Si le club varois a dominé la scène européenne entre 2013 et 2015, il flirte aujourd’hui dangereusement avec la zone de relégation. De quoi interroger les anciens toulonnais. Le RC Toulon est-il en danger ?
Eric Champ (champion en 1987 et 1992 avec le RCT) témoignait peu de temps après l’arrivée de Franck Azéma au club fin octobre déjà de sa vive inquiétude :
« A Toulon, il n’y a pas qu’un souci de manager. Cela touche aussi les joueurs. Je ne crois pas aux grandes équipes sans grands joueurs. A l’instant T, le collectif nous prouve que Toulon n’est pas une grande équipe. On déplore un problème de talents.
Je me questionne surtout sur les joueurs qui composent l’équipe. C’est à eux de prouver. La focalisation que tous doivent avoir est de se maintenir. Le championnat est très dur. Il y a eu de grosses erreurs de faites en termes de recrutement.
On a trop laissé partir de joueurs. Pendant des années, on a eu une équipe qui pouvait battre les meilleures. Si elle avait été une équipe nationale, elle aurait pu être championne du monde !
On est bien loin de ce potentiel aujourd’hui. J’avais également pointé du doigt à l’époque une certaine exagération du recrutement visant des joueurs dits non-sélectionnables. Mais actuellement je ne vois pas beaucoup de joueurs de Toulon non plus.
Une équipe de Toulon qui appartient au Passé ?
La problématique est vraiment là et dépasse bien le cadre du manager ». Pour Aubin Hueber (champion en 1992 avec Toulon), les heures de gloire toulonnaises appartiennent bien au passé :
« Ce qu’on a vécu relevait de l’exceptionnel. Avec des joueurs exceptionnels. On avait une dream team. Mais on ne peut pas comparer. L’optique du président Bernard Lemaître était de partir sur de la formation.
Mais c’est compliqué. Cela ne se concrétise pas en un jour ni en un an. Il existe toutefois des paradoxes curieux, surtout quand on voit partir nos jeunes alors qu’on prône la formation…
Après, on ne peut pas aligner 15 jeunes âgés de 18 à 23 ans pour jouer en Top 14. Ce serait se faire Hara-kiri. Il faut entourer ces jeunes avec d’autres joueurs compétents et de qualité. On a sans doute sous-estimé ou sur-estimé les jeunes à ce moment-là.
C’est tout un travail de pertinence de club à mener. Je vois le RCT finir à la 10ème, 11ème place, mais il n’y a plus de marge d’erreur à domicile ».
« A Toulon, on n’a pas la réputation d’êTre patient, mais il va falloir l’être »
Les départs la saison prochaine de Louis Carbonel (à Montpellier) et Eben Etzebeth (aux Sharks) ont fait grand bruit sur la Rade. Ils ont même provoqué l’ire d’une certaine frange populaire :
« Pour Louis, c’est particulier, explique Hueber. Il y a dû avoir un désaccord avec le président. Louis n’a pas apprécié qu’il lève le Bouclier contre Collazo. Il a été le porteparole de pas mal de joueurs. Mais lui en a payé les frais. Pour Etzebeth, c’est encore différent.
C’est un choix plus personnel que de demander à partir. Il a davantage envie de se rapprocher de son pays et d’une de ses provinces (Sharks, Ndlr) pour être efficace pour la Coupe du monde ».
Un club en pleine reconstruction
Sébastien Tillous-Borde, l’ancien demi de mêlée et entraîneur des lignes arrières du RCT, concède : « Pour l’instant, ce groupe a du mal à retrouver de la confiance et des résultats. Ils ont connu une période difficile avec la Covid, des matches en retard…
A eux maintenant de briser la spirale négative. Ils ont récemment changé d’entraîneur avec Franck Azéma. Pierre Mignoni va le rejoindre l’an prochain. Ils sont en train de reconstruire. Les Toulonnais viennent de gagner avec le bonus à Biarritz (45-17, Ndlr).
Ils n’iront pas en Pro D2 s’ils jouent à leur niveau. D’après mes échos, cela bosse bien. Ils se remettent la tête à l’endroit. Ils ont surtout besoin de résultats. Pierre et Franck vont avoir un gros travail de fond à mener qui démarre de l’école de rugby jusqu’aux professionnels. Cela prend du temps. Il y a une restructuration à mener ».
Le RC Toulon a vécu dans le brouillard
Yann Delaigue (champion en 1992 avec Toulon) enchaîne : « Le dernier match tend à nous rassurer, mais la situation est assez inquiétante. Le club avait l’habitude de jouer les premiers rôles. Depuis quelques années, c’est plus compliqué. Celle en cours en particulier.
Il y a plusieurs raisons. De la malchance sur des blessures de joueurs cadres à des moments-clés : Etzebeth, Kolbe, Ollivon, Serin, et bien d’autres pas aptes à jouer pendant un certain temps. Cela fait forcément partir tout le monde d’un mauvais pied.
Il y a eu aussi des tensions entre Collazo et son effectif. Cela n’a pas assoupli la situation. En état de crise, Patrice est parti. Il y a eu une grosse période d’instabilité autour de ce club sanguin. Beaucoup de supporteurs sont également très critiques envers le club.
Ils attendent beaucoup. Ils restent encore dans cette espérance de la gloire européenne. Mais les critiques acerbes et répétées fragilisent la confiance du club, du staff, des joueurs. Les vrais supporteurs, eux, soutiennent. Ce contexte n’aide pas pour prendre confiance.
Certes, on prône la formation. Monsieur Lemaître donne des moyens incroyables. Pour une fois, on a un président qui voit sur du long terme. Mais les fruits n’arrivent pas de suite. Le projet de Lemaître est très identitaire. Il n’empêche, peu de jeunes sortent vraiment et le centre de formation n’est pas bien classé. Les équipes de jeunes ne gagnent pas beaucoup.
Il y a donc une remise en question sportive à opérer auprès du projet des jeunes du RCT. Avec le vivier colossal existant dans cette région, il n’est pas normal de ne pas faire émerger plus de talents. Comme ce fut le cas il y a quelques années avec la génération Carbonel … A Toulon, on n’a pas la réputation d’être patient, mais il va falloir l’être ».
Des facteurs extérieurs défavorables à la saison toulonnaise
Et Jérôme Gallion (champion en 1987 avec Toulon) de conclure :
« La saison s’est mal engagée. Il y a eu une addition de facteurs défavorables, comme des blessures longues de joueurs cadres comme celle d’Ollivon. Ajouté à cela des sélections de joueurs étrangers qui ont relativement peu joué avec Toulon. Cela a conduit à une équipe en souffrance.
Un entraîneur a perdu de l’ascendant sur son groupe pour être débarqué. Le nouvel entraîneur a dû imposer d’autres critères de jeu que les joueurs ont dû assimiler vite.
Tous ces éléments ajoutés bout à bout ont mis l’équipe en difficulté. Les joueurs ont pris conscience du danger. Le match à Biarritz est encourageant. La fin de parcours va être compliquée avec des confrontations contre des gros comme Toulouse, Clermont, le Racing…
J’ai confiance. On a deux matches de retard à jouer contre le MHR et La Rochelle. Il faudrait en gagner un sur deux pour vraiment s’éloigner de cette place d’avant-dernier. On peut recoller au milieu de classement avec une équipe complète. Elle a parfois montré qu’elle était capable de proposer un jeu cohérent ». Le RCT va devoir serrer les dents jusqu’au bout.
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