vendredi 26 avril 2024

Dan Martin : « Aujourd’hui, les ordinateurs sont plus forts que les cerveaux »

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Eric Mendes
Eric Mendes
Journaliste

Pour la sortie de son livre autobiographique, A la poursuite du Panda (aux éditions Hugo Sport), l’Irlandais, Dan Martin, 4ème de la Vuelta en 2020, a accepté en exclusivité de revenir sur sa carrière et d’expliquer ce lien éternel qui le lie à la France. Un entretien authentique avec un coureur, passé par Garmin, Quick Step, UAE puis Israel Start-Up Nation, vainqueur d’étapes sur les trois grands Tours, qui n’a jamais laissé indifférent à travers une riche carrière et des succès inoubliables comme le Tour de Lombardie en 2014 ou Liège-Bastogne-Liège en 2013. Entretien pour Le Quotidien Du Sport et Cyclisme magazine.

Que faites-vous depuis vous avez arrêté le vélo fin 2021 ?

J’écris des livres (rires). Plus sérieusement, je prends plaisir à découvrir les autres aspects du vélo. Le côté médiatique sur le Tour de France par exemple où je fais régulièrement des vidéos et des podcasts. J’ai trouvé une liberté de ton. J’ai aussi une entreprise, Rubix Ventures. Je fais plein de choses. Mais le livre a pris beaucoup de temps.

On a mis 9 mois pour le faire (avec Pierre Carrey, son co-auteur, Ndlr). C’était intéressant de se replonger dans mes souvenirs. Je fais aussi le travail d’ambassadeur pour certaines marques. Je teste les prototypes. Je suis rentré dans l’organisation du Tour de Grande-Bretagne. C’est intéressant de voir ces différentes expériences et notamment l’organisation complète d’une course. C’est un grand plaisir de le découvrir.

Dan Martin, un homme occupé par le cyclisme

N’est-ce pas difficile de continuer la vie sans vélo ?

C’est pour cela que j’ai arrêté. J’ai toujours pris du plaisir à faire du vélo. Je ne voulais pas continuer et éteindre cette flamme que j’avais pour ce sport. Je suis toujours actif. J’ai pris du recul troisquatre mois avant de m’y remettre. Une fois que le travail avec le livre a commencé, j’ai pu aussi découvrir d’autres activités autour de mon sport, grâce à différentes marques comme Mavic.

J’ai eu l’opportunité de découvrir le Tour de France du côté médiatique. Je n’ai pas chômé ! Je reste ouvert aux différentes propositions. J’ai changé ma vie, mais ma vie de cycliste ne me manque pas. J’en suis d’ailleurs surpris. Je m’attendais que ce soit davantage le cas, mais j’avais besoin de changer de direction.

Est-ce une chance d’avoir senti que c’était le moment de passer à autre chose ?

Peut-être, c’est parce que je faisais le vélo pour le plaisir que j’ai su m’arrêter à temps. Car j’ai connu des exemples de coureurs qui s’arrêtaient et qui ne voulaient plus entendre parler de vélo une fois à la retraite. Moi non. Il m’arrive encore de rouler au moins deux fois par semaine car j’aime cela. Mais le vélo a changé depuis deux-trois ans. C’est presque extrême. Le niveau de performance, de préparation, de précision, d’équipement, de nutrition… J’ai perdu le challenge de gérer moi-même les différents aspects de ma carrière. Maintenant, les ordinateurs sont plus forts que nos cerveaux.

Tout est calculé. Cela se voit aussi par les risques pris durant les courses. La victoire reste le plus important. Alors que, pour moi, c’était la performance le plus important, pas la finalité. La pression a augmenté aussi. Après, je voulais aussi profiter de ma famille. Avant, c’était possible de vivre une vie normale avec sa famille. Maintenant, il faut être 100% focus sur le vélo. 24h/24 et 7 jours sur 7. J’aurais pu continuer deux ou trois années de plus pour gagner d’autres petites courses, mais ce n’était pas dans mon caractère car je sais que je n’aurais pas été à 100%.

« Dans toute ma carrière, je n’ai fait qu’un stage en altitude »

Pensez-vous que les nouvelles générations se font encore plaisir ?

La différence entre cette génération et la mienne, c’est que dès le plus jeune âge, on les prépare et on les programme pour réussir. Pour eux, il est presque normal d’aller faire des stages en altitude ou de contrôler sa nourriture. Dès les juniors ou même avant, ils sont dans une nouvelle norme. Quand je suis rentré dans le vélo, c’était plus naturel. C’est grâce à Garmin que j’ai pu aussi m’y mettre. Avec le recul, on était en avance sur certains aspects. Si j’ai gagné Liège-Bastogne-Liège, c’est grâce à cela.

C’était une bonne école, mais j’étais déjà un adulte. Dans toute ma carrière, je n’ai fait qu’un stage en altitude. Je n’ai jamais été à Teide comme beaucoup le font aujourd’hui. Pendant le Tour de France, je sais que même les réserves font des stages. Avant, ce n’était que les grands coureurs et ceux qui voulaient jouer le classement général qui faisaient cela. Maintenant, ce sont tous les coureurs. La différence est proche entre tous les coureurs qui sont tous professionnels.

Avec le recul, êtes-vous fier de votre carrière ?

Quand on est dedans, on ne pense pas à cela. Même quand j’ai gagné Liège-Bastogne-Liège, j’ai tout de suite pensé à ma prochaine course qui était le Dauphiné. Je n’ai jamais savouré. Mais, depuis la sortie du livre, je me dis que c’est pas mal (sourire). Quand je me dis qu’il y a moins de 100 personnes qui ont gagné Liège dans son histoire, ça fait bizarre. Quand on me demande qu’elle est ma plus grande victoire, forcément les gens pensent aux étapes sur le Tour de France mais, la réalité, c’est que l’exception reste Liège-Bastogne-Liège. Il y a 21 étapes chaque année du Tour de France. Liège, il n’y a qu’une course et une édition par saison.

Il y a de grands coureurs qui n’ont jamais eu cette chance de gagner la Doyenne. Le fait que je gagne deux Monuments avec le Tour de Lombardie, ce n’est pas que je suis fier, c’est surtout que je n’aurais jamais cru cela possible. Même pendant ma carrière, je ne me voyais pas comme un coureur capable de le faire. J’ai eu la chance d’avoir cette opportunité de gagner de grandes courses.

Ma carrière est comme une pochette surprise car j’ai eu la chance de gagner de belles courses. Même si, le plus important pour moi était la performance. C’est ce qui m’a poussé à essayer de me préparer pour viser le classement général d’un grand Tour. J’avais besoin de me challenger pour tester mes limites.

Dan Martin heureux de sa carrière

Mais quand on revient sur votre carrière*, on est forcément impressionné…

Je ne pouvais pas faire mieux (sourire). Je suis content d’avoir pu accrocher des Top 10. J’ai peut-être toujours eu ce doute. En 2017, qu’est-ce que cela aurait été si je n’étais pas tombé ? J’aurais peut-être pu accrocher le podium. J’avais perdu 1min30. On ne pourra pas changer cela. Je suis très fier de la manière, pas du résultat. Je suis heureux d’avoir vu des gens croire en moi.

Etes-vous heureux également de l’image de coureur offensif qui n’abandonne jamais que vous laissez ?

C’est un peu David contre Goliath. On vient de pays qui aiment les coureurs combatifs qui battent les grandes équipes. C’est un rôle que j’ai pris plaisir à avoir. C’est pour cela que les gens ont aimé ma manière d’être sur le vélo. Je souffrais et je ne le cachais pas. Les gens aiment aussi cela.

« Je souffrais et je ne le cachais pas. Les gens aiment aussi cela »

Quelle est votre relation avec la France ?

Déjà, il y a le Tour de France, mais c’est aussi le pays qui m’a vu commencer (chez VC La Pomme Marseille, Ndlr). J’ai appris le français à l’école dès mon plus jeune âge. Mes parents ont toujours eu en tête de venir y vivre. C’était aussi clair dans ma tête.

Je voulais aussi y vivre et passer professionnel en France. Mais je ne sais pas pourquoi j’ai eu cette affinité. C’est le vélo qui me l’a permis. La bicyclette est l’image de la France. C’est pour cela qu’il était important que mon livre sorte également en France et en français.

Les premiers accords ont d’abord été faits en France avant la Grande-Bretagne. On a voulu approcher les émotions dans ce livre. J’ai ouvert la porte de toutes les sensations et les émotions de ma carrière. Plus personne n’assume sa peur dans sa carrière. C’est à l’image de la société. Il ne faut pas montrer ses faiblesses. On reste humain, même dans le vélo.

*Tout le monde qui peut se vanter d’avoir gagné des étapes sur les trois grands Tours (5 au total), d’être sur le podium des Champs-Elysées comme Super-combatif du Tour 2018, d’avoir remporté un titre national, des courses à étapes (Tour de Catalogne, Tour de Pologne) et bien évidemment des Classiques (Liège-Bastogne-Liège, Lombardie)…

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