Double médaillé olympique en 1996 et 2000, David Douillet a écrit l’histoire du judo français dans la catégorie des lourds avant Teddy Riner.
Qu’est-ce qui vous vient à l’esprit quand vous repensez à votre titre olympique de 1996 à Atlanta ?
C’est à l’époque le seul titre qui me manque. Auparavant, Thierry Rey avait réalisé cette espèce de Grand Chelem : France, Europe, Monde, Jeux… On se met toujours des petits défis en tête pour renouveler la motivation et l’investissement. Les préparations sont tellement difficiles, dures. On a vraiment besoin de ce genre de choses.
C’était aussi une forme d’accomplissement cet or olympique en 1996, par rapport aux Jeux de 1992 à Barcelone (3ème) ?
En 1992, c’est ma première médaille mondiale. Je prends conscience que j’ai le droit de gagner. Je me dis que l’écart avec mes adversaires n’est pas si grand. Il faut que j’aille chercher la 1ère place. C’est ce que je fais en 1993 au Canada à Hamilton lors d’un Championnat du monde. Je bats en finale le champion olympique (David Khakhaleishvili, Ndlr).
Peut-on dire que cette médaille d’or olympique en 2000 est encore plus chère dans votre coeur de par les circonstances ?
C’est un peu la résurrection du Phénix. Juste après Atlanta, j’ai un accident de moto qui me flingue. Je passe d’un état d’athlète de haut niveau à bien plus bas. Mais je remonte la pente en repartant non pas de zéro, mais de moins 100 ! Il faut alors que je revienne à zéro pour ensuite redevenir un athlète de haut niveau, et un an plus tard pour défendre en 1997 (à Paris, Ndlr) mon titre mondial que j’avais décroché au Japon (en 1995, Ndlr). Après toutes ces étapes, il a fallu que je ménage ce corps abîmé. Cela a été une grosse galère.
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« En 2000, c’est un peu la résurrection du Phénix »
Avez-vous douté ?
Le doute est permanent. Le doute est le fondement du haut niveau sinon on ne gagne plus. Il faut tout le temps se remettre en question. Si vous ne doutez plus, vous n’avancez plus. Le haut niveau vous oblige à vous renouveler sans cesse, à continuer à progresser. Sinon les autres vous rattrapent et vous dépassent. Le haut niveau, c’est du doute.
Vous écrivez votre légende dans cette finale d’anthologie France/Japon en 2000. Tous les ingrédients y sont…
Si j’avais voulu écrire un scénario de film… j’ai eu tous les ingrédients. Déjà de participer à ces Jeux, c’est une première chose. Ensuite, de passer chaque tour est important. Puis il y a cette finale contre un Japonais (Shinohara, Ndlr). Il était le meilleur du moment. C’est l’apothéose. Je sais que c’est ma dernière compétition. J’y ai déjà réfléchi. Je suis conscient que je ne vais pas m’engager pour une autre Olympiade.
C’est quatre ans de plus et quand je vois déjà ce que j’ai dû faire pour revenir au plus haut niveau à Sydney… je ne me vois pas redémarrer une autre Olympiade avec ce physique-là, vieux, endommagé, usé. Les séquelles liées à l’accident de moto ont été dures à gérer à l’entraînement. J’ai décidé avant les Jeux de 2000 que ce serait ma dernière compétition. J’adore la compétition. Je vais arrêter ce que j’aime le plus au monde. Lors de cette compétition, je veux déguster chaque seconde, chaque minute, chaque combat.
C’est comme si j’étais condamné à mort et qu’on m’apporte mon dernier repas. Je vais en tirer les sucs les plus succulents sur chaque action, chaque mouvement. Sans savoir que je vais gagner. Je me suis dégagé de la pression du résultat en me disant il faut que je fasse un maximum de combats car ensuite je vais arrêter ; Je vais aller au bout du bout que je peux faire et on verra ce que cela donne. Je suis dans cette psychologie. C’est finalement la meilleure pour réussir (sourire).
David Douillet y croit pour Riner
Combien espérez-vous de médailles pour la France à Paris ?
Il y a une médaille quasi acquise sur le podium avec cette nouvelle compétition du championnat par équipes mixte. La France a gagné à Tokyo. Ensuite, je considère que dans l’équipe féminine, les filles aujourd’hui sont tellement fortes que chacune peut potentiellement espérer ramener une médaille. Et peut-être deux ou trois en or. En général, quand on est en France devant son public, on est encore plus stimulé.
Il y a une dimension supplémentaire. On pourrait déjà avoir huit médailles. J’ajoute les garçons avec Teddy (Riner, Ndlr). Il va vouloir aller chercher l’or. Pour Mkheidze, notre moins de 60 kg, j’espère qu’il confirmera son podium (3ème) de Tokyo. Lui-aussi a le potentiel pour aller chercher l’or. Voire aussi une autre belle surprise. Donc deux à trois médailles peuvent être attendues chez les garçons. Le judo français est en capacité de ramener peut-être une bonne dizaine de médailles. Ce serait super !
N’y a-t-il pas ce risque pour Riner de faire le combat de trop ?
Avec le palmarès qui est le sien, je ne parlerai pas du combat de trop. Il va aller au bout du bout de son histoire. J’aurais été tellement déçu de ne pas le voir s’aligner à Paris. Il a encore des ressources pour gagner malgré le temps qui passe. Il a la chance d’aller au bout de son histoire. Et peu importe la couleur de la médaille. Je souhaite que ce soit l’or évidemment, mais le courage qu’il faut pour aller au bout du bout, c’est déjà en soi une médaille.
Le saviez-vous ?
En devenant champion olympique à Atlanta en 1996, David Douillet devient le deuxième champion olympique français des poids lourds après Angelo Parisi aux Jeux de Moscou en 1980.
L’œil de Frédéric Lecanu
« En 1996, j’ai des souvenirs de son titre olympique surtout comme spectateur. Mais je le connais. On est Normands tous les deux. Je l’ai croisé sur des stages. En 2000, je suis celui qui a passé le plus de temps avec lui comme partenaire au cours de ces quatre années. A Sydney, j’ai vécu cela de l’intérieur jusqu’à la fin, la fin de son voyage et de sa reprise de son accident de moto.
Pour moi, il y a trois icônes du judo français chez les poids lourds : Angelo Parisi, David Douillet et Teddy Riner. David Douillet ce qu’il réussit à faire à Sydney c’est la dimension mentale qui est incroyable. Il a toujours été éminemment tactique.
Il a dû battre des judokas qui avaient les mêmes proportions d’opposition que lui. Mais la tactique qu’il avait et l’engagement mis en place pour Sydney le rendent hors du commun. » *Ancien judoka, consultant télé