Le 27 janvier 2021, pour son premier Vendée Globe, Charlie Dalin avait franchi la ligne d’arrivée en tête, avant d’être finalement classé 2ème, Yannick Bestaven ayant bénéficié d’une compensation de temps après sa participation au sauvetage de Kevin Escoffier. Cette fois, le skipper de Macif Santé Prévoyance entend bien gagner !
On imagine que vous repartez sur le Vendée Globe pour le gagner !
C’est l’objectif même si je ne pense pas du tout à la fin. Il y a plein d’étapes à faire avant, à passer, des choix stratégiques à effectuer en course. Je suis vraiment concentré là-dessus. Depuis le 28 janvier 2021 au matin, je sais que j’ai envie de refaire le Vendée Globe. Je suis heureux qu’on y soit enfin. Ce sont un peu nos JO à nous. Le Vendée Globe, c’est tous les quatre ans, c’est rare.
Il n’y a pas mieux quand on est marin ?
Ce que je préfère dans la voile, c’est la course au large, et la course au large en solitaire. Avec le Vendée Globe, je suis servi ! Il n’y a pas mieux. Avec toute l’équipe, on travaille dur depuis presque quatre ans maintenant. On a fait un nouveau bateau avec Macif qu’on a mis à l’eau l’année dernière. On essaie de ne rien laisser au hasard. Il faut quand même embarquer la réussite à bord et ça, tant qu’on n’est pas arrivé, on ne sait pas si elle est avec vous. Il y a tellement de choses qui peuvent arriver, qui sont hors de notre maîtrise, hors de notre contrôle, des aléas peuvent survenir. Il faut rester humble devant l’épreuve même si on a gagné la New York-Les Sables ou le Défi Azimut de 48 heures. Le Vendée Globe est une course complètement à part, qui est extrêmement longue par rapport à tout ce qu’on fait d’habitude.
Ce départ à 40 bateaux, ce qui est un record, est-ce un danger supplémentaire ?
Le jour du départ, on a clairement tous plus à perdre qu’à gagner. Il y a une grosse densité de bateaux sur l’eau. Il y aura plein de spectateurs, ce ne sera pas un départ à huis clos comme la dernière fois en raison du confinement. Du coup, il y a ce risque d’accrochage qu’il faut réussir à éviter. Après, si on mord le départ, on peut prendre 5 heures de pénalité ce qui peut être rédhibitoire pour la victoire. Si on me téléportait au milieu du Golfe de Gascogne, je serais beaucoup moins tendu la veille du départ. Il y a ce soulagement une fois que vous êtes au large, que les bateaux commencent à s’écarter un peu.
Vous êtes-vous préparé différemment pour cette édition ?
Forcément, parce que lors de mon premier Vendée Globe, je me suis préparé pour quelque chose que je ne connaissais pas. C’est comme si vous faisiez de la course à pied et que vous ne courriez que des 10 km et que vous passiez au marathon. Le premier marathon, on apprend plein de choses. Avant le Vendée Globe, je n’avais jamais passé plus de 20 jours en mer en solitaire. J’ai multiplié ça par quatre puisque j’ai mis 80 jours. Même si c’était mon premier Vendée, j’ai quand même essayé de construire une expérience un peu par procuration. J’avais appelé Armel Le Cléac’h, François Gabart, Michel Desjoyeaux qui m’a donné plein de petits conseils. Cette année, c’est différent, j’ai construit ma propre expérience. Je sais quels sont les points de difficulté, quel rythme il faut adopter pour tenir la longueur. On a aussi beaucoup amélioré la partie ergonomie. Je ne pensais pas que l’ergonomie était un point si crucial pendant le premier Vendée. A la table à cartes, je travaillais sur un pouf ! Je me suis rendu compte que je passais entre 5 et 7 heures par jour à bosser à l’ordi, à travailler les trajectoires et donc en position semi-assis, semi allongé sur un pouf. Ce n’est pas super. Maintenant, on a une super zone de vie ultra optimisée avec un siège qui est à ma morphologie. On m’a scanné pour qu’il soit vraiment parfaitement adapté à moi. J’ai l’ordi qui est devant moi, j’ai ma cuisine qui est juste à portée. Un peu à l’image d’un cockpit d’avion, j’ai juste à tendre le bras pour atteindre tous les éléments dont je peux avoir besoin et, quand je suis fatigué, quand c’est le moment de faire une sieste, j’ai juste à faire un pas sur le côté de 60 cm et je peux m’allonger dans ma bannette. On a même rajouté une souris d’ordi au-dessus de la bannette, donc je peux même contrôler l’ordi de la position allongée. Le matelas, on l’a fait avec le bureau recherche et développement de Bultex. On en est à la 3ème version depuis la mise à l’eau. On a vraiment fait un gros job sur la partie ergonomie. Le cockpit et la zone de vie sont volontairement très petits pour limiter au maximum les déplacements, donc les risques de chutes.
« Quand je me réveillais la nuit, je refaisais le Vendée Globe, je refaisais tout mon parcours pour essayer de retrouver où j’avais perdu ces 2h30 »
En 2021, vous aviez franchi la ligne en premier avant d’être finalement classé 2ème. Est-ce que ça a été dur à digérer ?
Pas sur le moment parce que sur le moment c’est quand même génial, c’est l’euphorie de l’arrivée, de retrouver mon petit garçon qui avait 2 ans et demi à l’époque, ma femme, l’équipe, mon sponsor, de revenir aux Sables- d’Olonne 80 jours après. C’était assez dingue, mais c’est quelques jours après, quand tout est retombé, là, j’ai commencé à me dire : “Merde, 2h30 sur 80 jours, ce n’est pas beaucoup. Qu’est-ce que tu as raté ?” Qu’est-ce qui s’est passé ? Quand je me réveillais la nuit, je refaisais le Vendée Globe, je refaisais tout mon parcours. Je refaisais mes manœuvres, j’essayais de chercher les minutes à droite, à gauche, de récupérer des minutes pour essayer de retrouver où j’avais perdu ces 2h30. Mon histoire avec le Vendée Globe n’est pas terminée et c’est pour ça que je suis heureux de de le refaire.
Qu’est-ce qui vous avait manqué ?
J’ai eu un problème de foils dans l’Océan Indien. Ça m’a pas mal handicapé. Je perds une cale de foil. Le foil est tenu en deux points. La cale qui tient le bateau à l’endroit où le foil sort de la coque, je le perds. Forcément, on ne prévoit pas du tout ce genre d’avarie. Grosse déception parce que je pensais qu’on allait abandonner. Mais voilà, l’équipe se mobilise à terre. On fait un Apollo 13 des mers ! (sic) Ils ont la liste de tout ce qui est abord. On a ça, ça, ça. Tu vas chercher la plaque de carbone qui est à cet endroit-là. Tu vas chercher tel type de colle. Il m’envoie des plans. Je bosse du lever au coucher du soleil. J’arrive à repartir. Même si je repars, il faut quand même valider la réparation parce que si le foil bougeait le risque était qu’il transperce et qu’il fasse une voie d’eau. On se demande alors si c’est raisonnable, est-ce que ça le fait de continuer. Au moment où je passe la Nouvelle-Zélande, on valide et on continue. Contre toute attente, on arrive quand même à franchir la ligne d’arrivée en premier aux Sables. Mais c’est une avarie qu’il a fallu cajoler (sic). Ça m’a beaucoup ralenti, mais il n’y a pas que ça.
Il y a aussi des changements de voiles que je n’aurais peut-être pas dû faire, des virements un peu tardifs, des choix météo que j’aurais pu mieux mieux faire aussi… Le Vendée Globe, c’était seulement ma 2ème course en solitaire en circuit Imoca. On devait faire deux transats entre la France et les Etats-Unis qu’on n’a pas pu faire à cause du Covid. Je suis arrivé sur le Vendée avec pas tant d’expérience que ça en solitaire sur ce type de bateau. Depuis, j’ai quand même fait plein de courses et progressé. Je me sens beaucoup plus prêt que la dernière fois. Le problème, c’est que je ne suis pas le seul dans ce cas-là et que tout le monde a progressé et qu’il y a plus de concurrents qui jouent la victoire.
« Le Vendée Globe, c’est d’abord une course, ce n’est pas un record, ce qui compte, c’est de battre les petits copains et d’arriver avant »
Vous pensez qu’on peut abaisser le record à combien de jours ?
C’est d’abord lié à la météo. Si les conditions sont bonnes, je pense que ce sont des bateaux qui sont capables d’accrocher un tour du monde dans les 70 jours, peut-être même un peu moins. Mais le Vendée Globe, c’est d’abord une course, ce n’est pas un record, ce qui compte, c’est de battre les petits copains et d’arriver avant. Même si ça doit durer 80 ou 85 jours, moi je m’en fiche, ce que j’ai envie, c’est d’arriver avant les autres ! (rires)
Comment gérez-vous votre solitude et l’éloignement familial ?
On communique avec ma femme et mon fils. Ça a pas mal changé parce qu’il avait 2 ans et demi lors du premier Vendée, là il a 6 ans et demi. A l’époque, il était encore chez la nounou. Là, il est au CP. J’avais fait un truc sympa la dernière fois, j’avais pris en photo avec mon téléphone des pages d’un de ses livres d’histoire du sport. Un soir pour eux, j’étais au milieu du Pacifique, ma femme a posé le téléphone en haut-parleur à côté de lui et c’est moi qui lui ai lu l’histoire, elle tournait les pages et c’était un moment sympa. Ce qui est sûr, c’est que la séparation va être plus difficile parce qu’il se rend plus compte des choses. Ce qui est bien, c’est qu’on ait quand même des connexions satellites à bord qui nous permettent de faire de la phonie et d’envoyer et de recevoir des photos. Après, le facetime, la visio, ça ne marche pas super. Le problème, c’est que les livres qu’on lui lit sont plus gros donc l’histoire du soir risque d’être un peu longue (sourire). En tout cas, ce que j’ai envie, c’est de le rendre fier. C’est ce que je lui dis quand je pars : « Papa part faire ce qu’il adore faire ! ».
Suit-il la course ?
Il regarde un peu la carto. Il a compris mon métier. Il appréhende un peu. De temps en temps, il me dit : “Papa, quand je serai grand, j’ai envie de faire comme toi !” Il me dit ça pour me faire plaisir. Je ne suis pas trop sûr qu’il le pense totalement, mais c’est mignon.
« Je porte souvent un casque dès que le bateau commence à atteindre une certaine vitesse »
Vous êtes-vous fixé des limites pour que la vie familiale ne soit pas trop intrusive dans la gestion de la course ?
Ce qui est sûr, c’est que c’est toujours le bateau qui appelle la terre, c’est une règle universelle au niveau famille, au niveau équipe technique.
C’est quand moi j’ai le temps que je contacte la terre, que j’appelle ma femme pour échanger, pour avoir des nouvelles. Le moment le plus difficile, forcément, c’est le Noël parce que c’est la fête de famille par excellence de l’année. Même si les bateaux vont de plus en vite, on sera encore en mer pour Noël…
Combien de fois appelle-t-on sa famille en 80 jours ?
C’est au moins tous les deux jours. C’est assez régulier.
Quels adversaires craignez-vous le plus pour la victoire ?
Il y en a beaucoup cette année. Yoann Richomme, Thomas Ruyant. Jérémie Beyou, Sam Goodchild, Sam Davis, Boris Herrmann, Nicolas Lunven…, – il y en a une belle palanquée qui sont capables de faire des choses. Ça va être clairement disputé cette année.
Peut-on encore faire plus serré que la dernière fois : 8 concurrents en 24 heures ?
Ça dépendra vraiment de la physionomie de la course. La dernière fois, ce qui était frustrant, c’est que ça revenait toujours par derrière. Il fallait à chaque fois essayer de reconstruire une avance. Moi j’étais souvent devant, je me faisais souvent ramené par derrière. J’espère que cette fois un petit groupe va s’échapper et que je serai dedans. Mais la dernière fois, c’est quand même assez exceptionnel de retrouver autant de bateaux en si peu de temps. C’est vraiment la météo qui a fait que c’est arrivé grouper.
Les foils rajoutent-ils un danger supplémentaire dans les mers que vous allez affronter ?
La vitesse, forcément, c’est toujours plus dangereux. C’est pour ça que moi je porte souvent un casque dès que le bateau commence à atteindre une certaine vitesse. On a même installé une ceinture de sécurité sur le siège de table à cartes. J’en ai même une dans ma bannette. Quand ça bouge beaucoup, je peux m’accrocher pour ne pas me faire éjecter. On a fait en sorte qu’il n’y ait pas d’arêtes vives dans ces zones-là.
La sécurité a-t-elle beaucoup évolué ces dernières années ?
Il y a encore quelque temps, on ne voyait jamais de casque sur les bateaux. Maintenant, ça se généralise de plus en plus. Moi j’ai fait une commotion cérébrale sur une grosse décélération l’année dernière. C’était chaud. Heureusement, j’étais en équipage. C’était une course entre Newport aux Etats-Unis et le Danemark. Ils ont dû s’occuper de moi. C’était un peu tendu.