Inhérentes à un sport qui les a toujours considérées comme essentielles et indispensables, sans être vraiment remises en cause sur le fond. Les troisièmes mi-temps posent problème sur la forme. A l’instar des affaires de l’été, comment faire pour que cessent tous ces excès indignes des valeurs censées représenter le rugby ?
En Argentine, l’été meurtrier du rugby français, parce qu’il n’était pas le premier du genre, ne pouvait que déboucher sur une remise en cause d’un des héritages culturels le plus profondément ancré en ovalie, celui des troisièmes mi-temps. Pourtant, si d’aucuns s’accordent pour considérer que les limites sont trop souvent dépassées, personne ne va jusqu’à envisager de les interdire. Dans le Midol, Serge Blanco relativise :
« Il ne faut pas tout mélanger, la troisième mi-temps a toujours existé et fait partie de notre culture. Il faut juste apprendre où placer le curseur. Nous, on s’est amusé, on a rigolé et vécu des moments exceptionnels qui nous ont lié à vie. Le ciment de l’équipe prenait sur le terrain et se renforçait en troisième mi-temps ».
Quarante ans après, le ciment a tendance à se fissurer à force d’excès. Comme si, en passant pros, avec les enjeux qui vont avec, les joueurs avaient transformé les après-matches en sas de décompression incontrôlables.
« Relâcher la pression après le combat ne doit pas forcément se faire à travers l’alcool, la drogue ou toutes les conneries qui ont pu être faites ou dites », souligne l’ancien international Eric Champ. Il ne va cependant pas jusqu’à remettre en cause ces grands moments de partage et de convivialité qui :
« Sont l’essence du rugby. On interdit déjà beaucoup de choses dans notre société. Pour des joueurs pros qui vivent presque 24h/24 entre eux, il faut qu’elles restent festives pour intégrer les familles, les amis, les supporteurs, etc. On doit plutôt se poser des questions ; pourquoi en est-on arrivé là ? Il faut chercher les causes.»
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« Lorsque la boisson anisée d’antan est remplacée par la cocaïne, on passe du festif à la dépendance »
Comme Serge Milhas (voir l’entretien ci-contre), le Toulonnais se tourne vers la formation, là où tout se joue et où, malheureusement, se prennent aussi les mauvaises habitudes.
« Ouvrons un peu le cerveau des joueurs, relance Champ, arrêtons de ne voir que l’aspect compétition et résultat qui a pris le dessus avec le professionnalisme, revenons au plus jeune âge, avec les éducateurs et les entraîneurs, à des discours qui favorisent les échanges et le respect. »
Du Top 14 au niveau amateurs, l’introspection s’impose pour en finir avec cette culture de l’alcool qui s’immisce bien trop tôt dans les bus des équipes de jeunes pour dériver vers la consommation de stupéfiants et les violences physiques et sexuelles.
« L’alcool a toujours fait partie de ce rituel car il permet aux plus timides de s’exprimer presque autant que les extravertis, souligne Christian Ramos, psychologue spécialisé en préparation mentale qui a notamment fait partie du staff du XV de France lors de la Coupe du Monde 2015.
« Sur le fond, ces moments de convivialité doivent perdurer mais, sur la forme, ils sont en train de dénaturer la fonction psychologique de la 3ème mi-temps. Lorsque la boisson anisée d’antan est aujourd’hui remplacée par la cocaïne, on passe du festif à la dépendance. »
« Le problème est double. Il donne au sportif le sentiment d’être invincible, la sensation que rien ne lui résiste ce qui le pousse aux excès dans toutes sortes de défis. Et il présente des propriétés stimulantes qui offrent un avantage certain dans la pratique sportive. »
Entre soirées arrosées salutaires qui permettent de ressouder un groupe et dérapages incontrôlés qui se transforment en faits divers, l’équilibre repose sur un changement radical de paradigme.
Au rugby, les valeurs ne suffisent plus
« Les pros doivent continuer à partager des moments conviviaux, termine Christian Ramos, mais sous d’autres formes car les soirées nocturnes alcoolisées et plus ne sont pas compatibles avec les exigences physiques et mentales du sport professionnel. »
« L’utilisation des substances festives qui aux yeux des sportifs ne nuisent plus à la performance mais l’augmente devient le réel danger pour l’athlète mais surtout pour l’homme. Elles sont facteurs de risques psychiatriques (symptômes psychotiques), neurologiques (AVC…), somatiques (infections, hémorragies) et de surdoses mortelles. »
Au LOU, le président Roubert a intégré des primes d’éthique à la rémunération de ses joueurs. Déjà d’actualité dans le quotidien de la plupart des footeux, l’existence de ces clauses témoignent pour le moment que le rugby s’est trop longtemps réfugié derrière ses valeurs, oubliant qu’elles n’étaient pas toujours un remède contre l’intolérance, le sexisme et la violence. Mendoza n’aura été que la goutte qui fait déborder un vase déjà bien rempli par d’autres avant Jegou, Auradou ou Jaminet.