En réussissant à Atlanta en 1996 à franchir 5m92, Jean Galfione est devenu le 2ème perchiste français champion olympique après Pierre Quinon en 1984 et avant Renaud Lavillenie en 2012.
Est-il vrai que c’est en feuilletant un numéro spécial de Paris Match sur les JO de 1984 que vous avez découvert votre héros Pierre Quinon, ce qui a décanté beaucoup de choses ensuite ?
Cela s’est effectivement produit un peu ainsi. Mais c’est un ensemble de choses. Pierre Quinon gagne en 1984 (à Los Angeles, Ndlr). J’ai commencé l’athlétisme en 1983/1984. Je découvre les Jeux avec l’athlétisme et les sauteurs à la perche. Thierry Vigneron prend la médaille de bronze en 1984 et Pierre Quinon l’emporte. Pierre, ce champion extraordinaire qui dégageait une humanité dingue, avec une jeunesse, une fraîcheur et un sourire incroyable.
Il avait aussi cette folie de tenter des choses et cela fonctionnait. Il était un peu ce champion inattendu. En 1985, il y a aussi le premier homme à 6 mètres à Paris avec Bubka. C’était le stade sur lequel j’allais avec l’école Porte de Saint-Cloud. Je commence alors la perche vers 1984/1985. Je sens que cette discipline m’intrigue. Des choses me marquent.
Signe du destin, vous succédez à Pierre Quinon en 1996 !
C’est un honneur surtout ! Outre le fait de lui succéder j’ai appris à le connaître. On était devenus très copains. On se voyait régulièrement. Il avait fini sa carrière à Paris. On s’entraînait ensemble.
Quelle différence entre le Galfione de Barcelone (13ème) et celui d’Atlanta ?
Quatre ans de travail. L’échec deBarcelone a fait que plutôt que de rester sur sa tristesse, j’ai travaillé dur. En 1992, je manquais de maîtrise à très haut niveau dans la gestion du stress d’un grand championnat. J’étais sportivement irrégulier. Quatre ans plus tard, je me suis inspiré de cette déception relative pour reconstruire. En 1993, j’ai obtenu mes premières médailles en salle et extérieur, en 1994 également. En 1995 (à Göteborg, Ndlr), j’obtiens un podium aux Mondiaux extérieur. Cela m’a ouvert l’esprit et la possibilité de m’imaginer sur la plus haute marche. Avant, je me disais bien que je pouvais faire quelque chose, mais je n’avais pas de plan précis.
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« Je m’étais rendu compte qu’il y avait un taux d’humidité et de chaleur très important »
Quelle image la plus marquante vous reste-t-il de cet exploit de 1996 ? Le dernier saut de Trandenkov ?
Ce qui reste le plus, ce sont surtout les moments où je retrouve Maurice Houvion. Dans la salle de presse, tout le monde nous observe. On n’ose pas lâcher nos émotions. On se retrouve après dans la voiture tous les deux pour rentrer au village olympique. Ce sont alors des moments d’intimité avec Maurice. J’avais construit tout cela avec lui depuis des années. J’avais fait un truc top pour lui. Le plus important était là.
Car ce qui est invisible ce sont les heures passées ensemble jusqu’à huit par jour, les stages d’entraînement, les déceptions, les blessures… Ce qui ressort de tout cela c’est d’avoir réussi ce pari fou. Le reste a été une fierté sportive et personnelle. Je n’ai pas réalisé d’emblée ce que j’avais accompli. Le dernier saut de Trandenkov ? Je ne me réjouis pas de son échec (ce dernier passe aussi 5m92, mais est battu au nombre d’essais, Ndlr). Je retiens davantage mes sensations sur les derniers sauts. J’avais cette impression d’aller très vite et de ne plus sentir le sol sous mes pieds. C’était très facile.
Le résultat final aurait-il été similaire si vous n’aviez pas été en repérage un an avant ?
Cela a été un facteur très important effectivement. D’être parti un an avant a permis de prendre des repères. Je me suis imprégné du climat, de l’ambiance, de l’atmosphère américaine. Ce truc qui est un peu dans l’imaginaire et avec lequel il faut vivre. Je m’étais rendu compte qu’il y avait un taux d’humidité et de chaleur très important. On ne s’acclimate pas à ce genre de conditions en cinq jours.
Il faut bien compter deux, trois mois pour que cela ne soit plus un souci, pour bien dormir, ne plus être en déshydratation. Le corps a besoin de cela. La réflexion a donc été de se dire cela ne sert à rien de partir avec le Comité Olympique une semaine avant, surtout qu’on allait se retrouver dans la fournaise olympique, dans le stress car on est amenés à rencontrer nos adversaires tous les jours dans le village.
Sans parler des sportifs des autres sports. C’est une euphorie absolue donc ce n’est pas tranquille. En arrivant deux jours avant, on ne subissait pas de décalages dont ceux horaires. On s’était bien préparés à cela en amont en France sur des entraînements avec des horaires qui correspondaient à ceux de là-bas. Et on n’avait donc pas à supporter cette notion de dureté d’humidité, mais en conséquence juste une journée ou deux. Et on pouvait rentrer dans le vif du sujet. Ce pari a été intelligent. On s’était renseignés beaucoup avec Maurice Houvion. Et par expérience pour avoir disputé pas mal de meetings aux Etats-Unis, je savais qu’il ne fallait pas arriver trop longtemps avant.
Remporter l’or olympique a-t-il été plus fort que de passer 6 mètres la première fois le 6 mars 1999 ?
C’était très fort, une très grande fierté, mais il y en a une troisième aussi. J’ai fini ma carrière avec trois années de très grosses blessures. J’étais même redescendu à un niveau junior. J’avais fondu musculairement et je sautais 5m20. Je ne mettais plus de vitesse ni d’impulsion. J’ai mis cinq ans pour revenir entre 2000 et 2005.
En 2005, j’ai refait 6ème à un Championnat d’Europe (en salle à Madrid avec 5m60, Ndlr). J’étais dans les quinze meilleurs mondiaux et je m’étais requalifié aux Championnats du monde. J’ai éprouvé une grande fierté de finir ainsi et pas sur blessure, ni sur une déception ou sur un sentiment d’inachevé. Cela m’aurait vraiment laissé un goût amer et du regret. J’ai été très fier de m’être battu ainsi, par respect pour tout ce que ce sport m’avait apporté. Après, il était temps d’arrêter…
Armand Duplantis peut-il être battu et un Français peut-il devenir champion olympique à Paris ?
Aux Jeux, plus que nulle part ailleurs, on n’est pas à l’abri de bonnes surprises. J’en suis l’exemple même. J’étais 6ème au bilan mondial. On ne m’attendait pas particulièrement sur le podium. Mais moi j’étais convaincu que j’allais me présenter en bout de piste pour jouer la gagne. J’étais prêt à cela. Alors là encore on n’est pas à l’abri. Maintenant, en étant concret, il y a un phénomène aujourd’hui qui s’appelle Armand Duplantis. Il saute très haut et il ne rate quasiment jamais de concours. Il a une régularité incroyable. Cela va être compliqué de le battre. S’il prend une perche en dessous, un peu moins de levier et qu’il assure, cela devrait lui suffire pour gagner.
Le saviez-vous ?
A Atlanta, Jean Galfione devient champion olympique en 1996 en effaçant une barre à 5m92, nouveau record olympique, deux centimètres de mieux que Sergueï Bubka à Séoul en 1988.