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Marin à la personnalité riche, Benjamin Ferré est arrivé tard dans la voile. Le Breton aime les défis et après avoir parcouru 40 000 km en stop autour du monde ou avoir disputé le 4L Trophy en 2010, il a relevé avec brio celui du Vendée Globe avec une belle 16ème place, leader des bateaux sans foils pour sa première participation.
Vous avez terminé premier des bateaux sans foils. La bataille avec Tanguy Le Turquais a été serrée. Où avezvous pris le dessus sur lui ?
La dernière nuit aux Açores quand il vire de bord, mais je n’en suis pas complètement sûr. Après, quand il n’y a que 16 minutes d’écart après 84 jours en mer (84 jours, 23 heures, 19 minutes et 39 secondes contre 84 jours, 23 heures, 55 minutes et 48 secondes, Ndlr), difficile de trouver un moment décisif, c’est comme si on était arrivé en même temps, l’écart est tellement faible. Mais je suis content d’avoir réussi à tenir une stratégie, d’avoir gagné la guerre mentale.
Quel était votre objectif au départ ?
À lireNicolas Lunven (6ème du Vendée Globe) : « Je me suis surpris à rester philosophe »En termes de classement, je n’en avais pas vraiment, mais j’en avais deux autres : terminer et être un acteur de la course en étant le premier des bateaux à dérives et laisser une jolie trace dans la course, que les connaisseurs se disent : « Ce gars-là a bien navigué. »
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Benjamin Ferré en compétition avec Jean Le Cam
Avec un bateau sans foils est-ce le meilleur résultat que vous pouviez espérer ?
C’était difficile de faire mieux, il y a un monde d’écart avec les autres bateaux. Au début de la préparation lors d’un déjeuner avec Benjamin Le Roy, mon team manager, il m’a demandé d’écrire le scénario idéal et, sur le papier, donc il y a quatre ans, je pensais terminer 31ème ou 32ème. Avec Jean (Le Cam), Tanguy (Le Turquais), Violette (Dorange), la compétition entre bateaux à dérives était très relevée.
À lirePaul Meilhat (5ème du Vendée Globe) : « Comme un pilote de F1 qui monte dans sa voiture »Je ne pensais pas la gagner, je ne pouvais pas rêver mieux que d’être premier bateau à dérives avec 16 minutes d’avance. Il y a beaucoup trop d’écart avec les autres bateaux. Un bateau à dérives ne peut pas faire un podium sur le Vendée Globe. Mais on ne peut pas se passer de la présence de ces bateaux sur la course. Sans eux, les projets de Jean (Le Cam), Violette (Dorange) ou Tanguy (Le Turquais) ne seraient pas allés au bout.
Après un tour du monde en stop et en solitaire, le 4L Trophy et bien d’autres aventures, vous avez découvert la course au large en 2017. Vous dites souvent que Jean Le Cam a été votre mentor. Sans lui, auriez-vous couru le Vendée Globe ?
Non. Jean a été essentiel dans ce projet.
Quel a été le moment le plus difficile pour vous ?
À lireSébastien Simon (3ème du Vendée Globe) : « J’ai failli devenir tétraplégique »Mi-décembre, dans l’océan Indien, j’ai eu un problème de vérin de quille. J’ai cru pendant une partie de la nuit que le Vendée Globe était terminé pour moi. C’est Jean qui m’a aidé à trouver la solution, il m’appelait toute la nuit, j’ai pu repartir et j’ai finalement terminé devant lui. Ça a été une épreuve psychologique. J’ai passé trois jours à deux nœuds, j’ai pu bricoler pendant cette longue phase de transition, j’ai fait les réparations et je suis revenu sur les autres concurrents.
Au sud de la Tasmanie aussi, on est un petit groupe, je ferme la marche. J’étais au bord de l’apoplexie mentale quand tout le monde est parti, me laissant tout seul. Je ressentais un sentiment d’abandon. J’étais bloqué à 5000, je ne touchais pas le vent. Devant, ils avaient un océan d’avance et derrière ça revenait sur moi. Je n’avançais pas pendant trois jours, j’étais comme englué, comme un moustique collé dans un tube de colle. Puis j’ai trouvé le bon vent et j’ai refait mon retard et je les ai dépassés !
« Mi-décembre, dans l’océan Indien, j’ai eu un problème de vérin de quille. J’ai cru pendant une partie de la nuit que le Vendée Globe était terminé pour moi »
Ce Vendée Globe vous a-t-il changé ?
Ma personnalité n’a pas changé. Mais tout est plus exacerbé. On est plus clairvoyant pour voir ce qui nous rend heureux ou malheureux. Cette course, c’est une leçon par jour ! J’ai énormément appris sur la navigation, la façon de gérer mon bateau. C’est un condensé de vie en accéléré, tu apprends pleins de choses sur la vie.
À lireVendée Globe : comment Violette Dorange a révolutionné la course au largeComment vous sentez-vous depuis que vous avez retrouvé la terre ferme ?
Je suis bien, je me repose sur un petit coussin d’accomplissement, de joie mais, paradoxalement, je suis fatigué et un manque commence à s’installer. Les lumières se sont éteintes, j’ai vécu beaucoup de bons moments depuis mon arrivée. Pendant quatre ans, j’ai fait beaucoup de sacrifices, des diners, des déjeuners refusés, ça m’a causé des fâcheries, mais j’ai toujours préféré les emmerdes (rires), les marins aux terriens.
Ce n’est pas la solitude qui me manque, mais l’exaltation des sentiments, vivre dans l’extraordinaire. On revient dans la vie ordinaire tout à coup. Je compare un peu les marins aux cavaliers qui créent une complicité avec leurs chevaux. Nous c’est avec nos bateaux. Quand la course s’arrête, c’est la fin de quatre ans de complicité, ce n’est pas facile.
Etes-vous favorable à un classement bis pour les bateaux sans foils ?
À lireJérémie Beyou (4ème du Vendée Globe) : « L’impression de repousser ses limites »Je reste mitigé sur cette question. Autant c’est bien de faire deux catégories, les prototypes et les voiliers de séries dans les transatlantiques autant je pense que le Vendée Globe doit rester une course simple avec un seul vainqueur. Le Vendée Globe est une course aux mille histoires avec 40 bateaux et un vainqueur. Si on fait un classement à part pour les bateaux à dérives, lesquels y met-on exactement ? Dans cette course, il y a beaucoup de projets atypiques, ça pourrait les freiner.
Pourriez-vous repartir dans quatre ans avec un bateau sans foils ?
Je ne suis pas partant pour le prochain. Il faudrait repartir immédiatement dans une préparation de quatre ans. J’ai envie de profiter de la course que j’ai réalisée. C’est un bel accomplissement, je veux en profiter. J’ai peur de repartir trop vite. Cela fait dix ans que je monte des projets et j’en ai marre de rater des évènements de la vie quotidienne avec mes proches.
Quand vous êtes sur un projet, il faut tout lui donner, vous mettez votre vie active et personnelle entre parenthèses. Je suis reconnaissant d’avoir vécu de telles émotions une fois dans ma vie, cette course était tellement parfaite pour moi. Et, je participerai à d’autres aventures maritimes. Je ne suis pas blasé, en mer chaque histoire est différente et sans fin.
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