A 36 ans, Guilhem Guirado a raccroché les crampons le 24 juin dernier sur un deuxième bouclier, le premier avec Montpellier. L’ancien capitaine des bleus (à 33 reprises, en 74 sélections) n’a aucun regret alors que l’Équipe de France est en pole pour décrocher un titre de champion du monde qu’il a failli gagner en 2011. Entretien réalisé pour Rugby Magazine et Le Quotidien du Sport.
Que devenez-vous depuis l’arrêt de votre carrière après la finale de Top 14 ?
Je me reconvertis dans les assurances. Je suis en train d’apprendre en poursuivant une formation depuis septembre après avoir fait une école de commerce à l’arrêt de ma carrière internationale en 2019. C’est très enrichissant et j’intégrerais une nouvelle agence à Perpignan en janvier. Je serai associé à deux personnes très expérimentées dans l’assurance (Pierre Castellas et Patrice Vilalta, Ndlr). Je ne pars donc pas dans l’inconnu. J’ai hâte !
N’avez-vous pas songé à garder un pied dans le rugby ?
J’ai eu une carrière pleine, riche, j’ai voulu et j’avais besoin de voir autre chose pour m’enrichir et continuer à apprendre de nouvelles choses sur la vie au sens plus large. Le choix a été simple. En entamant une école de commerce, je savais que j’avais plus un côté business-entrepreneur.
Dans quel état est-on quand on raccroche après 16 saisons ?
Physiquement, ça va, je ne suis pas trop meurtri. J’ai reçu beaucoup de coups, mais je n’ai pas eu beaucoup de blessures. Ma carrière a été riche et pleine en termes de matches et de succès, je n’ai donc aucune frustration d’avoir arrêté. C’est moi qui ai choisi le moment et j’ai eu la chance de vivre une fin riche en intensité marquée par un titre de champion de France.
« J’ai entamé une nouvelle vie, j’ai ce côté business-entrepreneur »
Comment réagiriez-vous si votre fils Liam voulait faire du rugby ?
S’il me dit qu’il veut faire un autre sport, je l’encouragerai ! Si ce n’est pas le rugby, ce n’est pas plus mal… Après, s’il veut vraiment faire du rugby, j’essaierai de le mettre en garde sur la dangerosité de ce sport. Mais je ne serai pas très crédible car c’est le sport que j’ai pratiqué. Si c’est son choix, je le suivrai et l’encouragerai.
La Nouvelle-Zélande est en train de tester le plaquage sous le sternum pour le premier plaqueur. Le rugby n’est-il pas en train de perdre son essence ?
Les instances essaient de trouver des solutions, mais c’est compliqué. Ce qui est sûr, c’est que si on plaque tous aux chevilles ou aux genoux, le ballon vit toujours. On voulait arrêter que le ballon continue de vivre en plaquant à hauteur des épaules, sauf que ça s’est transformé en plaquage haut et dangereux. Il faut trouver le juste milieu. Dans les séries inférieures, il est interdit, dans les 22 mètres, de plaquer à certaines hauteurs. Mais c’est dur de calibrer.
Ce serait dommage que le rugby à XV devienne du rugby à XIII…
On s’en inspire énormément sur la façon de plaquer. Par rapport à ça, on ressemble de plus en plus au rugby à XIII et on copie énormément de règles. Comme je le disais, il faut trouver un juste milieu : qu’on puisse jouer, qu’il y ait du beau jeu pour les spectateurs, sans aseptiser le rugby.
« J’aurais pu vivre une aventure aux États-Unis ou au Japon »
Avez-vous des regrets quand vous vous penchez sur votre carrière ?
J’aurais bien aimé vivre une expérience à l’étranger, ce doit être sympa de s’imprégner de la culture anglo-saxonne. J’aurais pu le faire au Japon ou aux Etats-Unis sur la fin de ma carrière mais, finalement, je suis resté en France. Comme la fin a été riche, je n’ai pas de regrets.
En clubs, vous avez tout gagné, en sélection rien du tout. Est-ce LE gros regret de votre carrière ?
J’ai toujours été habitué à gagner et j’aurais aussi aimé gagner avec l’équipe de France. C’est mon côté compétiteur. Ma génération et tous ceux qui l’ont encadrée, des dirigeants jusqu’aux entraîneurs, on n’a pas fait ce qu’il fallait pour se donner la chance de gagner. C’est dommage, mais c’est ainsi et je m’en suis servi pour rebondir et pour avoir une fin à la hauteur de mes attentes.
En 2011, ça s’est joué à un point en finale de Coupe du monde (7-8 contre les Blacks)…
J’aurais pu être champion du monde, mais j’étais en tribunes et je m’étais servi de cette frustration pour revenir plus fort en équipe de France.
Aujourd’hui, tout sourit aux Bleus qui restent sur 13 victoires de suite. Est-ce une question de génération, de sélectionneur (Galthié) ?
C’est un tout. Aujourd’hui, toutes les planètes sont alignées. Le rugby français a fait en sorte de donner les moyens nécessaires pour que les joueurs soient libérés et soient à 100% avec l’équipe de France, chose que nous on ne faisait pas, on était toujours partagés entre les clubs et l’équipe de France. La Fédération, les clubs, tout le monde a compris l’intérêt et le besoin d’avoir une équipe de France rayonnante.
Tout le monde a joué le jeu, notamment au niveau de la formation française pour avoir encore plus de jeunes qui sortent du lot, surtout à certains postes où il y avait des manques et une certaine pénurie. Avant, l’équipe de France n’était pas dans les mêmes conditions que les autres nations pour jouer dans la cour des grands. Désormais, elle l’est !
Guilhem Guirado, capitaine d’une équipe sous les critiques
Capitaine de 2016 à 2019, vous avez dû faire avec les critiques d’une équipe qui ne gagne pas. Trois ans après, cette équipe est irrésistible ! Cela doit être rageant, non ?
C’est comme ça et ça m’a nourri. Je me suis construit par rapport à ça. Tout le monde s’est d’ailleurs remis en question. Et si ça a pu servir pour les générations futures et cette équipe de France, ça a été dur, mais je suis fier d’être passé par là et ça montre aussi la difficulté qui était alors la nôtre. On a servi, entre guillemets de fusibles, pour que la suite soit plus belle.
Je n’ai aucun regret et je ne suis surtout pas un vieux aigri ; Je reste un fervent supporteur de l’équipe de France. Je sais par quoi je suis passé et ce que je lui dois ; Je ne me permettrai donc jamais de faire ce que certains ont fait à une époque où c’était compliqué. J’ai trop de respect.
A la Coupe du Monde 2019, les Dupont, Ntamack, Penaud, Alldritt étaient déjà là…
… Je les ai vus arriver. J’étais en fin de carrière internationale et eux pointaient le bout du nez. J’ai vu une révolution. Si notre génération a pu leur transmettre quelque chose, tous les détails nécessaires pour préparer un match de haut niveau international, tant mieux. L’expérience, ça ne s’achète pas et ça s’acquiert par ces moments-là. Si aujourd’hui ils ont triomphé et restent sur une belle série en cours, ils sont passés par des moments de doutes dans les tournois précédents. Ce qu’il faut retenir, c’est que dans la vie les leçons servent toujours.
La France est sur un nuage. N’est-elle pas trop favorite à quelques mois de la Coupe du monde ?
Il vaut mieux ça que d’être outsider ou que personne ne mise sur nous ! Même si, en tant que Français, on a tendance à croire qu’on est meilleur quand on est outsider, avoir un rôle de favori il faut l’assumer et ils le font très bien. Il reste un dernier Tournoi pour savoir qui sera vraiment favori, mais avec ce que réalise l’équipe de France depuis quelques matches elle en prend le chemin. Elle fait peur à tout le monde et tout le monde la craint. Tant mieux qu’on soit craints et ça tombe bien car on joue cette Coupe du monde à domicile.
« Le meilleur capitaine de l’histoire sera celui qui gagnera la coupe du monde »
2023 sera-t-elle enfin la bonne pour les Bleus ?
J’espère fortement qu’ils seront champions du monde. Ce qui fait le plus peur, c’est d’enchaîner en phase finale deux gros matches, quart et demi-finale, et un troisième de très haut niveau en finale. On n’a pas l’habitude de le faire. Les Anglo-Saxons davantage, notamment dans l’hémisphère Sud. C’est la seule inquiétude qu’on pourrait avoir, mais avec le public français qui va pousser fort on ne sera pas loin d’être champions du monde.
Avoir le meilleur joueur du monde (Antoine Dupont), ça aide…
Ça peut aider, mais ça ne suffit pas.
Le Figaro a livré un top 10 des capitaines de l’équipe de France, avec un jury de sept membres dont Denis Charvet, Christian Califano et Imanol Harinordoquy. Vous n’arrivez que 11ème, n’est-ce pas triste de payer pour une génération sans résultats ?
Je ne cherchais pas à être le meilleur capitaine de l’histoire ! Le meilleur capitaine de l’histoire sera celui qui gagnera la Coupe du monde. Et le plus important, c’est que les gens avec qui j’ai joué se rappellent de la personne que j’ai été. Certains capitaines n’ont pas fait de Coupe du monde et ont marqué le XV de France. Je n’ai pas de honte et j’estime avoir eu une carrière pleine et riche. Je ne cherche pas la reconnaissance à tous les niveaux.
Guilhem Guirado fan de Dusautoir
S’il n’y avait qu’un joueur à retenir dans votre carrière ?
Par rapport à la passation de pouvoir, forcément c’est Thierry Dusautoir. Un joueur important pour moi.
Un entraîneur ?
Guy Novès qui m’a donné le rôle de capitaine.
Un président ?
Mourad (Boudjellal) qui m’a tendu la main pour venir à Toulon.
Un stade ?
J’ai bien aimé le Vélodrome. J’y ai joué à plusieurs reprises et en plus je suis fan de l’OM.
Un arbitre ?
Question piège ! je dirais Nigel Owens parce qu’il ne m’a jamais fait de cadeaux.
Qui voyez-vous champion de France en fin de saison ?
Je dirais La Rochelle, une des équipes qui ne l’a pas encore gagné. Après Montpellier qui a gagné son premier Bouclier la saison dernière, ce serait sympa.