vendredi 26 avril 2024

Philippe Chauvin, dont le fils est décédé lors d’un match : « Un terrain de rugby n’est pas une zone de non-droit »

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Jean-Marc Azzola
Jean-Marc Azzola
Journaliste

Le cri du cœur d’un père et son combat après la perte de son fils Nicolas (18 ans), Espoir du Stade Français après un match contre Bordeaux-Bègles le 9 décembre 2018, se traduit magnifiquement dans le livre « Rugby : mourir fait partie du jeu » (aux éditions Du Rocher). Entretien exclusif pour Rugby magazine et Le Quotidien Du Sport.

Pourquoi avoir décidé de publier ce livre ?

On a vécu quelque chose de très douloureux avec la perte d’un fils à un endroit qui paraissait improbable, à savoir un terrain de rugby. Cela l’était d’autant plus qu’ayant longtemps pratiqué ce sport, je sais qu’il existe des risques, des chocs et des blessures. Mais de là à avoir un arrachement d’une vertèbre cervicale, cela paraissait peu probable.

Quand un drame se produit, le minimum qu’on est en droit d’attendre, c’est qu’on vous apporte un début d’analyse sur ce qui s’est passé, ce qui a fonctionné et ce qui a dysfonctionné. Et quelles sont les mesures qu’on pense mettre en place pour que ce genre de cas ne se reproduise pas.

Un an après le décès de votre fils, vous avez décidé de porter plainte. Où en est-on ?

Cette procédure passe d’abord par une plainte simple. Il y avait une enquête préliminaire. Ma plainte s’est ensuite transformée en partie civile au chef d’homicide involontaire. C’est une plainte contre X. Il reste à déterminer les origines et les responsabilités. L’idée initiale est qu’il faut rappeler aux joueurs qu’ils sont responsables individuellement de leurs actes.

Réagir ainsi était aussi une manière de démontrer que ce qui se passe sur un terrain de rugby ne reste pas sur un terrain de rugby. Car quand vous mourez sur un terrain, il est normal de rendre compte à la société civile. Il y a des choses qui relèvent de l’inacceptable. Un terrain de rugby n’est pas une zone de non droit. Et le fait que le risque 0 n’existe pas n’est pas suffisant pour être exonéré de toutes explications et responsabilités.

Philippe Chauvin appelle à la conscience de tous les acteurs

Qui est le grand responsable de ce drame ?

On a des responsabilités à différents niveaux. Déjà il y a eu ce drame car il y a eu un élément générateur, un choc entre trois individus. Un des trois est mort, celui qui venait de recevoir le ballon et se retournait pour faire face en 300 millisecondes car il était chassé par deux défenseurs lancés à pleine vitesse. Ces défenseurs avaient le temps de choisir et d’ajuster leurs techniques de plaquage. L’analyse de ce choc appartient à des spécialistes.

Je n’en parlerai pas car il y a une instruction en cours. Il y a aussi des règles qui doivent protéger les joueurs. On ne peut pas se taire et penser qu’on peut mourir sans que rien ne se passe. Cela reviendrait à autoriser la médiocrité ou les excès de violence dans un sport qui est déjà extrêmement physique, en reniant l’esprit du jeu et son règlement.

Existe-t-il un mode à deux vitesses entre le monde professionnel et celui amateur ?

On ne peut pas s’exclamer magnifique lorsqu’un défenseur de 150 kg percute avec l’épaule la tête de son adversaire lors d’un match international, même si c’est un Français ! Si vous prenez 50 semaines de suspension pour une fourchette, c’est qu’on a stipulé le tarif. Dans ce cas, il y a le joueur déviant qui est écarté du terrain, mais surtout le club et l’entraîneur qui mettent en garde et disent : « Je ne te paie pas 50 semaines à cirer la banquette ».

Un professionnel encore plus qu’un amateur doit montrer l’exemple et sa maîtrise technique et comportementale. Il existe des choses inadmissibles et déloyales via un jeu dangereux pouvant générer des conséquences graves comme des commotions, des invalidités, voire la mort. J’appelle cela des tricheurs. Si on éradique les tricheurs, il y aura moins de violence.

Un règlement trop gentil avec les commotions

Quelles sont les solutions alors que World Rugby envisage d’abaisser les plaquages à la hanche et d’interdire ceux à deux ?

La question n’est pas de créer de nouveaux règlements pour gesticuler un peu plus et donner l’impression que les choses avancent. Il faut être intransigeant sur l’application du règlement et éviter les amalgames qui amènent au fatalisme ! La plupart des blessures lors des plaquages touchent d’abord les plaqueurs !

Et l’abaissement de la hauteur du plaquage n’aurait pas évité à Gary Ringrose (en photo) de s’assommer sur la hanche de l’Ecossais Kinghorne. Avant tout, World Rugby doit clarifier son positionnement et ses exigences sur sa règle 9 alinéa 11 qui dit qu’on ne doit rien intenter qui soit dangereux ou imprudent pour son adversaire… elle n’est jamais évoquée par les arbitres ou tous les consultants, comme si elle n’existait pas, si on avait abandonné toute humanité ou discernement dans l’affrontement ! Cela n’empêche pas de plaquer quelqu’un, mais pas au point de le démolir.

A un moment donné, il faut avoir l’honnêteté de se regarder dans une glace et de se dire qu’il y a des choses qui ne vont pas. Le rugby reste un sport formidable véhiculant des valeurs éducatives. Mais de là à ne pas protéger ces personnes car on est négligeant voire méprisant pour des raisons que je n’ose imaginer au détriment de leur santé, c’est intolérable.

Plus ça va et moins ça va. Une autre grande question se pose. Depuis quand on n’a pas vu une radiation au rugby ? Des excuses ou regrets pour avoir des remises de peine, y compris lorsqu’on est récidiviste oui, des sanctions franchement dissuasives non ! C’est pourtant cela qui permettra de changer les comportements et d’exclure ceux qui nuisent à l’image de ce sport.

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