salariales des joueurs. »
« La tendance est plutôt à la stabilisation voire à une baisse du salary cap. C’est une bonne chose parce que le rugby est globalement dans une économie très dépendante. Seule une minorité de clubs ont une exploitation équilibrée de par leurs propres ressources, sans l’aide d’un mécène ou d’un partenaire fort comme c’est notre cas. Si cela valoriserait la formation, ça pourrait avoir d’autres inconvénients majeurs qui porteraient vraiment atteinte à l’essence de sport qui reste un sport beaucoup plus collectif que des sports dans lesquels le Mercato est pratiqué. »
Benjamin Deudon (journaliste à Sud-Ouest)
« Je ne suis pas sûr que cela serve les intérêts des joueurs. A l’heure actuelle, les joueurs qui peuvent être en situation d’échecs dans un club arrivent souvent à trouver une porte de sortie. Donc je ne sais pas si le système des Mercatos serait favorable aux joueurs, mais plutôt s’il ne serait pas pensé pour des personnes qui voudraient gagner de l’argent avec. Selon moi, c’est toujours une histoire de gros sous. »
« Après, cela peut être intéressant pour certains clubs formateurs qui se font piller leurs jeunes et qui pourraient générer des actifs. Mais sinon, introduire trop d’argent dans le système, ce n’est pas forcément une bonne chose, on l’a vu avec le football. D’ailleurs, on voit dans le foot que de plus en plus de gros joueurs attendent la fin de leur contrat pour changer de club. D’un point de vue plus philosophique, j’aime bien l’idée d’aller au bout de son contrat, on donne de la valeur au papier qu’on signe. »
« Je ne suis pas spécialement favorable à l’idée d’un marché des transferts, d’autant plus qu’on parle de marché à l’échelle mondiale alors que le rugby professionnel ne concerne que très peu de pays, en gros, le Japon, l’Afrique du Sud, l’Australie, la Nouvelle-Zélande et les pays européens, peut-être les Etats-Unis à l’avenir, mais nous en sommes loin pour le moment. Je ne suis pas convaincu par un changement du système car je trouve que l’actuel fonctionne plutôt pas mal. »
Ils y sont défavorables : Laurent Travers (président du racing 92)
« Je n’y suis pas spécialement favorable. On ne peut pas comparer avec le football. Au rugby, il y a très peu de rachats de contrats à part pour les jeunes issus de la formation. Au football, les joueurs ont une valeur qui permet par moments de faire rentrer de la trésorerie pour le club, ce qui n’est pas le cas du rugby. Ensuite, le fait d’arriver en cours de saison existe déjà à travers les jokers médicaux ou les joueurs supplémentaires. »
« Cela signifie déjà qu’un club est d’accord pour libérer le joueur et que l’autre est en demande de se renforcer. Je ne sais pas s’il serait nécessaire d’ajouter un Mercato dans la saison, non je ne suis pas favorable. Niveau sponsoring parce qu’on va attirer un joueur en cours de saison, on fera venir plus de sponsors ? Ça, je n’y crois pas du tout. »
Thierry Cazedevals (agent d’antoine dupont)
« Ce n’est pas du tout d’actualité. Les dirigeants ne veulent pas changer le système actuel, il y a d’autres sujets plus importants à leurs yeux.
Sous contrat avec Brive jusqu’en juin 2026, le Racing aurait racheté les deux dernières années de contrat de Léo Carbonneau pour environ 500 000 euros.
Honnêtement, je ne vois pas à quoi ça servirait puisqu’en France il y a déjà des rachats de contrats qui s’effectuent et qui génèrent de l’argent pour certains clubs. Ensuite, à l’échelle internationale, je n’y crois pas plus. Si on prend l’exemple de l’Afrique du Sud puisque c’est un dirigeant de là-bas qui en a parlé, les franchises n’ont pas d’argent. Le développement du rugby passera, selon moi, par la création de nouvelles compétitions. »
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(avec Arnaud Bertrande)