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Pour son premier Vendée Globe en 2020, Clarisse Crémer est devenue la femme la plus rapide de l’histoire de la course (87 jours, 2 heures, 24 minutes et 25 secondes). 12ème au final, elle repart, après bien des péripéties, à l’assaut des mers du Sud à bord de son nouveau bateau, l’Occitane en Provence.
Dans quel état d’esprit êtes-vous avant le départ de votre 2ème Vendée Globe ?
C’est déjà une victoire d’être là aujourd’hui et j’ai vraiment hâte d’être sur l’eau. La balance appréhension/joie de partir est très, très positive pour l’instant. Ça va peut-être évoluer les jours avant le départ, je serai peut-être un peu plus stressée.
Pour le premier, aviez-vous davantage d’appréhension ?
À lireNicolas Lunven (6ème du Vendée Globe) : « Je me suis surpris à rester philosophe »J’ai dû beaucoup batailler pour être là aujourd’hui et du coup ça change pas mal mon état d’esprit, notamment mentalement parce que c’est vraiment un accomplissement, ne serait-ce que d’être sur la ligne de départ et, du coup, ça aide à voir l’aventure du Vendée Globe, paradoxalement de façon un peu plus légère. J’ai aussi plus d’expérience donc ça me fait un peu moins peur, même si je sais aussi dans quelle galère je m’embarque.
Quel est l’objectif pour ce 2ème Vendée Globe ?
D’être plus performante que la dernière fois. C’est vrai que la première fois j’avais mis le curseur de risque assez bas, notamment dans la première tempête tropicale la première semaine. J’avais fait le grand tour, j’avais perdu pas mal de milles sur mes concurrents. Et donc j’aimerais bien pousser un peu plus, être plus dans la performance. Après, il y a 13 bateaux neufs, il y a beaucoup de monde, on est 40, beaucoup peuvent prétendre à de belles places, donc c’est difficile de donner un objectif chiffré. Dans ma tête, je vise le top 10, mais j’ai surtout envie de finir. C’est un peu une aventure intime le Vendée Globe et ce sont aussi des objectifs intimes en termes de façon de vivre l’aventure, d’être bien toute seule en mer, de gérer aussi les avaries techniques qui sont de vrais challenges psychologiques. J’ai envie de gérer tout beaucoup mieux que la dernière fois, différemment en tout cas.
« Je ne suis pas du tout dans la revanche même si j’ai dû recréer un projet de zéro 18 mois avant le départ »
Pensez-vous améliorer encore le record féminin ?
À lirePaul Meilhat (5ème du Vendée Globe) : « Comme un pilote de F1 qui monte dans sa voiture »Je ne serais pas étonnée que le record féminin soit battu par l’une de nous, mais ce n’est pas un objectif. J’ai une relation un peu ambivalente avec ce record parce que c’est un sport mixte, c’est un classement féminin qui n’est pas officiel. Mais je ne serais pas étonnée qu’il soit battu.
Cela vous gêne-t-il qu’on parle de record féminin alors que c’est justement un sport mixte ?
Non, ça me gêne pas du tout. Simplement, ce n’est pas forcément un objectif personnel. Mais ça ne me gêne pas. C’est logique en fait, c’est simplement lié au nombre qu’on est, à l’histoire aussi où il y a eu assez peu de femmes même si là ça fait deux éditions qu’on est pas mal (6 sur 40, Ndlr).
Il y avait 44 candidats pour 40 places, est-ce pour cela que ça a été un soulagement d’être au départ ?
À lireSébastien Simon (3ème du Vendée Globe) : « J’ai failli devenir tétraplégique »J’ai dû faire quatre Transatlantiques dans la dernière année pour pouvoir prétendre être sur la ligne de départ. Ça a énormément impacté ma façon de naviguer et de gérer le projet sur ces quatre dernières courses. J’ai hâte de naviguer de façon plus libre sans ce drôle d’objectif en tête ; tu fais une course et en même temps tu n’es pas vraiment dedans parce qu’il faut d’abord finir la course quoi qu’il arrive.
Vous avez traversé pas mal d’épreuves entre les deux Vendée Globe, cela va-t-il vous servir ?
Le point positif de tout ça, c’est que je ne suis pas tout à fait la même Clarisse qu’il y a quatre ans. J’ai beaucoup évolué avec tout ce que j’ai vécu, à terre comme en mer. Mais mes fondamentaux n’ont pas changé. Je suis quelqu’un d’assez sensible, assez émotive. Je vais probablement parfois tomber dans les mêmes écueils, mais j’ai beaucoup plus d’outils maintenant pour me relever plus vite et mieux gérer la partie émotionnelle.
« J’y retourne avec une volonté de continuer à approfondir tout ce que j’ai découvert la dernière fois »
Quel regard portez-vous sur ces trois-quatre ans qui ont été assez mouvementés (son sponsor Banque Populaire a choisi de l’écarter après sa maternité. Elle a également été accusée de tricherie avant d’être lavée de tout soupçon, Ndlr) ?
C’était fastidieux. Tout n’est pas un bon souvenir, mais j’essaie de me concentrer sur les choses positives, sur le fait d’être au sein d’un groupe très chouette avec L’Occitane en Provence. C’est hyper important pour moi de partir sur l’eau avec un état d’esprit positif. Je ne suis pas du tout dans la revanche. Ça n’a pas été une période facile, je ne l’ai jamais caché, il y a des choses que j’aurais aimé pouvoir vivre différemment, mais je suis concentrée sur le positif.
À lireVendée Globe : comment Violette Dorange a révolutionné la course au largeCela a-t-il complexifié votre préparation ?
Il n’y a pas besoin d’être un expert en voile pour imaginer que ça complexifie ma préparation ! J’ai dû recréer un projet de zéro 18 mois avant le départ. Quand je suis à 1000 pieds à terre du dernier Vendée Globe et que j’avais déjà en tête un prochain Vendée Globe, c’était avec des objectifs de performance et j’avais une autre vision de ma préparation. J’ai néanmoins un super bateau, une super équipe, un super sponsor. Mais dans la préparation, je n’ai pas pu tout faire exactement comme je le voulais. Mais en mer, comme à terre, on s’adapte. J’ai simplement dû le faire un peu plus que ce que je pensais.
Votre compagnon Tanguy Le Turquais va faire son premier Vendée Globe. Ça doit être particulier…
Ça rajoute un petit supplément d’émotion. Tant que tout va bien, tout va bien. On a l’habitude d’être tous les deux en mer. Ça fait 13 ans qu’on est ensemble, je l’ai toujours connu marin. Ça fait partie de notre ADN de famille de couple. Ma petite angoisse, c’est s’il y a un problème pour l’un ou pour l’autre, ou pour notre petite fille à terre. C’est l’inconnu et on ne sait pas comment on va gérer ça.
À lireJérémie Beyou (4ème du Vendée Globe) : « L’impression de repousser ses limites »Justement, comment gérez-vous cette distance avec les proches ?
Il y a tellement de choses qui peuvent se passer dans la vie. C’est impossible de lister tous les cas, toutes les situations. Je demande à des personnes de confiance de décider à ma place de ce qu’elles me disent ou de ce qu’elles ne me disent pas. Par contre par rapport à ma petite fille, j’ai besoin d’être au courant (c’est Léna, la sœur de Tanguy, qui gardera la petite, Ndlr), j’ai besoin de savoir. J’ai du mal à imaginer qu’on me cache quelque chose. Ce qui est particulier dans le Vendée Globe, c’est qu’on se retrouve au milieu de l’océan Indien ou de l’océan Pacifique, au milieu d’endroits où on est loin de la terre et que s’il fallait revenir à terre, potentiellement ça peut prendre beaucoup de temps et en plus notre vie à nous est aussi en jeu donc il ne faut pas se retrouver à se mettre en danger parce qu’émotionnellement on a eu un grave choc.
Allez-vous faire des visios avec votre fille Mathilda ?
Elle va bientôt avoir 2 ans (le 15 novembre, Ndlr) et ce n’est pas très clair de savoir si la vidéo est une bonne idée. Elle ne va pas forcément comprendre exactement ce qu’on est en train de faire. On va voir au fur à mesure comment on gère tout ça. L’année dernière, j’avais passé du temps avec une pédopsychiatre pour lui poser plein de questions pour que ça soit plus facile.
À lireYoann Richomme (2ème du Vendée Globe) : « Je travaille avec une préparatrice mentale »Quand on dispute le Vendée Globe pour la première fois, on réalise un rêve. Pourquoi repartir une seconde fois ?
Quand j’ai fait mon premier Vendée, je ne comprenais pas trop ceux qui y retournaient. En fait, après 15 jours, 3 semaines de mer, la dernière fois quand je suis arrivé près du Cap de Bonne-Espérance, tout d’un coup, je me suis sentie vraiment bien sur l’eau et je suis entrée un peu dans un état second que j’ai un appelé mon état sauvage, un état coupé du monde sur ma petite planète bateau et j’ai vite senti que le virus était là. On a envie d’y retourner. Un peu comme quand on découvre un pays, qu’on a prévu un voyage un peu court et qu’on se dit qu’il va falloir y retourner pour mieux découvrir, mieux approfondir. A partir du Cap de Bonne-Espérance, tout ce qui m’est arrivé après, – je vivais l’instant présent -, mais je me projetais dans qu’est-ce que je ferais de mieux la prochaine fois. J’y retourne avec une volonté de continuer à approfondir tout ce que j’ai découvert la dernière fois où on a l’impression juste d’avoir effleuré un sujet et on a envie d’aller plus loin. Rien que le fait d’être géographiquement dans les mers du Sud, c’est quelque chose d’assez fascinant.
