Champion olympique à Montréal sur 110 mètres haies en 1976, Guy Drut n’a rien oublié de l’exploit qui a changé sa vie.
Que vous reste-t-il de ce sacre olympique du 28 juillet 1976 à Montréal ?
Un excellent souvenir ! J’ai la médaille à la maison. Ce jour-là avait été très particulier. Après les demi-finales, je n’étais pas au mieux de ma forme. Je ne pensais pas pouvoir gagner. Finalement, quelques heures plus tard, tout s’est remis dans l’ordre. J’ai fait la course qu’il fallait et c’était lors de la finale olympique !
Vous avez raconté que, dans la chambre d’appel, vous sentiez chez vos adversaires que vous étiez l’homme à battre.
Il y a des sentiments qui ne s’expliquent pas. Je lisais dans leurs yeux de la crainte.
Comment aviez-vous géré émotionnellement ces minutes avant d’entrer en
piste ?
J’avais réussi à relativiser l’importance de l’événement. J’avais gardé à l’esprit ce qu’un jour Jean-Claude Killy m’avait dit : « Cela n’empêchera pas le lendemain le facteur de distribuer ses lettres ! » En d’autres termes, cela signifiait que ce qui allait se passer n’allait pas changer le monde pour autant.
Qu’est-ce qui a fait que vous avez été prêt le jour J à l’instant T ?
C’est certainement dû à tout le travail que j’avais accompli. J’ai disputé ce jour-là LA prestation qui m’a permis de gagner. J’ai pu être prêt à l’heure H et à la seconde S. Car cela dure 13 secondes et des poussières (13s30, Ndlr).
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« Cette année, un Français voire deux peuvent monter sur le podium »
Une fois la ligne d’arrivée franchie une certaine incrédulité se lisait sur votre visage. Cela traduisait quoi concrètement ?
C’était à la fois une réaction de satisfaction et de tranquillisation. Je me disais : « Ouf, c’est moi, j’ai quand même gagné ! » Les quelques dixièmes de seconde qui ont suivi, il y a eu ma photo qui est apparue sur le panneau d’affichage. J’ai tout de suite vu que j’étais vainqueur. Et en me tournant, je me suis vraiment dit : « Oui, c’est vraiment moi » ! Il était également surprenant qu’un Européen Français puisse s’imposer dans le 110 mètres haies face au monde entier et aux Américains en particulier. Là, en l’occurrence, le danger ne venait pas que des Etats-Unis, mais bien de Cuba (avec Alejandro Casanas son dauphin en 13s33, Ndlr).
Vice-champion olympique en 1972 à Munich, champion d’Europe en 1974 à Rome, en 1976 sur ces Jeux Olympiques à Montréal en quoi étiez-vous un athlète encore différent ?
Je n’étais pas différent. J’étais plutôt dans une forme de continuité dans ma progression. En 1975, j’avais sans doute été le plus régulier et le plus fort au cours de ma saison. En 1976, je m’étais entraîné un peu différemment. Je me cherchais davantage. Mais j’ai su retrouver tout l’acquis du travail le jour J. Rien ne s’est produit par hasard.
Comme le fait que j’ai eu un cassé sur la ligne car j’avais beaucoup travaillé ce cassé toujours sur le même pied, sans oublier l’importance des haies et la relative quiétude avant le départ. C’est un ensemble de choses qui se travaillent à l’entraînement.
Ensuite, il faut parvenir à sortir tout cela au moment opportun. Sur un 100 mètres et à fortiori un 110 mètres haies, la moindre erreur peut s’avérer préjudiciable. Si vous prenez la 1ère haie, la 3ème, la 5ème… vous prenez à chaque fois des obstacles qui se présentent à vous et qu’il faut franchir. C’est la spécificité de cette discipline.
Pensez-vous avoir ouvert la voie à d’autres athlètes en battant notamment les Américains ?
Je le crois. Casanas par exemple aurait eu le même résultat. Pour lui, il était hors de question qu’il aille s’entraîner et courir aux Etats-Unis. A cette époque, c’était encore plus fermé qu’aujourd’hui. Mais Cuba disposait d’une école de sprint assez performante. Ils ont des qualités qui sont un peu identiques à celles des sprinteurs nord-américains.
Ensuite, des athlètes chinois sont apparus. Maintenant, les Américains semblent redorer leur blason. Néanmoins, il y a de la concurrence avec des Français, des Espagnols et d’autres Européens qui sont là-aussi. On a quelques Français qui ont la possibilité de briller. Je l’espère de tout cœur pour eux. A eux de prouver qu’ils peuvent le faire.
En quoi cette victoire olympique de 1976 a-t-elle changé votre vie ?
Il y a eu un avant et un après. Cela a constitué un tournant important. La tête enfle un peu et vous vous pensez tout permis. Vous entrez dans un rêve et il faut le supporter. Vous avez 25, 26 ans. C’est à un âge où vous n’avez pas encore une maturité totale. Après, le temps passe avec l’expérience.
Quelles sont nos meilleures chances de médailles en athlétisme pour les Jeux de Paris ?
Le niveau mondial est très élevé. Objectivement, il y a des disciplines où on est meilleurs que dans d’autres. Parfois on est même assez absents. C’est notamment le cas du saut en hauteur et cela m’attriste. Par contre, à la perche, il y a Thibaut Collet, le métier de Renaud Lavillenie. Il sera présent car il a très envie et il a beaucoup d’expérience. La détermination est essentielle à ce niveau. Et j’en oublie beaucoup d’autres qui risquent de briller aussi. Et comme c’est à la maison… Après, avec ce paramètre, c’est un peu tout ou rien.
Et sur 110 mètres haies ?
J’y vois trois chances de médaille. Les trois qualifiés devraient être Sasha Zhoya le plus jeune (21 ans, Ndlr) qui est une perle, Wilhem Belocian et Just Kwaou-Mathey. Il y en a un, voire deux qui peuvent monter sur le podium. Il y a beaucoup d’espoirs. Mais laissons-les tranquilles et se préparer avec leur entourage, leurs familles et leurs entraîneurs. Chez les filles, il y a de la qualité aussi.
Le saviez-vous ?
Quand il s’impose à Montréal en 1976, Guy Drut est le premier européen champion olympique de la discipline et le premier non-américain à gagner depuis 1928. Drut succède alors à Colette Besson au palmarès des champions olympiques français en athlétisme.