Après avoir représenté la France au dernier Mondial, Mathieu Raynal fait le point sur l’évolution de l’arbitrage avec quelques pistes à explorer. Entretien pour Rugby magazine et Le Quotidien Du Sport.
Quel bilan faites-vous de cette année 2023 au niveau de l’arbitrage avec notamment le Mondial en France ?
C’est une année riche en émotions et chargée en compétitions. Il y a toujours les compétitions majeures comme le Six Nations ou le Four Nations, en plus de cela, il y a eu la Coupe du monde, en France, c’était donc une année riche, fatigante mentalement et physiquement, mais intéressante à vivre. C’est une belle expérience. Les saisons pour les arbitres ne s’arrêtent jamais.
Tu finis la Coupe du monde, tu reprends le Top 14 puis la Coupe d’Europe. Tu enchaînes Top 14 puis la Coupe d’Europe jusqu’aux 6 Nations. Je finis le 6 Nations, c’est de nouveau la Coupe d’Europe, puis les phases finales du championnat. L’été, il y a les tournées, s’en suit le Four Nations. C’est usant. En plus, quand on rajoute une compétition majeure comme la Coupe du monde.
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« L’aspect mental, on n’en parle peu »
Pensez-vous que l’on minimise l’impact psychologique au niveau de l’enchaînement des matches pour un arbitre ?
C’est un aspect sur lequel on devra se pencher dans les années à venir. C’est une partie importante de la performance. Elle est négligée à l’heure actuelle. On parle beaucoup du physique et du travail physique pour être prêt et encaissé la succession des matches de très haut niveau. L’aspect mental, on n’en parle peu.
On se soucie peu de comment vont les hommes à un moment donné, quand ils vivent des périodes compliquées, qu’ils sont très exposés dans les médias, très critiqués. Comment on les traverse ? Comment on enchaîne les matches ? On ne pense pas à cet aspect. C’est essentiel pour la performance que l’on revienne dessus et que les arbitres puissent en bénéficier.
Avez-vous vous été surpris de la proportion que ça prenait notamment avec les critiques lors de la Coupe du monde et le respect se perd-il dans le rugby au niveau de l’arbitrage ?
Je n’ai pas été surpris. Je connais la société dans laquelle je vis. Tout le monde est un peu fautif. Nous, les arbitres, les premiers. Dans les institutions et particulièrement dans l’arbitrage, on vit un peu trop en vase clôt.
On n’explique pas assez aux gens les procédures, les manières dont on travaille, les relations que l’on noue avec les dirigeants, les entraîneurs et les joueurs. Tout cela, on ne l’explique pas assez. La presse, quant à elle, joue à un jeu qui est dangereux.
Le jeu de pompier pyromane qui ne creuse pas trop. Ils essaient de mettre des titres accrocheurs pour faire des articles un peu vides qui vont faire beaucoup de bruit, mais ils ne vont pas forcément au fond des choses, ils n’essaient pas d’avoir un rôle pédagogique et d’expliquer, de proposer un contre-poids.
Il y a aussi les réseaux sociaux qui sont une caisse de résonnance importante où l’on donne la parole à des gens qui n’ont aucune compétence. La puissance du nombre faisant le reste dans la diffusion des polémiques. Tout le monde est un peu responsable de la situation actuelle. Tout le monde doit faire un peu plus et un peu mieux.
« La presse joue à un jeu dangereux… »
Pensez-vous que l’on peut avoir une prise de conscience pour empêcher de continuer dans cette spirale négative ?
J’espère. Je vais essayer de jouer le rôle qui est le mien, de continuer d’expliquer, d’être le plus pédagogique possible, essayer de pousser les institutions à plus communiquer, à mieux communiquer. Mais je ne peux pas parler au nom de la presse, des journalistes, des milliers de gens sur les réseaux sociaux qui, parfois, dépassent les limites de l’acceptable. Je vais juste essayer de faire un peu mieux de mon côté. J’ai toujours espoir que l’on puisse aller vers le mieux.
La passion est-elle toujours présente pour aller sur les terrains arbitrer ?
J’aime profondément mon métier. Je n’ai jamais l’impression de travailler, je suis très heureux de le faire au quotidien. Je suis un passionné. La passion est intacte. Sinon j’aurais déjà arrêté.
Même s’il faut avoir le cuir dur en ce moment pour être arbitre…
Quand je vois qu’il y a des mecs qui critiquent Antoine Dupont, je me dis que personne ne peut être épargné. Le système est comme cela.
Investir dans les infrastructures de l’arbitrage, la mission de la FFR
Quelles sont les solutions pour permettre de régler ces problèmes ?
Elles sont multiples. De notre côté, on doit professionnaliser nos structures et mieux valoriser les filières d’arbitrage. Mieux communiquer et être plus attractif en matière d’image et de représentation. On ne peut pas s’affranchir du monde dans lequel on vit et de ses codes de communication. De votre côté, vous devez réfléchir à l’impact que vous avez sur les jeunes et sur notre sport.
Quand il se passe ce qui s’est passé à la Coupe du monde, vous vaccinez des générations de gamins contre l’arbitrage. Quel gamin, aujourd’hui, a la volonté d’arbitrer quand il voit ce qu’il a vu pendant la compétition.
On peut faire tout le travail que l’on veut pour intéresser les gamins à l’arbitrage, je peux leur expliquer mon boulot, qui est extraordinaire, et le plaisir que j’ai pris à arbitrer à toutes les étapes de ma carrière, y compris et surtout en fédérale.
Ce n’est pas parce que j’arbitre au haut niveau maintenant que je le dis. Je le dis parce que je sais qu’en voyant les tempêtes médiatiques qu’il peut y avoir autour de l’arbitrage, nos efforts pour intéresser un jeune arbitre ne feront jamais le poids. Tout le monde doit prendre conscience que c’est un travail compliqué et collectif. On doit changer le prisme sous lequel on voit l’arbitrage.
Par exemple, je viens de lire un article sur la réussite de Camille Lopez au pied en ce début de saison. Il est à 21/22, ce qui fait 95% de réussite. On disait, fort justement, que c’était extraordinaire. Si Camille était un arbitre, personne ne parlerait de ses 21 coups de pied réussis, mais uniquement du seul coup de pied qu’il a manqué. C’est ça la grande différence.
Oui un arbitre commet des erreurs, mais les meilleurs ont plus de 90% ou 95% de bonnes décisions. Le jour où l’on considèrera l’arbitre comme un buteur, et qu’on traitera sa performance dans son ensemble on aura alors un regard juste. On valorisera le rôle de l’arbitre et les gamins seront potentiellement intéressés. Tout le monde fera alors un peu plus pour le bien de notre sport.